mercredi, décembre 13, 2006

* La France prête à relever le défi de l’Internet...

*** Intervention de Nicolas SARKOZY
Président de l'Union pour un Mouvement Populaire
Web 3 – 3ème Conférence internationale des Blogs
Paris – mardi 12 décembre 2006

* Mesdames et Messieurs,Chers amis,

1. Permettez-moi d’abord de souhaiter la bienvenue à tous ceux d’entre vous qui venez de l’étranger. La France est heureuse et fière d’accueillir une manifestation de cette importance et de ce prestige, qui réunit plus de 37 nationalités et tous ceux qui font Internet jour après jour. Vous êtes les acteurs d’une révolution technologique majeure, comparable à l’apparition de l’électricité ou de la machine à vapeur. La première différence entre le monde de 1990 et le monde de 2006, ce sont les mutations intervenues dans la communication, les médias, les échanges économiques, les services informatiques, et bien d’autres secteurs encore, sous l’effet du développement d’Internet. Ce sont seulement 15 années qui se sont écoulées entre ces deux dates, mais ce sont à l’évidence des transformations très profondes qui se sont produites. A ce jour, nous n’en mesurons que très imparfaitement les conséquences.Permettez-moi aussi de saluer très chaleureusement l'organisateur de cette manifestation, Loïc Le Meur, qui fait tant pour promouvoir la culture de l'Internet dans notre pays, comme l’illustre votre rassemblement en ce lieu. J’ai la chance de figurer au nombre de ses amis. Merci, cher Loïc, de m'avoir offert la possibilité de rencontrer aujourd'hui des personnalités qui, dans le monde entier, inventent l'Internet de demain et bravo pour la qualité l’événement qui nous réunit aujourd’hui.

2. Je vais vous parler avec beaucoup de franchise parce que c’est dans ma nature. Je ne suis pas un grand familier du monde de l’Internet. Je ne passe pas ma vie à surfer sur la toile ou à écrire sur la blogosphère. Ce n’est pas tant une question de génération. C’est surtout une question d’engagement sans limite dans le métier qui est le mien depuis 30 ans, la politique. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’Internet est devenu un instrument du débat politique, et un instrument important. Ça ne me donne pas pour autant le titre d’expert de l’Internet. Les spécialistes, c’est vous. Le politique, c’est moi. Internet est un élément, un élément tout à fait capital, que je dois intégrer à la réflexion qui est la mienne, une réflexion globale sur l’avenir de notre pays, sur les aspirations des Français, sur la place de la France en Europe et sur le message que la France veut faire entendre dans le monde.

3. La France a pris trop de retard dans le domaine de l’internet. Certes, nous le comblons progressivement en termes d’équipement des ménages et des entreprises. Le taux d’accès des foyers à l’Internet haut débit est bon comparé à celui de nos partenaires, ce qui est la conséquence involontaire du fait que nous avions du retard et que les nouveaux foyers qui s’équipent font le choix direct du haut débit. Surtout, nous avons des talents exceptionnels, depuis des millions de blogueurs (3 millions de blogs créés pour le seul premier trimestre 2006) jusqu’à des entreprises et chefs d’entreprise au potentiel mondialement reconnu. Je pense par exemple à Exalead, à Tariq Krim et Pierre Chappaz, ou encore Tristan Nitot, Marc Simoncini, Louis Choquel et beaucoup d’autres, à commencer par tous ceux dont le travail anonyme et discret fait de la France l’un des pays les plus en pointe en matière de logiciel libre.

Leur action, leur réussite, la qualité de l’événement qui nous réunit aujourd’hui, votre présence aujourd’hui dans cette salle, montrent en réalité que la France est prête à relever le défi de l’Internet, mais qu’il lui manque une ambition nationale.

Notre retard, c’est précisément le retard de cette ambition. C’est un retard étatique et culturel.

Etatique, parce que l’Etat n’a pas créé, au moment où il le fallait, les conditions pour faire de la France un pays d’innovation, de créativité, de création d’entreprises dans le domaine de l’Internet.

Internet est un monde où les choses vont vite. C’est une économie de réseaux instable où le premier à diffuser sa norme devient difficile à rattraper et risque par là-même d’imposer sa domination à un secteur entier. L’initiative est partout. Elle est profondément décentralisée. Il faut savoir la saisir, la soutenir au bon moment.

La France, avec sa centralisation excessive, son économie rigidifiée, n’était pas prête. L’Etat n’a pas saisi le levier de l’administration électronique pour stimuler le secteur. L’Etat a fait partir les Business angels [investisseurs providentiels] au moment où nous avions besoin de financer des jeunes entreprises innovantes. Notre économie reste dominée par de grands groupes qui mobilisent l’essentiel des capitaux, de la recherche, et même des talents, quand Internet est une économie fondée sur l’initiative individuelle et de petites structures qui incubent de l’innovation.

Le miracle, c’est que nous ayons quand même des gens comme Loïc, Tariq et beaucoup d’autres, des gens comme ces millions de blogueurs et développeurs indépendants de logiciels. Mais reconnaissons que les grandes inventions du Net sont américaines ; que, quand elles sont françaises, elles ne restent pas en France ; que la France est tragiquement absente, à quelques exceptions près, des négociations internationales relatives aux normes. Notre retard est ensuite culturel, parce que nous n’avons pas vraiment construit les outils d’une réflexion sur Internet, sur ses conséquences sur l’organisation de la vie économique et sociale, sur l’émergence d’un cinquième pouvoir, sur l’impact d’Internet sur la démocratie, sur son rôle dans le domaine culturel et éducatif. Nous avons eu en France un débat difficile sur la question des droits d’auteurs et des droits voisins. Je me suis impliqué pleinement pour faire respecter le droit d’auteur, parce que créer c’est travailler, parce qu’il n’y a pas de génie sans un travail acharné et que je n’accepte pas que le travail soit spolié sous prétexte qu’aujourd’hui ce serait techniquement possible, que les producteurs de disques gagneraient trop d’argent ou que ce serait plus pratique de télécharger sur Internet plutôt que d’aller à la FNAC. Pour autant, entre utiliser n’importe comment le téléchargement, au risque d’ailleurs de pénaliser une technique prometteuse qui est celle du peer to peer, et la répression érigée en seule solution, il y a beaucoup d’alternatives possibles, gagnantes pour les uns comme pour les autres, et sans doute aurions-nous pu les imaginer ensemble si nous avions eu des éléments de prospective et si nous avions pu anticiper plus rapidement les conséquences du Net sur l’évolution de notre société, des industries culturelles, de nos modes de consommation. 4. Mon credo, les Français le savent et ceux d’entre vous qui êtes étrangers allez le découvrir, c’est le refus de la fatalité. Il n’y a pas de fatalité à ce que la France voit les inventions se faire ailleurs ou à ce qu’elle se fasse piquer les siennes ; à ce qu’elle voit ses PME partir à l’étranger ou être rachetés par des capitaux étrangers ; à ce qu’elle utilise les inventions des autres quand elle est capable de les inventer elle-même ; à ce qu’elle soit à la traine de la réflexion sur Internet alors qu’elle a toujours été à la pointe de la réflexion humaniste, politique et philosophique. Je veux que la France reprenne son rang dans tous les secteurs qui vont forger l’avenir du monde et naturellement Internet en est un des tous premiers. J’ajoute qu’Internet, ce sont des centaines de milliers d’emplois à la clé, une perspective que nous ne pouvons laisser échapper. 5. C’est pourquoi Internet doit une priorité de notre action. Avec les sciences du vivant notamment, Internet doit d’abord être un des quatre ou cinq secteurs prioritaires de notre effort de recherche, un effort que je veux par ailleurs renforcer et dynamiser. Concentrer la recherche sur des secteurs stratégiques, c’est déjà gagner en efficacité. La France a créé récemment plusieurs pôles de compétitivité mondiaux dans les domaines des technologies de l’information et de la communication (Minalogic à Grenoble dans les nanotechnologies et les solutions miniaturisées intelligentes, SCS dans la région PACA dans les solutions communicantes sécurisées, et System@tic en Ile-de-France dans les systèmes électroniques complexes). C’est un acquis important pour le futur. La France n’investit pas assez sur Internet. Nous sommes avant-dernier sur 19 pays dans l’OCDE quant à la contribution d’Internet à la croissance. L’administration électronique est le levier que l’Etat a entre ses mains pour stimuler l’économie du Net, montrer l’exemple, permettre à des PME qui ont des idées sur Internet de se développer grâce à la commande publique. C’est pour moi une priorité. Je pense évidemment aux téléprocédures qu’il faut généraliser, mais aussi, par exemple, à l’éducation, qui peut trouver avec Internet un outil puissant de modernisation et d’égalité des chances, ou à la médecine, qui peut trouver avec Internet un instrument de transmission et d’échanges d’informations entre professionnels, en particulier l’imagerie médicale, pour une plus grande qualité des soins pour chaque malade. De même, je voudrais que nous investissions massivement dans des sites publics et gratuits permettant de mettre à disposition des Français et du monde entier notre patrimoine culturel : je pense à la numérisation systématique des archives, et à la mise en ligne du patrimoine culturel français tombé dans le domaine public ou financé avec des fonds publics. Ce qui est privé doit être respecté. Mais ce qui est public doit être vraiment public. Je voudrais que nos étudiants aient accès, en ligne et gratuitement également, au fond documentaire dont ils ont besoin pour réussir leurs études. La bibliothèque Sainte-Geneviève, c’est un des plus hauts lieux de concentration de la pensée, de la culture, de la réflexion et du travail universitaires. Je n’accepte pas qu’on y fasse la queue sur le trottoir le samedi matin à 9 h pour espérer pouvoir y entrer à midi. L’avenir, c’est évidemment la bibliothèque numérique pour tous. Il faut également achever l’équipement du territoire pour l’accès à l’Internet haut débit. Nous avons fait des progrès, mais il y a encore de nombreux efforts à faire et il faut maintenant envisager l’équipement en très haut débit. C’est d’autant plus important que c’est un enjeu, en France, d’aménagement du territoire. La France est un beau pays, riche de paysages variés. Nous voulons conserver tous nos territoires, dans leur diversité et dans leur dynamisme, et Internet est une chance à cet effet. Nous devons soutenir nos PME innovantes dans le domaine du Net. C’est un serpent de mer. Nous réagissons beaucoup trop tard parce que nous attendons de l’Etat qu’il désigne, du haut de son pouvoir omniscient, les entreprises qui méritent son soutien. Il suffit de regarder les Etats-Unis pour s’apercevoir que ce n’est pas comme ça que ça marche, et notamment dans l’économie du Net. Mon ambition, et elle vaut pour le Net comme pour les autres secteurs, c’est que la France redevienne un pays où l’on a envie d’investir, où l’on a envie de faire des affaires, où l’on a envie de créer et de prendre des initiatives, où l’on a envie de réussir, où l’on a envie d’avoir confiance et de croire en l’avenir. Au-delà de l’envie, un pays où tout redevient possible. Les problèmes de nos PME innovantes sont bien connus. C’est d’abord celui de la taille du marché. Toute nouvelle entreprise se heurte rapidement aux barrières nationales, là où une entreprise américaine a un accès immédiat à un marché de 300 millions d’habitants. Cela milite pour la poursuite du marché intérieur européen. C’est ensuite celui de la capitalisation et du financement bancaire. Sur ce point, mon ambition est de rétablir la confiance des investisseurs dans ce pays. Cela passe par une certaine manière de gouverner, une manière plus transparente, une manière plus responsable, une véritable éthique des finances publiques parce que c’est l’argent des Français, une plus grande confiance dans les partenaires sociaux, une plus grande confiance dans les acteurs individuels, une plus grande sécurité juridique, bref un environnement favorable à la création et au développement des entreprises. Je souhaite que la France cesse d’être le pays qui enrichit la Suisse, la Belgique et la Grande-Bretagne en poussant vers la sortie ceux qui veulent investir. Quant à notre jeunesse, je souhaite que nous nous dotions d’une grande réforme de l’enseignement supérieur pour que notre pays et nos jeunes se battent dans la bataille mondiale de l’intelligence, de la recherche et de l’innovation avec les mêmes armes que les autres. 82% des blogueurs ont moins de 24 ans. Dans le cadre de cette réforme de l’enseignement supérieur, je propose que les universités soient considérées comme des zones franches fiscales, c’est-à-dire que les jeunes qui y déposent des brevets et qui y créent des entreprises bénéficient de la franchise fiscale nécessaire à leur développement. 6. Si Internet est une priorité stratégique, cela ne saurait nous dispenser de réfléchir à ce que nous voulons en faire. C’est ce qui fait le prix et l’intérêt de votre rencontre aujourd’hui. Internet offre évidemment d’immenses potentialités, dont ni vous, ni moi encore moins, sommes vraiment capables de dessiner toutes les facettes et tous les contours. Internet abolit les distances et accélère la communication. Certains modes de télécommunications entre les hommes sont devenus gratuits. C’est un phénomène qui ne peut que s’accroître.Internet diffuse la connaissance, le savoir, dans des proportions inégalées. C’est une sorte de campus universitaire de taille mondiale et c’est important parce que l’on considère que 40% du savoir et de l’intelligence qui sont produits sur un campus viennent de la fréquentation des autres étudiants et des enseignants. Internet produit de l’intelligence collective parce qu’on est plus intelligent à plusieurs que tout seul ; parce que plus de monde peut participer à l’élaboration de la pensée ; parce que des connaissances disparues ou oubliées peuvent revivre. C’est ce qu’illustre par exemple l’encyclopédie libre Wikipedia, où la langue française connait un dynamisme exceptionnel. Internet rapproche les peuples en partageant les cultures. Internet peut être un instrument d’émancipation, et je souhaite qu’il le soit. Je pense à la Chine où il faut espérer qu’Internet finisse par enfoncer les digues de la désinformation et du mépris des libertés politiques. Je pense aux pays pauvres où Internet peut être une chance de diffuser plus rapidement le savoir, l’alphabétisation, la culture. La première conquête d’Internet, c’est l’ouverture de citadelles jusque là bien gardées. Chacun peut faire du journalisme à la place des journalistes. Chacun peut diffuser ses films à la place des majors d’Hollywood. Chacun peut mettre ses biens aux enchères, exposer ses travaux, afficher ses idées. Un nouvel espace de liberté d’expression s’est ouvert, avec la suppression de la barrière économique à la diffusion de masse des images, des textes ou des sons. Je ne le conçois pas comme une menace pour la démocratie, mais comme un avantage. Internet doit être un instrument de diversité culturelle. C’est un point capital. C’est pourquoi, je souhaite qu’à l’échelon européen, nous agissions par la recherche et par une politique industrielle pour retrouver et garder notre indépendance technologique. Je suis convaincu que notre indépendance technologique est la clé de notre indépendance culturelle et d’un équilibre des cultures dans le monde. Sachons faire du continent Internet, le continent du partage des cultures, mais pas celui du nivellement des valeurs.

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