dimanche, février 25, 2007

Au Café de Flore, il n'est plus de bon ton d'être de gauche!

*** "Ils en ont parlé"

Vendredi 9 heures. Le Flore, « le » café parisien où il faut se montrer, être vu et surtout reconnu. Quelques habitués sont là, malgré les vacances scolaires. Pour un rendez-vous professionnel ou pour prendre leur petit-déjeuner en lisant la presse et en jetant de temps en temps un regard blasé sur l'assistance. Comme ce quinquagénaire, cheveux longs et petites lunettes rondes, qui hurle dans son portable en commentant « l'affaire Chazal-Torreton ». La campagne présidentielle ? Évidemment, tout le monde en parle. Et selon Éric, serveur, depuis vingt ans, il n'y a pas photo : « La droite de toutes les façons ne va pas dans les cafés, sauf au moment des élections. Ici, la clientèle, c'est la gauche caviar. Presque tout le monde est de gauche. » « Sauf moi », tranche son collègue, rigolard. Contrairement à ce qu'il croit, il n'est pas seul dans son cas. Sartre va peut-être se retourner dans sa tombe, mais les habitués du Flore ont du vague à l'âme et le flanc gauche un peu endolori. L'éditeur Gilles Cohen-Solal fait partie de ces éclopés et assure qu'« en dehors de quelques attardés mitterrandôlatres, plus grand monde ici n'est pour Royal, dont la campagne est d'une « creutitude » terrible. Ceux que je connais votent soit Bayrou, soit Sarko ». Alors oui, lui qui a toujours voté à gauche ne le fera pas cette fois. Bayrou, alors ? Il le juge « un peu neu-neu ». Sarkozy ? Il « n'adhère pas à 100 % » mais il va voter pour lui car « aujourd'hui ce n'est pas possible de voter Royal si on est lucide sur l'état du pays ». Jean-Paul Lagarde va faire le même choix. Lui, c'est un vieux de la vieille. Un pilier du Flore. Il a sa table ici depuis cinquante ans. Dans la salle, à gauche de la porte. Cheveux blancs, barbe mal rasée, cigare éteint à la main, ce « brocanteur de luxe » va voter blanc au 1er tour et Sarko au second : « Ici, c'est le royaume des bobos mais on n'a pas besoin d'une maman bobo, d'un pansement. » Et Bayrou ? « C'est un rad-soc », tranche Lagarde. « Rose à l'extérieur, blanc à l'intérieur et toujours près de l'assiette au beurre », complète Cohen-Solal.


Alexandre Wickham, éditeur du Seuil attablé un peu plus loin, perçoit, lui, « un effet Bayrou ». À l'étage, la critique littéraire du Journal du dimanche, Marie-Laure Delorme, en est la preuve vivante. « C'est la première fois de ma vie que je ne voterai pas socialiste, confie-t-elle, je vais voter Bayrou, même si j'ai un peu honte parce que j'ai l'impression que c'est un phénomène qui touche surtout le VIe arrondissement. » À sa table, l'éditeur Bernard Comment apparaît presque comme un « archéo » : il se prononce pour Ségolène Royal. De même que Sylvain Bourmeau, des Inrocks, qui assène : « Dans un contexte de crise de l'autorité politique, Royal incarne la mère alors que Sarkozy n'incarne pas le père. » Freud aussi doit se retourner dans sa tombe.

ANNE FULDA.
Publié le 24 février 2007
Le Figaro

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