*** Les ressortissants des dix pays nouvellement entrés dans l'Union investissent le marché du travail. Légalement ou illégalement.
** OUVRIERS du béton ou de la maçonnerie, chaudronniers tôliers, mais aussi représentants à domicile et agents d'entretien... Il n'y a guère que le pourtant très recherché plombier-zingueur qui échappe à la longue liste des professions ouvertes depuis le 1er janvier aux travailleurs roumains et bulgares - les petits derniers de l'Union européenne - dressée par le ministre du Travail, Gérard Larcher, dans sa circulaire du 22 décembre. Sans doute un acte manqué. L'image du jeune et séduisant plombier polonais, sac à outils sur l'épaule, venant offrir ses services dans l'Hexagone, avait semé la panique pendant la campagne du référendum sur la Constitution européenne en mai 2005.
Depuis mai 2006, le loup tant redouté est pourtant dans la bergerie. Du secteur des travaux publics à celui de la propreté en passant par la restauration, le commerce et l'« industrie de process », la France autorise les ressortissants des huit États (1) entrés dans l'Union en 2004 à travailler dans 62 métiers identifiés comme souffrant de pénurie de main-d'oeuvre. Ce droit a même été accordé dès leur entrée dans l'Union, en janvier dernier, aux Bulgares et aux Roumains, alors que les Polonais, Hongrois et autres Tchèques avaient dû patienter deux ans.
Pour le recrutement d'un Malien, d'un Sénégalais, d'un Chinois ou encore d'un Ukrainien, la direction départementale de l'emploi peut opposer un refus aux employeurs au motif qu'un « national » (Français ou étranger établi légalement en France) ferait l'affaire. Désormais, dans le cas de l'embauche d'un ressortissant des dix nouveaux États membres, l'entreprise doit toujours adresser une demande à l'administration du travail, mais pour les 62 professions dites « en tension », l'autorisation de travail est délivrée automatiquement.
Au moment où la Grande-Bretagne, qui a ouvert les bras à plusieurs millions de travailleurs européens de l'Est ces deux dernières années, cherche à freiner le flux des arrivées, la France entrouvre un marché du travail jusqu'alors très protégé. « Les deux pays ne sont pas exactement dans la même situation, analyse Jean-Pierre Garson, de l'OCDE, la France a encore un taux de chômage supérieur à 8,5 % alors qu'outre-Manche l'emploi a toujours été très dynamique. » Le gouvernement Villepin n'avait d'autre choix que de baisser progressivement les barrières. D'ici à 2011, « la France sera tenue d'ouvrir totalement son marché du travail », précise un conseiller du premier ministre. Les citoyens des vingt-sept ont d'ores et déjà une liberté de circulation totale. Avec une simple pièce d'identité, ils peuvent circuler d'un pays à l'autre et même s'y établir s'ils disposent de ressources suffisantes. Dans ce contexte, l'enjeu du travail est crucial.
Reconduite à la frontière
L'an dernier, les préfets ont expulsé plus de 5 000 Roumains et 1 200 Bulgares en situation irrégulière. En janvier, ces immigrés clandestins sont devenus des citoyens de l'Union. La règle du jeu a changé : de 650 Roumains reconduits chez eux en décembre, on est passé à seulement... 52 en janvier. Dans une longue circulaire, Claude Guéant, l'ex-directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur, rappelle aux préfets que la nouvelle législation ne leur donne pas « un droit inconditionnel au séjour » et qu'ils peuvent être éloignés s'ils « représentent une menace pour l'ordre public ou constituent une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale français». Mais les fonctionnaires hésitent avant d'envoyer un arrêté de reconduite à la frontière aux ressortissants de l'Union.
Pour la France, le défi des prochains mois reste d'accueillir ces candidats européens à l'emploi, sans provoquer une levée de boucliers des nationaux. En Grande-Bretagne, l'arrivée massive de Polonais suscite des tensions (lire ci-dessous). Beaucoup de questions restent en suspens. En pleine crise du logement, trouveront-ils leur place ou viendront-ils grossir les rangs des « sans domicile » ? Pour l'instant, les chiffres officiels font apparaître un nombre d'entrées limité. Seul un millier de travailleurs permanents et quelque 9 000 saisonniers originaires des dix nouveaux États membres ont décroché un emploi en France au second semestre de 2006. À croire que la France manque d'attractivité ou que ce réservoir de main-d'oeuvre a déjà été vidé par la Grande-Bretagne, l'Italie ou l'Irlande qui les accueillent depuis deux ans. Il semble surtout que beaucoup sont aspirés dès leur arrivée par le marché du travail clandestin et n'apparaissent pas dans les statistiques.
(1) Pologne, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Estonie, République tchèque, Slovaque, Slovénie.
CHRISTINE TABET.
Publié le 26 février 2007
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