*** Polémique après les propos de Ségolène Royal contre les banques :
Cibles régulières des critiques, pour des profits jugés excessifs et des tarifs encore opaques, les banques n'auront pas réussi à se faire oublier des candidats à l'élection présidentielle.
Ségolène Royal, la candidate socialiste, a inclus à son "pacte présidentiel", dévoilé dimanche 11 février, deux propositions censées réconcilier les clients avec leur banque et restaurer le pouvoir d'achat des premiers : une loi plafonnant les frais sur les incidents de paiement (agios en cas de découvert, pénalités de rejet de chèque, etc.) ; un "service bancaire universel" favorisant l'accès au crédit pour les personnes qui en sont exclues.
Ces mesures ont été inspirées par les débats participatifs à Paris et en province, qui, explique-t-on au Parti socialiste (PS), ont mis en lumière un rapport de force défavorable aux consommateurs en même temps qu'un sentiment d'impuissance.
La réaction des banques n'a pas tardé. Lassées d'être prises pour cibles quand, souligne Baudouin Prot, patron de BNP Paribas, elles pratiquent "une mondialisation responsable, créant des emplois en France, notamment dans les quartiers sensibles", elles ont "contre-attaqué", lundi, via la Fédération bancaire qui "regrette que le projet de la candidate socialiste pour réconcilier les Français avec l'entreprise ne s'applique pas au secteur bancaire. (Celui-ci devrait être) considéré comme un atout pour la France car il contribue à la richesse nationale (4,5 % du produit intérieur brut et 40 000 embauches par an)".
En revanche, de la CLCV à l'UFC-Que Choisir, les associations de consommateurs n'ont pas boudé leur plaisir. "Il est grand temps de légiférer sur les incidents de paiement, pour mettre fin aux tarifications punitives qui aggravent les difficultés financières des plus modestes", estime Christian Huard, président de ConsoFrance.
M. Huard se montre plus circonspect sur le projet de service universel bancaire qui, s'il était gratuit, devrait être financé par l'impôt. S'appliquant à tous sans conditions de ressources, il risquerait d'être refusé par la Commission européenne : "Seul un service bancaire de base réservé aux exclus (déjà une obligation légale en France) peut déroger au principe de liberté des prix", estime-t-il.
Très mal tolérée par les banquiers, l'incursion des politiques dans la sphère - privée - des relations banques-clients est cependant comprise, sinon souhaitée, par les économistes.
Selon eux, la question de l'accès au crédit mérite d'être défrichée. En France, le nombre d'exclus du système bancaire classique se compte encore en millions. Par ailleurs, le surendettement résiste aux dispositifs publics, qu'il s'agisse des commissions de surendettement ou de la possibilité pour les ménages de se déclarer en faillite personnelle, créée par la Loi Borloo du 1er août 2003. Entre 2001 et 2005, 820 000 dossiers de surendettement ont été déposés. Le nombre de surendettés a continué de croître l'an dernier.
Olivier Pastré, professeur à l'université Paris-VIII, estime ainsi que "l'amélioration de l'accès au crédit est une piste à suivre, en concertation avec les banques, afin que les prêts sociaux pour créer des micro-entreprises ou financer des besoins d'urgence trouvent leur place en France".
"Le système ne fonctionne pas de manière optimale", juge de son côté Georges Gloukoviezoff, chercheur au CNRS et membre, depuis 2006, du Conseil de l'observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (Onpes). "On n'a pas trouvé les moyens de permettre un accès raisonné au crédit, pour tous, ajoute-t-il. Les refus de crédit sont secs, sans explication car les banques s'en tiennent à des méthodes d'évaluation du risque automatiques (le scoring) qui rejettent les plus modestes même s'ils sont solvables, sans procéder à des évaluations individualisées, jugées trop coûteuses."
Alors que "le crédit joue un rôle central dans l'économie, poursuit M. Gloukoviezoff, il est urgent de trouver une solution dans le cadre d'un partenariat public-privé, où les banques assument leurs responsabilités et où l'Etat garantit."
S'il accueille favorablement les propositions de Mme Royal, il pense, comme M. Pastré, qu'il faut sortir de "la culpabilisation systématique des banques, qui ne sont pas responsables de la précarisation croissante, afin de mettre en place des solutions concertées. Assouplir les conditions de remboursement des clients en grandes difficultés leur éviterait, par exemple, de se retrouver dans la statistique du surendettement."
De son côté, Emmanuel Constans, le président du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), estime aussi que la mécanique bancaire doit être mieux huilée, pour jouer pleinement son rôle dans l'économie : "L'accès au crédit reste compliqué en France pour les jeunes, les personnes âgées et les ménages modestes, comme en témoigne le développement des courtiers bancaires, qui transforment des crédits renouvelables à 17 % ou 18 % en crédits permanents à 7 %."
M. Constans rappelle qu'aujourd'hui en France, 600 000 ménages modestes restent, bien que solvables, exclus du crédit à la consommation.
Anne Michel
Article paru dans l'édition du 14.02.07.
LE MONDE
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