jeudi, février 22, 2007

** Sarkozy comme sujet littéraire...!

**** La romancière et dramaturge Yasmina Reza suit depuis plusieurs mois le ministre de l’Intérieur en campagne. Un homme “de convictions”, assure-t-elle, sous le charme. Et “bourré de paradoxes”.

* ENTRETIEN :

** Pourquoi une auteure jouissant d’une réputation internationale se commet-elle dans les bas-fonds de la campagne présidentielle française ?
YASMINA REZA La politique, sa raison et sa déraison ont toujours donné des ailes aux écrivains. Il y a un certain temps que je souhaitais écrire sur une personnalité politique, car il s’agit souvent de personnages carrément romanesques. Au début, je ne savais pas très bien si j’illustrerais le thème sous forme de pièce de théâtre ou de roman. Je me suis finalement décidée pour un portrait, une description impressionniste.

Qu’est-ce qui vous intéresse chez Nicolas Sarkozy ?
Quand j’ai commencé, en juin 2006, à plancher sur ce projet au long cours, il n’y avait qu’un homme politique dont il était clair qu’il finirait par être candidat : Sarkozy. Plus important encore, il me paraissait fascinant.

Sarkozy ne court-il pas un risque en se mettant à votre merci ?
Je l’ai prévenu. Mais il m’a dit : “Même si vous me massacrez, je n’en sortirai que grandi.”

Vous avez déclaré, à propos du travail de création des personnages de roman, qu’on peut inclure toutes les contradictions. Dans le projet Sarkozy, n’êtes-vous pas limitée par la vérité ?
Au contraire. J’écris de mon point de vue. Ce n’est donc pas un portrait politique qui se dessine, mais un portrait littéraire. Dans le livre, on en apprendra autant sur moi que sur le candidat – sur mes contradictions comme sur celles de Sarkozy, qui est selon moi un homme bourré de paradoxes.

Depuis quand accompagnez-vous Sarkozy ?
Depuis la fin octobre. Je l’avais déjà rencontré l’été dernier pour lui expliquer que je souhaitais l’observer de près dans les mois à venir. Il n’a pas attendu deux minutes pour me donner son accord – il s’est dit honoré.

Avez-vous accès à tout moment au candidat à l’élection présidentielle ?
Sarkozy me donne un accès que les journalistes n’ont pas. Mais, quand il a rendez-vous avec le Premier ministre Dominique de Villepin pour déjeuner, je ne suis bien entendu pas là. Cela vaut également pour les rencontres privées. Sarkozy m’a ouvert de nombreuses portes. Je suis là quand il débat avec des membres de son parti et quand il parle avec des personnalités politiques à l’étranger. J’ai pu suivre l’entretien qu’il a eu avec Abdelaziz Bouteflika, le président algérien, et j’étais là quand il a parlé avec le sénateur Barack Obama aux Etats-Unis. Dans ces cas-là, je joue les petites souris, je me mets dans un coin avec mon carnet.

Que notez-vous pendant ses voyages officiels ou ses apparitions publiques ?
Parfois j’écris quelques lignes, parfois de petits chapitres, parfois des observations comme pour un journal intime. Peut-être aurai-je besoin d’un véritable entretien après l’élection. Pour le moment, nous bavardons dans le train ou dans l’avion, je discute avec lui comme le ferait une amie.

Sarkozy a un programme, une vision conservatrice, il plaide pour un retour à des valeurs comme la responsabilité ou l’autorité. Etes-vous d’accord avec lui sur ce point ?
Je ne souhaite pas m’exprimer sur la politique, mais je constate une chose : c’est un homme qui est à la recherche de ce qui tient le monde. Un homme de convictions. Ce n’est pas si fréquent.

Cela vous a-t-il surprise ?
Oui, car les hommes politiques que j’ai connus auparavant ont deux langages : le langage officiel et le langage privé. Ils défendent une opinion à la télévision et le contraire dans le cercle de leurs amis. Je n’ai encore jamais vu ça chez Sarkozy. Exprimer ici mon opinion serait sans intérêt, mais j’ai du respect pour la façon dont il fait de la politique.

Ne faites-vous pas, volontairement ou non, de la publicité pour le candidat ?
C’était un risque et plusieurs personnes m’ont mise en garde – mon éditeur, mes amis. Ça paraît peut-être arrogant, mais je considère que non.

Sarkozy a commencé son premier discours de candidat en déclarant : “J’ai changé.” Tentait-il de se défaire de sa mauvaise image ?
Plusieurs personnes de son entourage me racontent que Sarkozy a changé, qu’il est plus mûr, plus calme, moins fanfaron, moins petit coq. Lui-même ressent ce changement et déclare que ses priorités ont changé – y compris sur le plan privé. Il est sérieux et il y croit. Mais sérieux ne signifie certes pas réaliste.

Votre projet Sarkozy se terminera-t-il avec les élections ?
J’accompagnerai Sarkozy encore un moment après le second tour, en mai, à l’Elysée ou ailleurs.

Quel résultat préféreriez-vous ?
Si Sarkozy échoue, mon portrait sera une description tragique de ses efforts désespérés. Sinon, ce sera celle du couronnement triomphal de sa carrière. Pour moi, il y aura en tout cas matière à écrire.

Propos recueillis par Stefan Simons
Der Spiegel

Courrier International
hebdo n° 851 - 22 févr. 2007

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