jeudi, avril 19, 2007

* Feu sur la présidence ! *

*** Le metteur en scène allemand Benjamin Korn encourage les Français à se débarrasser une bonne fois pour toutes d’un président omnipotent.

La France est tombée sur la tête ! Depuis le “non” tonitruant à l’Europe – le crépuscule des dieux de Chirac –, on n’y parle plus que d’un seul sujet : qui sera le prochain président ? A la une des quoditiens et des hebdomadaires, à la télévision, les candidats nous scrutent : Sarkozy et sa tête de polichinelle, Royal et son éternel sourire, Le Pen le bouledogue, et Bayrou le nounours. Tous les demi-dieux et les fausses divinités, les politiciens ambitieux et leur petite troupe de partisans se battent pour l’Elysée. Ils se font des croche-pieds et se jettent des peaux de banane : les trotskistes et les souverainistes, les racistes et les socialistes, les communistes et les altermondialistes, tous ces candidats de droite comme de gauche qui ne peuvent pas se sentir, surtout parce qu’un seul d’entre eux – comme dans une fécondation – touchera au but.
Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Oh que oui ! Le pouvoir illimité ! Divin emploi que celui de président de la République. Il trône là-haut, dans les nuages, alors qu’au-dessous règne le chaos. D’autres acolytes malchanceux, engloutis par les scandales, démissionnent et sont condamnés par la justice, tandis que, furieusement, il jette ses éclairs, annule une loi adoptée par le Parlement et, comme un enfant avec ses soldats de plomb, joue avec les institutions politiques de son pays. Il est assez courant de dire que la Constitution française a été enfantée par la Révolution. Elle est le résultat d’une histoire pleine de soulèvements, de contre-révolutions, de barricades et de restaurations. Elle porte encore des traces de sang séché. Son texte assemble deux institutions qui, depuis la prise de la Bastille, sont imbriquées impitoyablement l’une dans l’autre : la monarchie et la république.
L’héritier de la Révolution, c’est le gouvernement ; l’héritier des rois, le président. En France, le président est couramment appelé “le Prince”. Il habite “le palais”, ses ministres sont souvent des “barons”. Le président est au-dessus des lois. Le Parlement est impuissant. Les ministres, courbés comme des esclaves, peuvent à tout instant être congédiés. Souverainement, il peut changer son Premier ministre, dissoudre l’Assemblée nationale et convoquer de nouvelles élections. Son pouvoir est absolu. Il est le chef des armées, décide de la politique étrangère et a seul le pouvoir d’appuyer sur le bouton nucléaire. Il fait la pluie et le beau temps. Il nomme les préfets et le corps diplomatique, l’administrateur général de la Comédie-Française ou celui de l’Opéra-Bastille.
Cette situation, très différente de celles de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne ou des Etats-Unis, est la partie émergée de l’iceberg présidence, qui confine à l’humiliation permanente des règles démocratiques. Le président n’est pas seulement inattaquable sur le plan politique et juridique. Son budget échappe à tout contrôle : parler d’argent est si vulgaire. On préfère parler des coucheries présidentielles. L’argent, c’est trop intime. Le budget de l’Elysée est un scandale politique dont on parle à mots couverts. Après tout, ce sont les “dessous” de la nation.

Mais le comble, c’est l’immunité juridique présidentielle. Dans des affaires qui remontent à l’époque où Chirac était maire de Paris, plusieurs de ses proches ont été condamnés, mais, comme le procureur l’a regretté, “les chaises d’illustres prévenus sont restées vides”. Le président ne peut ni être mis en examen ni être entendu comme témoin, il contemple l’agitation terrestre d’un calme olympien. Comme les monarques, les présidents français commettent leurs plus beaux assassinats au sein de leur propre famille. Ils déchaînent des guerres de succession acharnées où l’on se plante un couteau dans le doss le sourire aux lèvres.
Tout cela n’a jamais entaché la réputation des présidents. Toutes les fautes de Mitterrand, les mensonges éhontés sur son état de santé, les écoutes illicites de l’Elysée, son amitié pour René Bousquet, responsable de la déportation de Juifs à Auschwitz… Rien n’a jamais ébranlé son pouvoir. De la même façon, tout a paru glisser sur Jacques Chirac alors que les Français l’avaient communément surnommé “Supermenteur”. Face à la fourberie et aux promesses non tenues de ses dirigeants, le peuple français est devenu apathique.

La France n’est ni une mère ni une putain, mais un pays !

L’impartialité du président est le mensonge le plus enraciné de la Ve République. Comment des politiques qui ont été extrêmement partiaux toute leur vie peuvent-ils se permettre de braconner sur le terrain idéologique de leur adversaire. Ségolène Royal a commencé à glisser dans ses discours les icônes de la droite nationale : Jeanne d’Arc et le général de Gaulle. Nicolas Sarkozy – dont les témoins de mariage étaient le milliardaire Bernard Arnaud et le patron de TF1, Martin Bouygues – s’est mis à citer Emile Zola et Léon Blum. Ils sautent allégrement de gauche à droite. Ils aiment la France et le claironnent. “Vive la France !” trompetait de Gaulle. “Aimez-la ou quittez-la !” tonitrue Sarkozy à la face des immigrés, en roulant des mécaniques. “La France aime tous ses enfants !” vocalise Royal. “La France est une femme, philosophe de Villepin, elle a envie d’être prise, ça la démange dans le bassin.” Le populisme fleurit. Or la France n’est ni une mère, ni une maîtresse, ni une putain, mais un pays fait de jeunes, de vieux, de pauvres, de riches, de gens hostiles et de gens serviables. Le mot magique “France” est censé souder les électeurs autour du candidat. Il a un effet anesthésiant et correspond à un besoin d’harmonie nationale qui revient périodiquement. Mais il est mensonger.
N’est-il pas infantile de penser qu’un homme seul puisse changer le destin d’une nation ? Prenons la seule proposition profonde de Ségolène Royal : sa volonté de décentraliser le pays. Elle devrait commencer par l’abolition du président, qui centralise et monopolise tous les pouvoirs de l’Etat. Il faut en finir avec le président, c’est la seule solution. Mais pour cela… il faut l’accord du président. Pendant ce temps, Jacques Chirac erre, perdu, dans les galeries de son palais. Il décore ici ou là quelques vieilles connaissances. Il nomme un ambassadeur pour hisser les couleurs dans une île lointaine au petit matin. Il a, paraît-il, perdu toutes ses illusions sur la nature humaine. Il aurait dû se regarder plus tôt dans le miroir.
Aucun bruit du monde extérieur ne traverse les murs de son palais, où vécut jadis la Pompadour, encore moins les lamentations des sans-abri parqués dans leurs tentes le long du canal Saint-Martin. Le président leur a fait cadeau, dans sa superbe allocution du jour de l’an, non d’un logement, mais d’un droit opposable qui finira dans la fosse commune des lois sans conséquence. Reste qu’un beau discours c’est presque une bonne action. Et, en France, on méprise les partis, mais on révère l’homme qui domine l’Etat.

Benjamin Korn
Die Zeit
Photo
COURRIER INTERNATIONAL
19 avr. 2007

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