mercredi, avril 18, 2007

*L'approche européenne de Nicolas Sarkozy, point fort de son projet*

*** Interview d'Alain Juppé
Ancien Premier ministre
Maire de Bordeaux

** Êtes-vous favorable à l'introduction de la proportionnelle pour l'élection d'une soixantaine de députés en 2012, comme vient de le proposer Brice Hortefeux ?
Introduire une dose de proportionnelle est une vieille idée. Je crois me souvenir que Michel Rocard est le premier à l'avoir proposé. Cette proposition figure d'ailleurs dans le programme de nombreux partis politiques et de nombreux candidats à la présidentielle. En tant que gaulliste, je reste très attaché au scrutin majoritaire, qui doit demeurer le mode de scrutin dominant aux élections législatives pour permettre la constitution de majorités stables. S'il s'agit d'une petite dose de proportionnelle, touchant par exemple une soixantaine de sièges, pourquoi pas. Mais ce sujet mérite une réflexion apaisée. Je ne suis pas certain que la période actuelle s'y prête.

Comment interprétez-vous l'ambition de Nicolas Sarkozy de « faire de la politique autrement » ?
Face à une grande échéance électorale, il est normal de vouloir imprimer sa marque et de se distinguer de ce qui a précédé. Depuis vingt ans, le discours dominant c'est : travaillons moins, et il y aura plus de travail pour plus de gens. Avec beaucoup de courage et de lucidité, Nicolas Sarkozy, lui, affirme que la seule façon de relever les défis économiques de la mondialisation, c'est de travailler davantage. Il propose aux Français d'accomplir une véritable révolution, mentale et morale.

Les Français y sont-ils prêts ?
Tout dépend de la façon dont on pose les questions. 60 % des jeunes, par exemple, disent vouloir travailler dans la fonction publique, mais quand on leur demande s'ils souhaitent créer leur propre entreprise, ils répondent également oui à 60 %. Les Français sont prêts à travailler plus, à une condition : être plus heureux au travail. Ils veulent accomplir des tâches plus intéressantes, être mieux formés et mieux payés. Ce qui suppose d'alléger les charges et les contraintes qui pè­sent sur les entreprises, comme le propose Nicolas Sarkozy. De tous les candidats, il est le plus cohérent sur le sujet.

À Matignon, vous avez expérimenté la hausse de la TVA et la baisse des charges. Nicolas Sarkozy peut-il réussir là où vous avez échoué ?
Peut-être qu'à l'époque je n'a­vais pas suffisamment expliqué la dynamique que je souhaitais en­clencher. La TVA est un impôt qui détaxe les exportations et taxe les importations. C'est bon pour l'em­ploi, mais ça n'est pas populaire, parce que les gens ont l'impression que leur pouvoir d'achat diminue. Pour réussir cette réforme, il faut inclure la hausse de la TVA dans un « paquet » global, un peu comme l'a fait Angela Merkel. La baisse des charges doit s'accompagner d'une amélioration des salaires et des conditions de travail, dans le cadre d'accords entre organisations professionnelles et syndicales.

Nicolas Sarkozy propose d'introduire dans ce « paquet » l'indexation des salaires sur les prix. Qu'en pensez-vous ?
Il n'a pas dit qu'il fallait restaurer l'indexation des salaires. Il ne veut plus qu'on l'interdise, ce qui est différent. Pour ma part, je n'ai­me pas les mécanismes d'indexation. La France en a fait l'expérience, et elle a mis des décennies à s'en remettre.

Partagez-vous l'idée que l'euro est trop fort ?
Avec le même euro, l'Allemagne a 160 milliards d'excédent commercial, nous avons 40 milliards de déficit. L'euro n'explique donc pas tout ! Que sa parité actuelle complique la tâche d'Airbus, c'est clair, mais d'un autre côté, notre facture pétrolière est plus légère et, surtout, nous gardons des taux d'intérêt historiquement bas, même s'ils ont un peu augmenté récemment. Cela nous apporte en outre une stabilité certaine dans nos échanges commerciaux, dont l'essentiel se fait dans la zone euro. Une politique monétaire plus souple serait souhaitable, mais la vraie question est : pourquoi les Allemands fabriquent-ils des produits qui se vendent mieux que les nô­tres ? C'est donc en confortant notre puissance industrielle qu'on rétablira l'équilibre de nos échanges avec l'extérieur.

Êtes-vous partisan de l'instauration d'une préférence communautaire au sein de l'Union européenne ?
L'approche européenne de Nicolas Sarkozy est pour moi l'un des points forts de son projet. L'Europe est aujourd'hui en panne. La France doit donc reprendre l'initiative, et il propose de le faire sur des bases plus claires. Il veut doter l'Europe de frontières, pour lui redonner sa signification politique et lui permettre de devenir une puissance, capable de parler d'égal à égal aux autres puissances. Nicolas Sarkozy veut aussi que l'Europe soit un centre de décision économique, et pas seulement un lieu où l'on est obsédé par la recherche de la concurrence pure et parfaite, comme aujourd'hui. Il faut une stratégie de recherche et d'innovation et un volontarisme industriel, qui peut conduire à faire jouer ce que Nicolas Sarkozy appelle la préférence communautaire, sur des critères environnementaux ou sociaux.

L'Europe en a-t-elle les moyens ?
Il faut en discuter avec nos partenaires. Ce ne sera pas simple, notamment avec les pays qui font du libre-échange une sorte de dogme. Il faudra aussi convaincre qu'à côté de la Banque centrale, gardienne de la monnaie, l'Europe a besoin d'un centre d'impulsion économique qui développe une véritable stratégie de croissance. Nous pourrions faire en Europe ce que la France a fait en créant les pôles de compétitivité, qui associent industriels, chercheurs et décideurs publics.


Croyez-vous à la possibilité d'un second tour Sarkozy-Bayrou ?
S'il est vrai qu'un Français sur deux n'a pas encore choisi, les surprises sont possibles, mais mon sentiment, c'est qu'on aura un deuxième tour Sarkozy-Royal. La France est plutôt à droite, si l'on en croit les sondages et les thèmes de la campagne, mais la gauche reste forte. Quant à Bayrou, il a bénéficié d'un effet de surprise et de sympathie qui s'est à mon avis érodé. Mais s'il n'est pas au deuxième tour, il jouera le troisième en présentant des candidats partout aux législatives. Seule notre union pourra donner au futur président la majorité dont il aura besoin pour mettre en oeuvre son projet.

Propos recueillis par Judith Waintraub
Le Figaro - 14/15 avril 2007

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