jeudi, avril 26, 2007

* Nicolas Sarkozy : "C'est à Bayrou de choisir" *

*** Comment allez-vous vous adresser aux électeurs de François Bayrou ?

Les électeurs n'appartiennent pas davantage à François Bayrou qu'à Ségolène Royal, à Jean Marie Le Pen ou à Nicolas Sarkozy. Je n'ai pas cette vision patrimoniale du corps électoral. Si tel était le cas, j'aurais du faire campagne non pas devant 44 millions d'électeurs, mais avec quatre personnes dans une pièce : Le Pen, Bayrou, Royal et moi.

Ne réduisez pas les électeurs à leur choix d'un tour ! Ce qui a fonctionné au premier tour doit fonctionner au second. Je veux dire aux électeurs de gauche qui croient à l'ordre dans le mouvement, que je suis le candidat du mouvement alors que SégolèneRoyal veut le statu quo.

Aux électeurs du centre qui croient en l'Europe, je veux dire qu'un nouveau référendum tuerait l'Europe. Je leur dis également que je n'ai jamais cru à un parti unique de la droite et du centre.

Dans la majorité présidentielle, il y aura un pôle UMP, et place pour un autre issu du centre qui pourra porter avec l'identité qui est la sienne les valeurs auxquelles il tient : celles de l'Europe, de l'ouverture sociale, d'une république exemplaire.

Avec ou sans François Bayrou ?

C'est à lui de choisir. Il a toujours été dans la majorité de droite et du centre. S'il change, c'est son droit, mais qu'il le dise à ses électeurs.

Un troisième pôle s'ajoutera aux deux premiers, un pôle de gauche, auquel je ne demanderai pas de renier son engagement, mais qui se reconnaîtra dans la nécessité de faire bouger la France sur un contrat de gouvernement de cinq ans. Le travail que j'ai engagé avec Eric Besson ne s'arrête pas le 6 mai si je suis élu.

Quand et comment organisez-vous la constitution de ces pôles : avant le second tour ? Combien de circonscriptions réserverez-vous à l'UDF ?

Je ne rentre pas dans la négociation partisane. Je dis simplement que tout élu de l'UDF qui soutiendra ma candidature, avant le 6 mai, sera dans la majorité présidentielle et recevra l'investiture de cette majorité. L'UDF a toute sa place dans la majorité présidentielle.

Je vais plus loin : ceux qui viendront de la gauche dans le cadre d'un contrat de gouvernement y auront également leur place.

Ferez-vous à l'UDF une offre de rééquilibrage au regard des 18 % obtenus par François Bayrou ?

On peut très bien en parler. C'est une discussion qu'auront les partis politiques au lendemain de l'élection présidentielle.

L'électorat de François Bayrou et de la gauche est demandeur de réformes institutionnelles. Proposez-vous de la proportionnelle et le vote des étrangers aux élections locales ?

Proposer aujourd'hui le vote des étrangers serait faire reculer le débat. Je dis non à la proportionnelle aux législatives, mais oui en ce qui concerne le Sénat.

Si un jour il devait y avoir une ouverture à l'Assemblée nationale, cela ne pourrait se faire que par la suppression d'un certain nombre de postes de députés élus dans les circonscriptions.

En revanche, je proposerai la ratification des principales nominations de fonctionnaires ou d'autorités par les commissions compétentes de l'Assemblée, afin qu'elles ne soient plus le produit de la connivence mais de la compétence.

Je créerai un statut de l'opposition et, si je suis élu, je recevrai régulièrement les leaders de l'opposition. En outre, je ne serai pas choqué que la présidence de la commission des finances soit confiée à un élu de l'opposition.

Comment concilier cette ouverture avec le discours que vous tenez en direction des électeurs du Front national ?

Je m'inscris en faux sur la prétendue droitisation du débat politique. D'un candidat de la droite républicaine qui fait campagne sur le pouvoir d'achat et va dans les usines, on pourrait aussi bien dire qu'il va à gauche. Le pouvoir d'achat, c'était le thème du Parti communiste; les usines, celui de l'extrême gauche.

Les ouvriers attendent de moi que je résolve le problème du pouvoir d'achat, que je lutte contre les délocalisations, que je pose le problème de la concurrence loyale, que j'affirme la préférence communautaire. Cela n'a rien à voir avec la droitisation.

Bien sûr, j'ai parlé de l'identité et de l'immigration, mais tous les Français se sentent concernés. Et mon premier thème c'est le travail.

Avez-vous des valeurs communes avec le FN ?

Mes valeurs sont les valeurs de la République : travail, mérite récompense, fraternité, autorité, exigence, récompense. Vu ce qu'a dit Le Pen de moi dans la campagne, chacun comprend qu'il y a de très grandes différences entre nous. Il est allé jusqu'à dire que, pour être candidat à la présidence de la République, il fallait être issu de deux générations de Français. C'est le statut de 1940, celui de Pétain !

Mais je ne veux pas dire à quelqu'un qui a voté FN qu'il est un mauvais Français. Vous n'interdisez pas votre journal aux électeurs de M. Le Pen. Pourquoi ne devrai-je pas leur parler ?

Mais on vous accuse de reprendre ses idées…

En 2002, des centaines de milliers de gens ont manifesté aux cris de "Le Pen ne passera pas". Aujourd'hui, alors qu'il a perdu un million de voix, c'est contre moi qu'il faudrait manifester.

Au fond, il y a toujours une part de l'opinion, notamment à gauche, qui considère illégitime ceux qui n'ont pas ses idées. Cela s'appelle le sectarisme.

Mais le « tout sauf Sarko » est une construction médiatique parfaitement artificielle. Agiter cet argument c'est insulter les 11,5 millions personnes qui ont voté pour moi. C'est les présenter soit comme des attardés, soit comme des fascistes.

Sur le travail, comment promettre une hausse de pouvoir d'achat alors que la rigueur économique paraît nécessaire pour regagner de la compétitivité ?

Je ne veux pas une politique de sacrifices, car elle ne mène à rien. On ne réduit pas les déficits et l'endettement avec des sacrifices.

Je veux une politique fondée sur l'effort et le travail, ce qui n'a rien à voir.

Je veux augmenter la colonne recettes en donnant de la croissance à l'économie française, et réduire la colonne dépenses en ne remplaçant pas un fonctionnaire sur deux. La bonne stratégie, c'est de passer de 2,2 % à 3 % de croissance.

Par une politique de l'offre ou de la demande ?

Quatre pays en Europe ont réalisé le plein emploi : la Suède, l'Irlande, le Danemark, le Royaume-Uni. L'Espagne, de son côté, a divisé par deux son taux de chômage. Aucun n'a choisi la stratégie du partage du temps de travail, celle des 35 heures. Cette piste, je la ferme.

Tous ont parié sur le travail. Je propose la réforme du service public de l'emploi; l'interdiction pour un chômeur de refuser plus de deux emplois correspondant à sa qualification; une activité minimum en échange d'un revenu social; la possibilité de travailler à temps partiel pour les retraités; la défiscalisation des heures supplémentaires et du travail des étudiants. La réponse des socialistes à la pauvreté, c'est la gratuité; la mienne, c'est le travail.

C'est de l'offre ou de la demande ? Je ne sais pas. C'est du libéralisme ? Peu importe. En augmentant le volume de travail, on augmente le pouvoir d'achat des salariés, on remet du carburant dans l'économie et on dégage des marges pour réduire les déficits.

Parallèlement, je veux engager puissamment le pays dans une politique d'investissements : TGV, ferroutage, autoroutes de la mer, fibre optique, numérique, université, recherche, innovation. On sacrifie toujours l'investissement au profit des dépenses de fonctionnement.

Je ferai de toutes les universités des zones franches : les étudiants qui créeront une entreprise sur leur campus ne paieront pas d'impôt pendant cinq ans.

Je mettrai le paquet sur une vraie politique industrielle dans une dizaine de secteurs ciblés. Le crédit d'impôt recherche sera porté à 100%.
Je ne veux pas que se reproduise l'erreur commise à propos de la sidérurgie dans les années 1970. On a l'air malin aujourd'hui : on manque d'acier, les prix augmentent, et on est obligé de faire des courbettes aux Indiens pour en obtenir à bon prix.

Comment organiseriez-vous votre première semaine de président ?

Je proposerai, le premier jour, aux partenaires sociaux, quatre conférences pour septembre. La première portera sur l'égalité salariale entre les hommes et les femmes. Les entreprises auront deux ans pour la réaliser. Après, l'inspection du travail transmettra au parquet les cas de discrimination.

Deuxième discussion : la flexisécurité, avec l'adoption du contrat de travail unique, le nouveau service public de l'emploi, la hausse des indemnisations des chômeurs, mais aussi la réduction de la durée de la procédure de licenciement.

Troisième chantier, l'amélioration des conditions de travail et la lutte contre le stress.

Enfin, la démocratie sociale, que j'aimerais renouveler comme on l'a fait pour la politique. Cela veut dire liberté de présentation au premier tour des élections professionnelles, aide au financement des syndicats, sanctuarisation pendant quelques mois de la négociation entre partenaires sociaux, pour que le législateur n'intervienne qu'en cas d'échec. L'objectif est d'aboutir fin 2007.

Vous reportez la loi sur le service minimum ?

Si le ministre des transports et les syndicats se mettent d'accord, il n'y a pas besoin de loi. Sinon, il y aura un projet de loi dès l'été.

En juillet, je proposerai l'instauration de peines planchers sévères pour les multirécidivistes. Les mineurs multirécidivistes entre 16 et 18 ans seront punis comme les majeurs.

Je proposerai l'interdiction de la sortie de prison à tout délinquant sexuel qui ne se soumettrait pas à un traitement médical et à un système de pointage tous les quinze jours. Je souhaite la création d'un hôpital-prison dans chaque région : la prison n'est pas faite pour les gens atteints de maladies psychiatriques

Et ensuite ?

Ma deuxième journée sera consacrée à la préparation d'un Grenelle de l'environnement, avec les ONG, les industriels et les partenaires sociaux, car je n'oppose pas l'écologie au social.

Sur les OGM, je suis pour la recherche, mais, à ce stade, contre la production commerciale. Je prendrai les décisions après un débat transparent, éclairé par les scientifiques. Mais pas question de commencer par un moratoire sur les cultures en plein champ ! Ce serait fermer le débat.

L'instauration d'une taxe sur le carbone et la création d'une fiscalité écologique seront à l'ordre du jour. J'aurai, à ce moment, annoncé les frontières du nouveau ministère du développement durable, qui intégrera l'eau, l'énergie, les transports.

Quel sera votre premier déplacement ?

C'est la suite de ma semaine. L'agenda sera européen, avec une première visite à Bruxelles et Berlin. Puis j'irai en Afrique. La question de l'immigration, du développement du continent et de la Méditerranée est centrale.

Je proposerai une union de la Méditerranée, comme il y a eu, il y a soixante ans, la Communauté européenne. C'est là que tout se joue : la guerre et la paix, la catastrophe environnementale ou non.

Comment organiseriez-vous votre calendrier européen ?

Il faut aller vite, parce qu'on a perdu trop de temps. Il faut régler les choses entre la présidence allemande de ce semestre et la présidence française en 2008.

Concrètement, à la fin 2007, on se dote de nouvelles institutions, on engage les négociations sur la future PAC, on pose la question de la concurrence et de la préférence communautaire, on suspend tout élargissement à l'adoption de nouvelles institutions.

Dans le même temps, j'engage avec Angela Merkel une discussion sur la refondation de l'axe franco-allemand et son contenu.

Je veux porter un nouveau débat en Europe. Nous sommes tombés sur la tête. Nous sommes victimes d'un dumping social, environnemental, fiscal et monétaire. Comment voulez-vous qu'on s'en sorte ? Ne croyez-vous pas que c'est au président de la République d'engager le combat sur ces fronts ?

Vous n'avez pas d'accord avec vos partenaires, notamment Angela Merkel, et vous avez dû faire marche arrière sur la BCE…

Je n'ai pas fait marche arrière ! Je continuerai de poser le problème de la politique de la BCE. J'ajoute que la France sera de retour sur la scène européenne. La situation va s'en trouver débloquée. Nous allons porter ces débats, et aussi celui de la moralisation du capitalisme financier, qui doit être traité au niveau européen. Pour la France, la loi interdira en 2007, les parachutes en or.

A chaque campagne, les hommes politiques promettent de modifier les règles européennes – Chirac en 1995, Jospin en 1997 –, mais rien ne se passe, car il n'y a pas de majorité en Europe ni d'accord avec l'Allemagne…

C'est faux. En 1995, le débat était franco-français avec la fracture sociale. En 1997, Jospin a proposé à contre-courant de travailler moins en gagnant plus. En 2002, il n'y a pas eu de débat du tout.

Cette fois, la France a un atout formidable. Elle doit faire un effort pour débloquer la situation et en profiter pour mettre d'autres thèmes sur la table.

Ce qui fait mal à l'Europe, c'est qu'il n'y a plus de débat, qu'avant même d'aller à la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement, des communiqués qui n'en finissent pas ont été négociés et sont d'autant plus longs qu'ils sont vides.

Sur la Constitution européenne, MmeRoyal et M. Bayrou disent qu'il faudra un référendum.

C'est une folie. La Constitution préparée de façon excellente par Valéry Giscard d'Estaing est morte, parce que les Français ont dit non, et les Néerlandais aussi. Le rapport de forces en Europe ne permet pas d'avoir une nouvelle Constitution.

Faire voter un nouveau référendum, c'est se mettre en situation de faire battre l'Europe et donc de la démanteler. C'est pourquoi je propose de la doter de quelques règles institutionnelles qui lui permettront de mieux fonctionner : un président, une règle de l'unanimité modifiée.

Nul ne peut se voir imposer une décision contraire à ses intérêts vitaux, mais il ne faut pas qu'un pays puisse empêcher les autres d'avancer, comme c'est le cas sur la politique d'immigration.

Propos recueillis par Eric Fottorino, Patrick Jarreau, Arnaud Leparmentier et Philippe Ridet

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*** "J'irai assez loin dans l'ouverture politique"

A quel moment entrerez-vous à l'Elysée si vous êtes élu ?

Le calendrier doit être respecté. Le président de la République est élu jusqu'au 17 mai à 0 heure. Je n'imagine pas que la passation de pouvoir puisse se faire avant le 16. Qu'il y ait une dizaine de jours pour digérer la campagne et habiter la fonction présidentielle, cela ne me semble pas de trop.

Quel président voulez-vous être ?

Je rendrai compte de mon action et de mes grands choix devant les parlementaires une fois par an et je tiendrai régulièrement des conférences de presse pour rendre compte de l'état du pays et des résultats que j'aurai obtenus.

Mon gouvernement ne dépassera pas 15 ministres qui seront évalués chaque année au regard de la lettre de mission qu'ils auront reçue. La nomination des secrétaires d'Etat interviendra après les élections législatives.

Y aura-t-il des ministres issus de l'immigration ?

Il pourrait même y avoir un président issu de l'immigration! Il y aura des surprises. J'irai assez loin dans l'ouverture politique et le renouvellement.

Le 2 mai, vous allez affronter une femme lors du débat télévisé, est-ce une difficulté supplémentaire ?

Ne réduisons pas Mme Royal à sa seule féminité! Elle est un responsable politique que je respecte et dont je respecte les convictions. Nous portons sur nos épaules la dignité du débat politique. Personnellement, je ne pose aucune condition à ce débat. Je ferai ce qu'on me demandera de faire.

Même un débat à l'américaine ?

Si elle le demande, je me dirai que, dans le fond, je suis moins américain qu'elle!

LE MONDE
25.04.07

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