*** Que ce soit Sarko ou Ségo qui l'emporte, laissons donc de côté notre condescendance anglo-saxonne, écrit The Guardian.
Quand des élections se profilent en France, le pire piège, pour les commentateurs britanniques, est de donner dans la condescendance anglo-saxonne. Notre économie est florissante, la leur n'est qu'une ruine arthritique. Notre modèle est synonyme de prospérité, de flexibilité, d'emplois ; le leur n'entraîne que gâchis, déception et désespoir. Nous ne connaissons que l'honnêteté industrieuse ; ils sont l'incarnation irrécupérable de la duplicité.
Autant d'inepties complaisantes, bien sûr. Essayons de dresser la même liste, mais élaborée du côté français de la Manche. Ils ont des transports dont ils peuvent être fiers, un système de santé à nous rendre jaloux, une passion pour la technologie qui fait qu'ils sont leaders européens de l'Internet haut débit et de bien d'autres domaines. Ils ont aussi une administration hautement qualifiée, adaptée aux défis des Temps modernes, un sens de l'Histoire et de la nation. Leur football national est superbe, ils mangent sainement, jouissent d'une industrie cinématographique unique en son genre, continuent de produire des automobiles à la chaîne et leur dissuasion nucléaire est encore relativement indépendante. En plus, ils avaient raison à propos de l'Irak. Et nous ?
Certes, la France stagne par endroits et déçoit parfois. Certes, la déception pousse immanquablement à l'introspection colérique. Mais, le 22 avril, le choix des urnes n'avait rien de désespéré. La France est un pays qui change au sein d'une Europe en pleine évolution. Elle a ses problèmes et un système politique qui a tendance à donner aux extrêmes une importance démesurée. Mais c'est maintenant une nouvelle génération qui prend les commandes, en des termes que la génération précédente est néanmoins à même de comprendre.
Nicolas Sarkozy n'est pas un nouveau venu. Il est plutôt partisan de la continuité chiraquienne. Il a été un ministre de l'Intérieur sans concession et a fait son chemin. Certes, il brandit la menace de l'immigration pour mieux déborder Jean-Marie Le Pen. Il semble même encore plus dur lorsque il s'adresse aux syndicats de la fonction publique. Mais, en réalité, il est avec lui davantage question de transition que de révolution, tout comme avec Ségolène Royal au fil de sa campagne hésitante. Une campagne enlevée, mais étonnamment traditionnelle : en substance, des habits neufs (et couture) pour emballer du socialisme à l'ancienne.
On retrouve ici en partie le mythe du "progrès". Depuis de Gaulle, la France a pour l'essentiel été gouvernée au centre droit, tout en recueillant avec enthousiasme les œuvres de bienfaisance mitterrandiennes. Mme Royal a beau dénoncer la "politique de la brutalité" de Sarkozy - et ce dernier tourner en dérision sa mollesse centriste sur les questions épineuses -, une fois au pouvoir, ni l'un ni l'autre ne seront en mesure de beaucoup corriger le cap. Certains problèmes devront être résolus, comme le chômage des jeunes. Il faudra de nouveau répondre à certaines questions, comme la place de la France en Europe. Mais, à l'issue du prochain mandat présidentiel, la France n'aura pas changé au point d'être méconnaissable : elle continuera d'arpenter les chemins bien français qu'elle a toujours empruntés.
Bien sûr, le marais centriste s'attire le mépris de la classe politique. Nico et Ségo ont laminé un François Bayrou qui défendait l'harmonie politique. Mais la simple existence de la candidature Bayrou leur a servi d'avertissement. Ce qui se passe n'est pas un épisode de plus de quelque affrontement éternel entre gauche et droite. Ce qui compte, c'est ce qu'il adviendra une fois le jeu électoral terminé.
Un membre du Parti socialiste sans véritable programme peut-il être synonyme de changement et de réussite ? Tout à fait. C'est la raison pour laquelle José Luis Zapatero, symbole d'un tel succès, a franchi les Pyrénées pour soutenir Ségolène Royal. La société française peut-elle faire face à une planète mondialisée ? C'est une autre question. Il est toutefois peu probable que le résultat, quel qu'il soit, soit acclamé à Londres, où le gouvernement est pris au piège de l'Europe et de sa propre histoire. Nous sommes tous victimes de nos vieux mythes.
Peter Preston
The Guardian
Courrier International
23 avr. 2007
* L'article original: Lien ci-dessus!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire