lundi, juillet 09, 2007

*Entretien de M. Nicolas SARKOZY, Président de la République, accordé au Journal du Dimanche, interviewé par Jacques Espérandieu et Virginie Le Guay.

Présidence de la République

QUESTION - Pas de traditionnelle interview télévisée du Chef de l'Etat à l'occasion du 14 juillet cette année. La rupture, c'est aussi ça?

LE PRESIDENT - Depuis que j'ai été élu, je me suis souvent exprimé. Aujourd'hui encore je m'exprime dans votre journal. Le 12 juillet, je le ferais à Epinal à propos de l'avenir de nos institutions. Je veux entretenir un dialogue continu avec les Français, leur expliquer ce que je fais, leur rendre compte des décisions que je prends, leur parler chaque fois que j'ai quelque chose d'important à leur dire. La prise de parole obligée, convenue, à date fixe, le 14 juillet ou un autre jour, ce n'est pas ma conception du dialogue avec les Français. Je ne veux me démarquer de personne. Je veux juste fonder ma relation avec les Français sur la sincérité et sur le respect.

QUESTION - Fini le temps où la parole présidentielle était rare?

LE PRESIDENT - Ce n'est pas la rareté qui fait la force de la parole présidentielle mais ce qu'elle exprime.

QUESTION - Allez-vous renoncer au traditionnel droit de grâce présidentiel du 14 juillet?

LE PRESIDENT - Il n'y aura pas de grâce collective. J'avais dit, pendant la campagne présidentielle qu'il n'y aurait pas d'amnistie, j'ai tenu ma promesse. L'élection présidentielle ne donne pas le droit " d'effacer les ardoises ". Quelle logique y aurait-il à ne pas amnistier les contraventions et à gracier les délinquants ? Ou faut-il admettre que la justification de la grâce présidentielle soit de vider les prisons qui sont surpeuplées. Le décret qui m'a été proposé visait à faire sortir 3000 détenus de prisons. Depuis quand le droit de grâce sert-il à gérer les prisons ? Que les juges d'application des peines appliquent les textes et, alors on respectera l'indépendance de la justice. La justice réclame à corps et à cris son indépendance, et la première chose qu'on me demande c'est de gracier 3 000 personnes. Eh bien non !

QUESTION - C'est une évolution de taille...

LE PRESIDENT - C'est ma conception de la République. Je ne ferai pas d'amnistie collective et je n'accorderai pas de grâce collective. En revanche, je reconnais l'utilité, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles, d'une grâce individuelle prononcée de façon transparente. Un individu saute dans la Seine, sauve trois enfants en train de se noyer, il se trouve qu'il a un casier judiciaire. La grâce individuelle peut alors jouer. Mais la grâce collective pour réguler les prisons, je ne l'accepte pas.

QUESTION - Y aura-t-il des grâces individuelles cette année?

LE PRESIDENT - Comment le dire à l'avance ? Chaque cas est un cas de conscience. Ce que je rejette c'est la décision collective et automatique. J'ai voulu mettre en application cette doctrine. Je ne prétends pas que ce que je fais est bien, que c'est juste, que c'est la vérité. J'essaye de trouver une cohérence.

QUESTION - Vous êtes élu depuis deux mois, les choses se passent-elles comme vous les aviez imaginées?

LE PRESIDENT - Ce n'est pas à moi de faire un bilan et certainement pas au bout de deux mois ! J'essaye de faire ce que j'avais pensé devoir faire : l'ouverture, un style nouveau, une certaine rapidité de prise de décision, les grandes réformes engagées, oui tout cela je l'avais rêvé, j'en avais pris l'engagement. Je le mets en œuvre. C'est lourd, c'est grave, c'est passionnant, c'est difficile, je n'en suis pas surpris.

QUESTION - Vous avez annoncé vouloir poursuivre l'ouverture...

LE PRESIDENT - Pour faire de grandes réformes, il faut une grande majorité. Président de la République, je dois me libérer de mes attaches partisanes, de mes liens amicaux. Il y a des talents dans toutes les familles politiques. Etre le Président de tous les Français, est pour moi une obsession. Quand je commence ma journée de travail je ne me dis pas: je veux être le Président des 21 millions de Français qui ont voté pour moi, même si je ne veux pas trahir mes engagements vis-à-vis d'eux, mais je pense aux 17 millions qui n'ont pas voté pour moi. L'ouverture, je la fais d'autant plus facilement que je n'en avais pas besoin arithmétiquement. Ce n'est pas de la petite politique. Avec Bernard Kouchner, Jean-Pierre Jouyet, Eric Besson ou Jean-Marie Bockel les choses se passent bien. Je n'ai qu'à me louer de cette équipe. Le ministre des Affaires Etrangères fait un parcours sans faute. Je l'ai vu notamment au sommet de Bruxelles. Je suis fier de l'image qu'il donne de la France. Ce n'est pas anecdotique de confier à Hubert Védrine une mission sur la place de la France dans la mondialisation. C'est réfléchi. Quand Martin Hirsch me parle de "bouclier sanitaire", je trouve que c'est une réflexion intéressante. Quand je j'observe le parcours de Rachida Dati, je suis fier··· Je veux donner l'image d'une France apaisée, réconciliée.

QUESTION - Rachida Dati, ce n'est pas l'ouverture...

LE PRESIDENT - C'est l'ouverture à la diversité. Pour moi c'est très important de dire à tous les jeunes des banlieues: regardez d'où vient Rachida, regardez où elle est. Il n'y a pas deux justices, il n'y en a qu'une seule. Regardez ce qu'incarne Rachida, ce que cela signifie pour tous. La "nouvelle vague", comme titre un hebdomadaire cette semaine, c'est ça. On disait que j'étais sectaire, que je copiais Le Pen, voilà la réponse : Rachida Dati, Rama Yade, Fadela Amara···J'ajoute que la vraie parité, ce n'est pas le nombre des femmes, ce sont les responsabilités qu'elles occupent.

QUESTION - Prendre dans votre équipe des personnalités du parti socialiste, c'est aussi un calcul politique?

LE PRESIDENT - Je le répète, je ne dois pas être l'homme d'un seul parti. Je veux que Dominique Strauss-Kahn soit le candidat de la France à la direction générale du FMI parce qu'il m'a paru être le plus apte à ce poste. J'ai déjà présenté sa candidature à Zapatero, à Prodi, à Gordon Brown, à Bush... Je sais que c'est un poste très convoité. Pour obtenir ce poste, il faut avoir une forte crédibilité, une expérience incontestable, être polyglotte, Dominique Strauss Kahn a ces qualités. Lui et moi avons la même vision du fonctionnement du FMI. Et je devrais priver la France de sa candidature parce qu'il est socialiste? Comment serais-je le Président de tous les Français si je raisonnais comme ça. Je n'ai pas demandé à Dominique Strauss Kahn de ne plus être socialiste. Le Président de la République doit rassembler.

QUESTION - L'ouverture se pratiquera-t-elle aussi pour la commission qui va travailler sur la réforme des institutions.

LE PRESIDENT - Je veux changer les mœurs politiques dans notre pays. Il est de mon devoir de fixer la ligne, le cap. Mais ce travail ne se fera pas sur mes seules idées. J'ai demandé à Edouard Balladur, ancien Premier ministre de présider cette commission. J'ai également demandé à Jack Lang, agrégé de droit public d'y participer. Au nom de quoi devrais-je me priver de sa réflexion ? Sous le seul prétexte que cela déplait à M. Ayrault? J'ai aussi demandé à Pierre Mazeaud, ancien Président du Conseil Constitutionnel ainsi qu'à Jean-Louis Bourlanges, à Guy Carcassonne, à Olivier Schrameck d'y participer. Guy Carcassonne a été le conseiller de Michel Rocard, Olivier Schrameck a été le directeur de cabinet de M. Jospin, et alors?

QUESTION - Quand sera installée la commission sur la réforme des institutions?

LE PRESIDENT - Dans les quinze jours. Je souhaite que la réforme constitutionnelle soit prête avant la fin de l'année, au plus tard début janvier.

QUESTION - On a beaucoup parlé cette semaine de vos rapports avec François Fillon...

LE PRESIDENT - Parlons plutôt des conséquences du passage du septennat au quinquennat. Passer de sept ans à cinq ans, c'est passer d'un président arbitre à un président engagé. Au premier tour, j'avais 31,50 % des voix, au deuxième tour 53 %. Les Français ne m'ont pas élu pour regarder passer les trains ! Le Premier ministre est, pour moi, un interlocuteur indispensable, indissociable. Il met en œuvre le projet présidentiel que nous avons conçu ensemble. C'est une tâche considérable. C'est lui qui rend les arbitrages entre les ministres, c'est lui qui travaille avec eux la plupart du temps. Il va bientôt rencontrer M. Zapatero comme il a été voir Mme Merkel. Il le fait avec mon plein accord et je suis très heureux de la dimension européenne qu'il pourra prendre. Le Premier ministre va participer à la politique étrangère de la France.

QUESTION - Il n'y a donc plus de "domaine réservé" au Président de la République?

LE PRESIDENT - Un "domaine réservé" ? La politique étrangère serait si importante que ni le Parlement ni le Premier ministre ne pourraient y être associés ? Moi je pense au contraire que c'est parce qu'elle est importante, que le Premier ministre doit s'en mêler et le parlement s'y intéresser ! François Fillon et moi, nous avons fait campagne ensemble, nous avons rédigé le projet présidentiel ensemble. J'ai été heureux du discours de politique générale qu'il a fait mardi à l'Assemblée nationale. Il n'y a pas par définition, de rivalité entre nous. J'ai été élu pour conduire une action. Je la conduis avec le Premier ministre.

QUESTION - Demain lundi vous vous rendez à Bruxelles à l'Eurogroupe: une première là aussi.

LE PRESIDENT - Pourquoi pas? L'économie, la croissance, le plein-emploi sont des sujets si importants que les chefs de gouvernement et chefs d'Etat doivent s'en préoccuper directement. Je proposerai lundi qu'il y ait, à la rentrée, une réunion européenne des chefs d'Etat et de gouvernement pour parler de la politique économique. Lundi, j'assisterai à cette réunion de l'Eurogroupe avec Christine Lagarde. Je suis fier qu'elle soit la première femme Ministre de l'Economie. Lundi, j'expliquerai à nos partenaires ce que nous allons faire pour retrouver de la croissance. La France est de retour en Europe.

QUESTION - Cela ne va pas être facile de convaincre vos partenaires européens. La situation budgétaire française suscite des critiques...

LE PRESIDENT - Croyez-vous que ce que j'ai fait depuis deux mois a été facile? Faire accepter à nos partenaires le traité simplifié c'était facile? Mais c'est pour faire des choses difficiles que j'ai été élu. On ne peut pas continuer à être les seuls à ne pas avoir une monnaie au service de la croissance et de l'emploi. Je suis pour l'indépendance de la banque centrale, je suis pour diminuer les déficits. Cela passe par la réduction des dépenses et par l'augmentation des recettes. Mais si vous réduisez les dépenses et les recettes en même temps expliquez-moi, comment vous vous en sortez?

QUESTION - Berlin critique les choix économiques de la France

LE PRESIDENT - L'Allemagne est-elle aussi critique que vous le dîtes? En tout cas, Mme Merkel était très satisfaite qu'on ait si bien travaillé ensemble sur le traité simplifié. Et elle viendra le 16 juillet en France à Toulouse, pour réfléchir à l'avenir d'EADS. Il faut faire bouger les choses sur EADS, donner une gouvernance efficace à cette entreprise. Pour faire bouger les choses, il faut faire de la politique. Pour moi, la politique est dans tout. C'est le refus de la fatalité. Il y a toujours des marges de manœuvre.

QUESTION - Vous revenez du G8. Quels sont les chefs d'Etat dont vous vous sentez le plus proche?

LE PRESIDENT - Il y a déjà quelqu'un que je vais regretter : c'est Tony Blair. Je l'aime beaucoup. Il a un charisme, une joie de vivre··· J'apprécie aussi beaucoup M. Zapatero. Avec Angela Merkel, on forme un bon tandem···

QUESTION - La fusion Suez/ GDF revient à l'ordre du jour. Quel est le scénario le plus probable?

LE PRESIDENT - On y travaille. Je réfléchis énormément parce que l'emploi de dizaines de milliers d'hommes et de femmes est en jeu. Ces questions, ne sont pas pour moi du meccano. Au meccano, je préfère la stratégie et le respect des gens. J'ai besoin d'avoir encore quelques éléments pour bien appréhender la situation.

QUESTION - L'idée de la fusion n'est donc pas acquise?

LE PRESIDENT - J'approfondis avec François Fillon tous les aspects de ce dossier, nous nous efforçons de trouver la meilleure solution possible.

QUESTION - Qui pourrait être présentée quand?

LE PRESIDENT - Rapidement.

QUESTION - Est-ce pour cela que vous allez en Algérie la semaine prochaine ?

LE PRESIDENT - L'idée qu'un producteur de gaz est utile pour Gaz de France est intéressante. Mais on peut s'adosser à un producteur de gaz et en même temps faire la fusion. Ce n'est pas l'un ou l'autre. D'autre part, parmi les producteurs de gaz, il n'y a pas que Sonatrach, même si Sonatrach est important.

QUESTION - Que pensez-vous de la grève des journalistes aux Echos et à La Tribune?

LE PRESIDENT - Ce qui me semble extraordinaire c'est que les journalistes de La Tribune fassent grève pour que leur journal ne soit pas vendu par Bernard Arnault et que ceux des Echos fassent grèvent le même jour pour que leur journal ne soit pas acheté par Bernard Arnault. Comment la presse peut-elle se sortir d'une telle contradiction ? Les journaux se font avec des actionnaires. Mais vous ne me démentirez pas si je vous dis que le vrai problème de la presse pour moi c'est le problème de la distribution. Il faut favoriser la diffusion des journaux par une politique d'allègements de charges ambitieuse et par la multiplication des points de vente.

QUESTION - L'ancien Premier ministre Dominique de Villepin a été perquisitionné à deux reprises chez lui dans le cadre de l'affaire Clearstream. Une réaction?

LE PRESIDENT - Un Président de la république en exercice ne commente pas une instruction en cours. Je préside le Conseil Supérieur de la Magistrature, je suis garant de la séparation des pouvoirs, garant de l'indépendance de la justice. De plus, comment commenterai-je une affaire dans laquelle par ailleurs, je suis, à titre personnel, partie civile ?

QUESTION - Vous allez faire une étape sur le Tour de France?

LE PRESIDENT - Absolument. Je suis persuadé que le Tour de France fait partie des petits bonheurs des Français. Qu'un mois de juillet sans Tour de France, ce serait pas un mois de juillet. J'y vais d'autant plus que Christian Prudhomme, le nouveau patron du Tour, mène une action remarquable contre le dopage. Ce n'est pas au moment où les dirigeants du Tour s'efforcent d'assainir ce sport qu'on doit les laisser tomber!

QUESTION - Quel est votre favori?

LE PRESIDENT - Je n'ai pas un favori, j'ai une espérance: Christophe Moreau. Depuis qu'il a eu le maillot jaune, il a passé une période très difficile. Mais je ne fais pas la fine bouche sur son titre de champion de France parce qu'il a 36 ans.

QUESTION - Le Tour de France part de Londres. Comment se passe la collaboration avec les Anglais en ce qui concerne le terrorisme?

LE PRESIDENT - La menace est générale et élevée. J'ai demandé à Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, de réfléchir à un vaste plan d'installation de caméras dans nos réseaux de transports en commun. Il y a 25 millions de caméras au Royaume Uni, un million en France. Je suis très impressionné par l'efficacité de la police britannique grâce à ce réseau de caméras et il n'y a, à mon sens, aucune contradiction entre le respect des libertés individuelles et l'installation de caméras pour protéger la sécurité de chacun dans les transports en commun.

QUESTION - Quand ce plan pourrait-il être proposé?

LE PRESIDENT - A la rentrée.

QUESTION - Le choix de Bernard Laporte comme secrétaire d'Etat aux Sports, vous l'assumez totalement?

LE PRESIDENT - Totalement. Bernard Laporte est un homme intelligent, réfléchi. Et puis à travers lui, je fais un clin d'œil au Sud-Ouest, au monde du rugby bien sûr. J'apprécie énormément que le public du rugby soit calme, refuse la violence. Vous pouvez avoir 85 000 personnes au Stade de France, il n'y a pas de bagarre···

QUESTION - Faut-il un statut pour l'épouse du Chef d'Etat?

LE PRESIDENT - J'aime bien l'idée que ce statut se construise en fonction des personnalités de chacune, tranquillement, librement. Sans pression ni cadre prédéterminé.

Paru le dimanche 8 juillet 2007