lundi, juin 23, 2008

***Turquie : nouveau carrefour des stratégies énergétiques***

***Au carrefour de l'Asie centrale, de la Russie et de l'Europe, la Turquie veut profiter de sa position pour s'imposer comme un pont énergétique entre les producteurs d'hydrocarbures de la région (Russie, Iran, Irak, Azerbaïdjan, Kazakhstan...) et les pays consommateurs d'Europe de l'Ouest. Voisine du Moyen-Orient et des riverains de la mer Caspienne, la Turquie a la moitié des réserves mondiales de gaz à ses portes. Mais les intérêts croisés dans la région obligent Ankara à faire "un grand écart stratégique", résume un officiel français en Turquie.

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Un argument pour son adhésion à l'Union européenne

La diplomatie turque met en avant son rôle de porte d'entrée des hydrocarbures pour l'Europe parmi ses arguments en vue de son adhésion à l'Union européenne (UE). "Etre un simple importateur d'énergie ne va pas faire entrer la Turquie dans l'UE, estime toutefois l'analyste Gareth Winrow. Mais cela ne va pas non plus affaiblir sa candidature."

A l'heure où Bruxelles songe à diversifier ses sources d'approvisionnement, notamment en gaz, pour être moins lié à Gazprom, la Turquie se place en alternative. Et la "plaque tournante" souhaite tirer profit de sa position en "revendant au prix fort du gaz à l'Ouest", selon un spécialiste européen à Ankara.

Le gouvernement turc devra, en tout état de cause, clarifier sa position sur le gaz en transit sur son territoire. Que la Turquie crée un hub pour valoriser une partie du gaz sur un marché à court terme n'inquiète pas les Européens. En revanche, "une telle activité d'achat-revente ne saurait en aucun cas concerner les contrats à long terme" souscrits entre un fournisseur d'Azerbaïdjan ou du Kazakhstan et Gaz de France, a prévenu Claude Mandil, ex-directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie, dans un rapport remis récemment au premier ministre français, François Fillon. Le rôle de la Turquie est important, "mais non incontournable", souligne ce même rapport.

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LES ENJEUX DE L'OLÉODUC BTC...

L'entrée en service, en 2006, de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), capable de transporter 1 million de barils par jour, a transformé la Turquie en pays de transit majeur. Le gigantesque terminal de Ceyhan, sur la côte sud, où débouche aussi l'oléoduc en provenance de la région irakienne de Kirkouk, a vocation à devenir une plate-forme. Pour ses détracteurs, le BTC est un "joujou américain". Financé par un consortium mené par la compagnie britannique BP, il a été largement soutenu par les Etats-Unis, en quête de nouvelles sources sûres.

L'objectif du BTC est aussi de court-circuiter la Russie et de "briser son monopole en faisant sortir le pétrole par d'autres routes", analyse Temel Iskit, ex-ambassadeur turc et conseiller pour le BTC dans les années 1990. La Turquie, alliée traditionnelle de Washington, offre un débouché idéal pour l'or noir de la Caspienne. En scellant cette alliance énergétique, l'Azerbaïdjan et la Géorgie se sont affranchis de Moscou, tandis que la Turquie renforçait son importance stratégique. Si les Russes ne s'y opposaient pas, un oléoduc Samsun-Ceyhan pourrait aussi acheminer du pétrole depuis le Kazakhstan.

... DU GAZODUC BLUE STREAM...

Ankara n'en garde pas moins un lien serré avec Moscou, d'autant que la Turquie est largement dépendante de la Russie pour son gaz. Fin 2006, Vladimir Poutine, alors président russe, et le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan ont inauguré en grande pompe le gazoduc Blue Stream passant sous la mer Noire. Un partenariat qualifié de "stratégique" par les deux pays, mais qui irrite Washington. Une extension de Samsun (Nord) à Ceyhan (Sud) est en projet. Moscou voit dans Blue Stream une arme supplémentaire face aux tentatives de l'Union européenne (UE) de réduire sa dépendance au gaz russe - notamment en faisant du gazoduc Nabucco un projet "prioritaire".

... ET DU PROJET NABUCCO

Car s'il finit par voir le jour, Nabucco, le concurrent du projet russo-italien South Stream, passera aussi par la Turquie en provenance de la Caspienne pour alimenter les pays européens. La compagnie turque Botas participe au consortium européen qui doit financer le projet. "L'idée de ce gazoduc est de ne pas transporter de gaz russe, explique Gareth Winrow, un expert en stratégie de l'université Bilgi d'Istanbul. Mais comment le remplir sans Gazprom ?"

IRAK, EGYPTE : PROJETS INCERTAINS

La Turquie a promis de fournir 31 milliards de mètres cubes par an à Nabucco. Un chiffre que les experts jugent irréaliste : le gaz azerbaïdjanais ne représenterait au mieux que 10 milliards de mètres cubes, tout comme le gaz turkmène qui pourrait s'y ajouter à partir de 2009, a annoncé l'UE. A condition de trouver un moyen pour l'acheminer. L'Irak, de son côté, n'envoie que 5 milliards de mètres cubes, et les nouveaux investissements tardent à se concrétiser en raison de l'instabilité qui règne dans le pays. Enfin, un projet existe avec l'Egypte (Arab Gaz Pipe), mais les réserves égyptiennes sont incertaines.

L'IRAN INCONTOURNABLE

Cette situation fait de l'Iran, qui détient les deuxièmes réserves mondiales de gaz, un partenaire incontournable, de la Turquie et de l'Europe. "Ankara se plaint du prix et de la qualité du gaz iranien, mais il n'y a pas vraiment d'alternative", souligne M. Winrow. La Turquie, dont plusieurs compagnies prospectent en Iran, devra composer avec des intérêts géostratégiques souvent contradictoires, Washington faisant pression pour maintenir Téhéran isolé.

ISTANBUL CORRESPONDANCE

Guillaume Perrier

LE MONDE
23.06.08

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