lundi, septembre 08, 2008

***Une Europe qui partage et protège, par Nicolas Hulot et François Chérèque...***


***Au moment où les crises - énergétique, alimentaire, climatique, financière, sociale - convergent dangereusement et multiplient les victimes sur la planète, nous avons plus que jamais besoin d'Europe. C'est notre meilleur socle pour répondre collectivement aux enjeux de l'époque et construire un modèle de société qui mette enfin l'économie au service de l'humain.

Or voici que l'Europe ajoute sa propre crise à celles qui accablent le monde. Quoiqu'on pense des raisons, très hétérogènes, du refus irlandais du traité de Lisbonne, celui-ci révèle encore une fois le déficit de l'institution européenne vis-à-vis des peuples qui la composent. L'Europe telle qu'elle se fait soulève de moins en moins de désir d'adhésion. Elle incarne, au contraire, les craintes de nos sociétés vis-à-vis d'une mécanique qui paraît étrangère à leurs préoccupations quotidiennes et à leurs angoisses du futur.

C'est sans doute injuste pour une part, mais il faut entendre cette protestation démocratique. Et y répondre au bon niveau. Il serait dramatique de croire qu'il suffirait d'un raccommodage juridique ou d'un artifice technique pour sortir de cette impasse. A la crise institutionnelle, il faut donner une réponse qui, justement, ne soit pas seulement institutionnelle. Réponse politique, dit-on.

La clé réside dans le choix de mettre résolument en oeuvre une ambitieuse politique écologique et sociale et de faire de celle-ci la colonne vertébrale et le moteur de la construction européenne. Autrement dit, de donner une nouvelle impulsion à la plus précieuse des valeurs, la solidarité entre les individus, les peuples, les générations et l'ensemble du vivant. Question écologique et question sociale ne se sont jamais opposées dans la mesure où les ressources naturelles constituent la base des activités humaines.

Mais elles sont plus indissociables et urgentes que jamais : c'est en économisant l'énergie que l'on préservera le climat et le pouvoir d'achat, c'est avec des logements mieux isolés que l'on réduira à la fois les gaz à effet de serre et les factures de chauffage, c'est en favorisant les activités de proximité que l'on évitera les déplacements automobiles et que l'on confortera l'emploi local (agricole, artisanal, industriel et commercial), c'est en encourageant les modes soutenables de production, de consommation, d'habitation et de déplacement, que l'on renforcera les législations sociales et que l'on créera de nouvelles activités enrichissantes, c'est en triant parmi les possibles que l'on s'orientera vers un type de croissance compatible avec les exigences de la durabilité, c'est en préservant l'air, les océans, les fleuves, les sources, les sols, les forêts, les plantes et les animaux que l'on permettra à la condition humaine de s'épanouir plus harmonieusement.

La crise multiforme des équilibres du vivant ébranle les équilibres sociaux en pénalisant d'abord les plus démunis, aussi bien dans les pays du Sud que dans les Etats industrialisés. Elle hypothèque gravement le progrès social au niveau national comme à l'échelle universelle. Récession, chômage, précarisation, famines, détresses, conflits sont au bout du chemin. En même temps, cette crise écologique redoutable présente une opportunité inespérée : elle oblige à la mobilisation des énergies de toute la société pour engager des mutations radicales vers un autre modèle économique et pour offrir un nouvel horizon de civilisation.

A l'Europe de saisir cette chance et de se montrer à la hauteur ! Avec ses 27 Etats et ses 500 millions de citoyens, elle en a la puissance et les moyens. Pour sortir du scénario noir où elle est encalminée, l'Europe doit se doter d'un projet qui concerne directement le mode de vie de ses populations, qui les engage dans une même communauté de destin. Quel meilleur point de convergence et de cohésion que de bâtir une alternative à partir des nécessités écologiques et sociales ? Quel meilleur vecteur de mobilisation que de déterminer des politiques en fonction des conditions de la vie, celle des hommes et de leur environnement ? En adoptant, en affichant cette priorité, l'Europe peut ouvrir une autre voie, pour ses populations et pour le monde.

Une Europe durable et solidaire, une Europe du juste échange plutôt que du libre échange, une Europe qui partage et protège, une Europe de la modération et de la sobriété, une Europe qui régule l'ère de l'après-pétrole, une Europe du contrat social, une Europe qui redonne du sens au progrès, bref une Europe qui rayonne comme un nouveau foyer de civilisation.


*Nicolas Hulot est président de la Fondation Nicolas Hulot.
*François Chérèque est secrétaire général de la CDFT.

Le Monde
09.09.08.

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