***Les unes après les autres, les digues ont cédé et la vague des subprimes a tout emporté sur son passage. En un an et demi, la défaillance d'un petit compartiment du crédit immobilier américain s'est transformée en crise globale et planétaire. Bancaire d'abord, puis monétaire, de changes, boursière, économique et sociale enfin, en se diffusant au monde entier. Après avoir cru qu'elle resterait cantonnée aux Etats-Unis et n'affecterait pas l'Europe, on a ensuite imaginé que les pays émergents échapperaient à la débâcle. Mais aujourd'hui, les fermetures d'usines se multiplient en Chine, la Bourse de Sao Paulo a perdu 50 % depuis le début de l'année...
La crise des subprimes, au moins, ne fait pas de discrimination. Elle frappe tout le monde. Les pays riches comme les pays pauvres, les vertueux qui dégagent des excédents budgétaires comme ceux qui affichent des déficits, les banques comme les particuliers, les multinationales comme les PME, le Pakistan comme la Norvège, la Suisse comme le Vietnam. Elle démontre, certes dans la douleur, la réalité de la mondialisation financière et économique, au-delà de ce qu'on pouvait percevoir. C'est une grande nouveauté par rapport aux récentes crises. La tempête asiatique de 1998 avait peu affecté les grands pays occidentaux. La défaillance du système financier japonais, dans les années 1990, ne s'était guère fait ressentir en dehors de l'Archipel. Quant au krach des valeurs technologiques, au début des années 2000, il n'avait pas empêché le décollage de la croissance dans les pays émergents.
Avec les subprimes, tous les pays sont soumis au même régime, sévère : banques en perdition, monnaies folles, Bourses dévastées, consommateurs déprimés et flambée du chômage. Crise mondiale, c'est sûr, crise de la mondialisation, c'est beaucoup moins certain. La crise de 1929 s'était accompagnée d'un vaste mouvement de protectionnisme. Pour tenter de protéger leur industrie, les Américains avaient adopté la loi Hawley-Smoot augmentant les droits de douane à l'importation sur des milliers de marchandises. En représailles, de nombreux pays européens en avaient fait de même, et le commerce mondial s'était effondré. Sur le plan monétaire, la réponse avait été celle du chacun pour soi, avec comme résultat la catastrophe pour tous.
Pour l'instant, rien de tel. Au contraire, c'est plutôt le "un pour tous, tous pour un". L'aggravation de la crise financière au cours des dernières semaines a même été l'occasion d'une coordination et d'une coopération sans précédent : union sacrée entre le Fonds monétaire international (FMI), l'Union européenne et la Banque mondiale pour sauver la Hongrie ; baisse concertée des taux directeurs des plus grandes banques centrales (dont la Chine, une première) ; accords de prêts tous azimuts entre instituts d'émission ; appel solennel des pays industrialisés pour contrer la flambée du yen, dévastatrice pour l'économie nippone ; négociations secrètes entre Washington et Pékin pour que la Banque de Chine ne vende pas les emprunts du Trésor américain qu'elle détient.
Même les amours-propres nationaux ont été remisés quand il s'est agi de sauver le système bancaire. Tous les pays, à commencer par ceux de la zone euro, se sont empressés d'appliquer les traitements (garanties des prêts interbancaires et injections de capital) mis au point par le bon docteur Gordon Brown.
Enfin, le FMI, à court d'argent, pourrait recevoir des fonds de la Chine et des pays du Golfe en échange d'un rôle accru dans les décisions. Les pays émergents vont être secourus par d'autres pays émergents. Bref jamais la coopération internationale n'a aussi bien fonctionné. Jamais une telle solidarité n'a été observée. Une solidarité forcée sans doute, avec le couteau sous la gorge, mais une solidarité inédite quand même. Dans les années 1990, les Occidentaux s'étaient contentés de sermonner avec arrogance les Japonais sur la façon d'assainir leur système bancaire. Quant au FMI, il avait accordé des prêts aux pays asiatiques avec autant de conditions rigoureuses que de morgue.
La crise des subprimes a renforcé les liens entre Etats plutôt qu'elle ne les a distendus, chacun ayant pris conscience, de façon très brutale, qu'au fond, "tout le monde se tient". Que la chute d'un pays fera trébucher tous les autres. Que chacun a besoin de l'autre, soit pour écouler sa production, soit pour financer sa consommation. Que la Chine a besoin d'une Amérique en forme et réciproquement. Que l'Allemagne ne peut laisser sombrer la Hongrie sans être elle-même ravagée. Cette prise de conscience s'accompagne d'un double constat. Le premier est que l'isolement équivaut à une condamnation à mort. Le Danemark pleure de ne pas appartenir à la zone euro. Il le paie par des taux d'intérêt plus élevés et il a dû faire appel, pour défendre sa monnaie devenue vulnérable, au soutien financier de la BCE sous la forme d'un swap de devises de 12 milliards d'euros.
Seconde leçon : aux yeux de tous, il est indispensable que les capitaux circulent à nouveau librement et normalement pour faire redémarrer la croissance. Le Vietnam, le Chili et bien d'autres prient pour que les capitaux américains et japonais qui se sont enfuis reviennent au plus vite, afin de financer leur développement. C'est le contraire du grand renfermement. Ce n'est pas le moindre des paradoxes : au lieu de fragiliser la mondialisation, la première grande crise mondiale la renforce.
Pierre-Antoine Delhommais
LE MONDE
01.11.08
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