mardi, novembre 18, 2008

***Twitter média de l'ère Obama...***

***Communiquer sous forme de court message texte et en temps réel avec des inconnus du monde entier : c'est l'incroyable possibilité offerte par Twitter. Un nouveau média encore non identifié qui réunit près de 3 millions de personnes et transforme ses abonnés en envoyés spéciaux de leur propre vie.

*Depuis l'élection de Barack Obama, il n'est plus permis de snober Twitter. Il l'utilise, lui. 129 000 abonnés ont eu pendant sa campagne le privilège de recevoir sur leur ordinateur ou leur téléphone portable le message : "Barack Obama vous suit maintenant sur Twitter" et d'être informés personnellement de ses activités quotidiennes, avant la presse. Jusque-là, Twitter était un peu la Kate Moss des outils de communication : une nouvelle technologie d'une simplicité d'utilisation presque anorexique et d'une discrétion, disons, très court vêtue, adorée ou détestée car elle permet d'être l'envoyé spécial de son propre quotidien ("Je mange une banane avec du Nutella") et le voyeur permanent de celui des autres ("Je suis ruiné mais content : McCain a perdu"). Sous ses airs sexy et inutiles, Twitter a tout simplement aboli la barrière des espèces entre ordinateur, téléphone portable et messageries instantanées (comme MSN, Skype ou Gtalk). Il permet de communiquer avec ses amis ou le monde entier depuis n'importe lequel de ces terminaux sur une plateforme indépendante, où coule jour et nuit le roman fou de mille vies et conversations croisées, offert à tous les yeux.

Twitter signifie gazouiller. Un message sur Twitter se nomme un "tweet", à ne jamais orthographier "twit", qui veut dire "idiot du village". Un charmant bruit de fond de leur vie sociale, c'était l'idée innocente que se faisaient les développeurs Biz Stone, Jack Dorsey et Evan Williams d'un petit prototype, bricolé en deux semaines en avril 2006, pour s'offrir une fantaisie. Ce tableau d'affichage universel pour Post-it électroniques allait les libérer de tous les fils à la patte technologiques (câbles, batteries, ordinateur, absence de Wi-Fi, incompatibilité de formats) pour garder le contact avec leur bande. Avec une seule contrainte : 140 signes (espaces compris) au maximum imposés par le format des textos (160 signes) moins 20 signes réservés à l'identifiant de l'expéditeur et des bricoles techniques. Ils mirent en place deux fonctions très simples : "Suivre" (follow), pour s'abonner aux messages d'une personne, et "Etre suivi" (followed). Pour logo, ils choisirent un petit oiseau qui aurait aussi bien fait l'affaire sur un site de tricot. Et, très optimistes, ils baptisèrent la page du service clients Get Satisfaction.

L'innocent oiseau est toujours là, mais Twitter vit depuis des heures hitchcockiennes. Partie de rien, la fréquentation a augmenté de 466 % depuis septembre 2007. GigaTweet, le compteur conçu par un fan de Twitter, se prépare au milliardième tweet. A 9 h 09, le 10 novembre, nous en sommes à 998 471 000. Tout est parti de ses utilisateurs, une nouvelle diaspora d'humains très mobiles, adultes et actifs, avec pour la plupart un long passé sur Internet, tous volontaires pour une nouvelle forme d'intimité numérique extrême et permanente. Soit environ trois millions de personnes, dont 21 000 en France et zéro au Puy-en-Velay. Pour l'instant.

Le premier secret de la fièvre Twitter semble être : 140 signes, pas plus. Dans cet espace exigu, une nouvelle sténographie des conversations est née. Le jeu est de faire nicher autour de l'information, dans un espace subliminal, l'ironie, l'humeur, les sentiments. Dès que les pionniers sur Twitter ont trouvé le moyen de communiquer entre eux, en collant un @ au nom de l'utilisateur que l'on cherche à joindre, un réseau social pouvait naître.

On y trouve maintenant autant des hommes d'affaires que les @twitteritas ("les filles qui aiment twitter"), toujours prêtes à organiser un tweet-up (réunion de personnes rencontrées sur Twitter) ou les @twittermoms (les mamans qui twittent) qui en font leur square virtuel pour papoter à distance. Ici, pas de règles, sinon de faire court : chacun est libre de lire ou de participer, de l'utiliser comme talkie-walkie mondial, comme un Google de l'opinion, ou comme un juke-box d'informations, en posant des questions à la communauté.

Pour décrire leur créature, Biz Stone et Jack Pearce parlent de "microblogging" (blog de poche ? blog de brousse ?), ce qui horripile les vrais "twittereurs". Le blog est un salon, qui exige du temps, un fauteuil confortable, et un propos. Twitter est mobile, un échange bref qui fuse et s'éteint, mais peut être ranimé à tout instant.
Eric Suis-je fou ? Je viens d'acheter 1 000 actions Alcatel
Claire@Eric Combien, l'action ?
Eric@Claire 1, 70 €
On manque aussi de mots pour décrire les sensations que procure Twitter. La secrète satisfaction de lire que les PDG s'ennuient au bureau, eux aussi, et qu'ils l'avouent sur Twitter pendant les conseils d'administration. L'émerveillement toujours renouvelé d'obtenir une réponse fulgurante de l'autre bout du monde à une question pointue, envoyée par texto sur Twitter depuis sa cuisine.
Claire Pour recette cookies US. C'est combien 8 onces ?
FengHongkong 8 onces, c'est une tasse.

Et comment définir le vertige de se trouver physiquement dans le métro parisien, le téléphone au creux de la main, branché sur son compte Twitter. Mais aussi à l'aéroport de Munich avec Eléonora ("Retard. Et pourtant, c'est KLM.") Devant le Frigo de Preetam, en Malaisie ("J'ai envie d'un biriani.") Au Salon de l'Auto ("Sarkozy arrive au stand Renault.") A la maternité avec Mona ("Dépassé terme depuis 2 jours.") Pris dans une conversation entre des inconnus ("C'est moi qui ai pris les DVD" , "J'avoue, je n'ai jamais lu Le Clézio"). Sois sage, ô ma migraine : ce ne sont que nos synapses qui s'adaptent à une nouvelle ubiquité mentale.

L'autre secret de l'intimité spontanée qui naît entre inconnus sur Twitter est le "je". La NASA l'a appris par hasard. Véronica McGregor assurait la communication de la mission Phoenix en route vers Mars quand il fut décidé d'ouvrir le compte twitter @MarsPhoenix pour que les passionnés puissent lire les brèves depuis leur téléphone mobile, un jour férié. Mais comment parler astrophysique en 140 signes ? "J'écrivais le vaisseau spatial a parcouru… et déjà, la moitié de l'espace était occupé. J'ai commencé par supprimer des mots. Puis j'ai fini par dire Je , comme si j'étais la sonde Phoenix. C'est moins long." Passé le choc de recevoir depuis Mars le message :
MarsPhoenix "Atterrissage génial ! J'ai pris l'air pendant quelques secondes en chute libre, avant ouverture parachute. Wheee !"
les abonnés ont adopté la petite voix malicieuse, devenue une star avec 36 484 "followers". Les questions de fans au petit robot sont si nombreuses que Véronica y consacre ses journées et le fera jusqu'à épuisement des batteries de son double sur Mars.

out le reste n'est que surprises. Personne n'avait prévu que les utilisateurs inventeraient spontanément de nouveaux usages, et que le joujou Twitter donnerait le meilleur de lui-même dans l'extrême : l'urgence, la crise, l'actualité à son point d'ébullition.

Le 29 juillet dernier, à Los Angeles, à 11 h 42 du matin, l'utilisatrice @thevixy a officiellement battu l'agence Associated Press de neuf minutes en lançant l'alarme d'un seul mot sur Twitter :
thevixy Earthquake
Durant cet intervalle, le mot "earthquake" (tremblement de terre) a surgi 3 600 fois sur la plate-forme Twitter.

Lors du passage de l'ouragan Gustav sur le Middle West, à Edmond, en banlieue d'Oklahoma City, le dialogue sur Twitter entre habitants et anges gardiens lointains ne s'est jamais interrompu.
Terrystorch Dans placard avec famille. Tornade !
Flowerdust Dégâts sur Edmond. Tweets d'Edmond, donnez de vos nouvelles, s'il vous plaît !
Theblanchard Electricité vient de sauter
Flowerdust Tornade touche terre. Sur Penn Street et la 178e.
Terrystorch @Flowerdust Où, à Edmond ?
Flowerdust Tweets d'Edmond, soyez prudents ! Terrystorch ???

Dès juillet 2007, convaincue par l'utilisation spontanée et efficace de Twitter durant les feux de forêts californiens, la Croix rouge américaine avait ouvert sur Twitter son service @Safe&Well (Sain & Sauf). 20 212 personnes ont utilisé ce central où les rescapés des catastrophes naturelles peuvent laisser un message pour leurs proches : nom, état de santé, lieu où ils se sont réfugiés Twitter a déjà ses légendes. Twitter sauve des vies, ce qui est vrai. Twitter vous évite la prison. En Egypte, le 6 avril dernier, il a suffi à James Buck, un étudiant américain raflé pour avoir pris des photos d'envoyer un seul mot par SMS sur son compte Twitter :
James Buck Arrested

L'alerte a aussitôt mobilisé ses "suiveurs", puis son université qui l'a fait libérer. La belle histoire ne mentionne pas que son accompagnateur égyptien a écopé de trois mois de prison et que tous les opposants au Moyen-Orient ou d'ailleurs utilisaient Twitter depuis ses débuts comme PC virtuel pour coordonner leurs actions et agir vite en cas d'arrestation d'un des leurs.

Quand tout est détruit, quand les frontières sont fermées, Internet absent ou interdit, il reste cette nouvelle plate-forme, accessible depuis les téléphones mobiles, pour créer des ponts entre individus ou continents.

Au lendemain du cyclone Nargis en Birmanie, May, une étudiante birmane, a spontanément ouvert depuis Fidji où elle vit le fil d'infos temporaire @mmblogs sur Twitter pour rassembler et traduire en anglais et birman, toutes les informations disponibles sur le Net et par son réseau. Kenya, Inde, Pakistan… Après chaque désastre ou attentat, les témoins sur les lieux sont devenus via Twitter les premiers et souvent uniques envoyés spéciaux. C'est vers eux, toujours sur Twitter, que se tournent les diasporas inquiètes pour obtenir des informations sur leur famille ou leur village.

Alors qu'il s'agit d'une utilisation encore confidentielle, les twittereurs chinois et étrangers concentrés sur Pékin lors des Jeux olympiques ont donné un avant-goût de ce que pourra être la couverture des grands événements par ce nouveau média. Des centaines de fils d'infos thématiques de passionnés ont écrit le minute-par-minute de chaque discipline ou athlète, même obscur, tandis que les spectateurs, armés de leur téléphone portable, se chargeaient des "tweets d'ambiance" par textos.

terencelau Sur Tiananmen – vu un type blanc en robe de Jésus, grande barbe, croix géante autour du cou. bizarre marcvanderchijs Il y a 91 000 sièges dans le Nid d'oiseau et j'ai réussi à voir mes parents de l'autre côté stade.
tchang Rassurez-moi. Usain Bolt est bien un humain, n'est-ce pas ? : )
fotograaf Je fais la fête au Club China Doll, à Pékin. Mais que font tous ces athlètes ici ??!!?
olaerik Norvège ! Médaille d'or ! Hey Hey ! Norvège !!!!!
chadcat Quelqu'un a des billets pour tennis Chine-Japon vendredi ?

La Chine avait pris soin de faire fermer les clones chinois de Twitter, mais elle ne pouvait brouiller tous les réseaux. Le 14 août dernier, dans un contexte explosif pour les cyberdissidents chinois, c'est sur Twitter que le "subversif" blogueur @Zuola a lui-même chroniqué, sans doute pour la toute première fois, son interpellation.
zuola Les deux personnes venues ce matin sous prétexte que j'ai violé la loi de l'enfant unique sont ici avec directeur de la sécurité Mr Liu, maintenant. Ils m'ont obligé à les suivre. 16 h 08
zuola Suis dans véhicule immatriculation A 94360 sur la route de Meitanba, il y a quatre personnes dans véhicule. 17 h 20

Envoyés sur Twitter depuis son Blackberry, à la barbe de son escorte, les tweets de Zuola avaient fait le tour du globe avant même qu'il soit fixé sur son sort. En fin de journée, le Twitter-Tintin était chez ses parents, simplement assigné à résidence. Mais la nouvelle, emportée aux quatre coins du monde par les flux RSS, avait pris un air d'atteinte majeure aux droits de l'homme. D'un maniement délicat, Twitter s'impose cependant en tant qu'outil de veille sur l'actualité et les opinions, au point d'avoir maintenant sa propre émission sur CNN, "Rick Sanchez Direct".

L'intérêt de ce nouveau moyen de communication n'a pas échappé aux gens sérieux. Des clones de Twitter pour l'entreprise, bien moins ludiques, mais plus rentables, sont en développement. Les DRH accepteront-ils un jour les arrêts-maladie envoyés de notre portable, en 140 signes, avec lien vers l'ordonnance en ligne du médecin ? Rien n'est impossible.

D'autres sensations nous attendent. Couplée à Twitter ou l'un de ses nouveaux concurrents, une géolocalisation fine par GPS permettra de visualiser qui parmi vos "amis" électroniques ou réels se trouvent physiquement à proximité. Ce qui laisse présager quelques soucis pour notre vie privée, mais aussi l'espoir de trouver directement aux Galeries Lafayette une partenaire disponible pour faire les soldes, en consultant simplement le radar de son téléphone portable.

Déjà, les marques essaient d'installer leur "communication corporate" sur Twitter. Le Viagra n'est peut-être plus très loin. Les vrais twittereurs sont tristes : sur ce canal libre, ils avaient retrouvé la créativité, la bonne humeur et le grain de folie d'Internet au siècle dernier.

On peut deviner comment se sifflera la fin de la récréation. Au Brésil, la Cour suprême a ordonné le 29 août dernier la fermeture du faux compte Twitter de la vraie Luizianne Lins, candidate à la mairie de Fortaleza, quatrième ville du pays, animé par un opposant motivé. Twitter compte aussi neuf faux Nicolas Sarkozy, d'innombrables fausses Sarah Palin, un faux Bill Clinton, qui ne font pas tant d'histoires. Et même un faux @areva, qui s'amuse pour l'instant en paix : "Chez AREVA, on a décidé d'affamer les petits Ethiopiens après avoir pillé les Touaregs du Niger. " Au pire, il nous restera les personnages historiques.
De Marie-Antoinette Dans charrette. Coupe au bol affreuse. Guillotine en vue. Très dur. Adieu.
Napoléon Toujours à Elbe. Halte à la dépression. Pris décision. Je me tire.

L'encyclopédie en ligne Wikipedia assure que le premier message de Samuel Morse le 24 mai 1844 était un verset de la bible (Nombres 23 : 23) : "What hath God wrought ?" (Que fait donc Dieu ?) Les premiers mots prononcés au téléphone par Graham Bell : "Mr. Watson, come here, I want to see you." (M. Watson, venez, je veux vous voir.) Mais quel a été le tout premier "tweet", le nouveau code morse des foules numériques ? Cette fois, Wikipedia ne sait pas. Hop, Twitter, pour poser directement la question au fondateur, Biz Stone.
Claire @biz Comment était formulé votre tout premier tweet ?
C'est Jack Pearce qui a envoyé le premier, de San Francisco.
biz@Claire Inviting co-workers.
(J'invite les collègues.)

Claire Ulrich
LE MONDE 2
14.11.08

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