mercredi, décembre 10, 2008

***L'essoufflement d'Erasmus...***

***Paradoxe ? Au moment où la ministre de l'enseignement supérieur, Valérie Pécresse, assure urbi et orbi son désir que "la mobilité des étudiants européens devienne la règle et non plus l'exception", le plus populaire des programmes européens ne fait plus recette. Erasmus, qui a entraîné, en un peu plus de vingt ans quelque 1,7 million d'étudiants hors de leurs campus nationaux, ne séduit plus. Ou plutôt il séduit moins. Quand les jeunes des nouveaux pays membres sont encore en appétit, la Vieille Europe fait la fine bouche. Toujours attractif en Pologne et en Hongrie notamment, ainsi qu'en Turquie, où il a connu une progression de plus de 10 % au cours de l'année universitaire 2006-2007, il s'essouffle en Allemagne, stagne en Belgique et en Suède, progresse peu en France - au point que près de 5 000 bourses n'ont pas trouvé preneurs -, baisse en Espagne, au Danemark, en Finlande, en Irlande, en Grèce..

Autant dire que l'objectif, volontariste, de 3 millions d'étudiants Erasmus d'ici à 2012 a déjà du plomb dans l'aile. Surtout, sachant que la mobilité ne concerne d'ores et déjà qu'un nombre très restreint d'étudiants (4 % en Europe) et d'universités (679 sur 3 500) de l'Union, le moteur de la mobilité étudiante serait-il grippé avant même d'avoir réussi à devenir une norme ? Averti de ce raté d'une des rares success stories européennes, Bruxelles avance plusieurs explications à cette baisse de régime : la conséquence de réformes des études dans de nombreux pays, l'absence de financements, le manque d'information et enfin la difficulté de reconnaissance des diplômes.

La consécration du "processus de Bologne" qui organise depuis 1999 les études supérieures sur le modèle de la licence, du master et du doctorat et instaure un système de crédits universitaires (European Credit Transfer System), facilitant les échanges et les reconnaissances réciproques entre les universités, a aussi ses effets collatéraux négatifs. Comme en Allemagne, où les étudiants avaient coutume de prendre leur temps. En ramassant la durée d'un bachelor (équivalent de notre licence) de trois à quatre ans, la réforme a contribué à raccourcir des études notoirement longues. Mais elle freine aussi les appétits des jeunes Allemands pour l'étranger, sommés d'apprendre autant mais plus vite.

Qu'Erasmus reste une affaire de privilégiés et exclut, pour des raisons financières, un grand nombre de jeunes est également une certitude. Le montant des bourses Erasmus ne permet pas aux familles de couvrir tous les frais liés à un séjour prolongé à l'étranger. Pour lever ce frein et contourner la faiblesse du budget européen consacré aux programmes d'échange, Bruxelles cherche à ouvrir des possibilités de prêts à taux zéro via la Banque européenne d'investissement. Un projet émis avant la crise financière.

Aussi incroyable que cela paraisse, Erasmus reste mal connu. Plus d'un tiers des jeunes Français (32 %), interrogés par l'IFOP pour Touteleurope.fr et Letudiant.fr déclare "ne pas connaître" le programme européen. Enfin, preuve que l'Europe universitaire n'est pas encore cet espace de confiance que la plupart des gouvernements de l'Union appellent de leurs voeux, 17 % des étudiants, selon la dernière enquête réalisée par Erasmus Student Network, rencontrent de graves difficultés de reconnaissance de leur diplôme. La Grèce a même été condamnée en octobre par la Cour européenne de justice pour non-reconnaissance de diplômes, en l'occurrence un diplôme d'ingénieur.

Ces raisons "techniques" n'expliquent cependant pas tout. La qualité des séjours est aujourd'hui en cause au moins autant que la quantité. La "valeur ajoutée" d'un semestre ou d'une année sur un campus étranger est de plus en plus mise en doute. Les exemples foisonnent de ces étudiants Erasmus aux emplois du temps universitaires faméliques, aux difficultés linguistiques telles qu'elles ne permettent pas un suivi sérieux des cours, de notes complaisantes. Chacun sait qu'il est impossible ou presque de ne pas valider son semestre ou son année Erasmus ! Les universitaires commencent à se plaindre ouvertement de ces séjours à vocation plus touristique qu'universitaire. L'Auberge espagnole, le film de Cédric Klapisch, qui a fait un malheur auprès des jeunes, fait désormais l'effet d'une mauvaise pub. Ce qui était considéré comme positif - peu importe le contenu académique, un séjour dans un autre pays ouvre l'esprit - commence à être remis en question.

"LES UNIVERSITÉS FONT DU CHIFFRE"

"La qualité, c'est là-dessus que portent mes critiques", indique ainsi Dieter Leonard, le président de l'université franco-allemande (UFA). Alors que l'Espagne est la première destination des étudiants européens, il déplore que les professeurs de l'université d'origine "ne connaissent souvent ni les programmes suivis ni les compétences acquises" d'un étudiant qui va à Madrid. Comme pour beaucoup de ses collègues, il craint surtout qu'Erasmus ne dévalorise les doubles diplômes et autres diplômes conjoints qu'une université telle que l'UFA met en place. "Les universités font du chiffre, le nombre de conventions bilatérales (qui vérifient les contenus des "crédits" échangés) est réduit, tout cela ne traduit pas une véritable coopération universitaire", regrette Olivier Audéoud, président de la Commission internationale de la Conférence des présidents d'université (CPU).

Plus ennuyeux, Erasmus se révèle également décevant sur le plan professionnel. Des études à l'étranger n'ont plus l'impact positif qu'elles avaient sur l'entrée dans la vie active des étudiants. Au terme d'une enquête fouillée, deux chercheurs allemands, Harald Schomburg et Ulrich Teichler, démontrent ainsi que "de moins en moins d'étudiants mobiles notent un réel impact de leurs expériences internationales sur leurs carrières". Effet de la banalisation bien sûr : le nombre des étudiants pouvant faire valoir une expérience à l'international augmente. Les recruteurs commenceraient-ils, eux aussi, à faire le tri ? "Moins les expériences internationales sont sélectives, moins elles créent de différences", notent les chercheurs.

Déjà menacée à court terme par la crise et à long terme par la baisse démographique - l'Europe comptera 10 % de 16-29 ans en moins d'ici à 2020 -, la mobilité mérite mieux que des séjours au rabais. Les universités doivent entendre le message si elles ne veulent pas tuer la mobilité étudiante avant même que celle-ci ait eu le temps de profiter à tous leurs étudiants.

Service Planète
Courriel : perucca@lemonde.fr

Brigitte Perucca
10.12.08.
LE MONDE

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