***Daniel Cohn-Bendit revient sur la scène nationale, dix ans après sa première campagne européenne en France. Il parle de la crise, du mécontentement social, de la panne d'Europe et de Nicolas Sarkozy dont il admire "l'énergie" mais ne supporte pas "la dépendance qu'il crée". A 64 ans, l'ancien leader de Mai 68 explique au Monde qu'il juge la France "fragile" et trop encline à "se donner" à un homme politique ou à une cause, au risque de la déception.
A la tête de la liste Europe Ecologie en Ile-de-France, il fait campagne aux côtés de José Bové et d'Eva Joly, brigue un troisième mandat européen davantage en rival de François Bayrou que des amis d'Olivier Besancenot. Pour lui, pas question d'appeler à un vote-sanction contre Sarkozy. Mais prôner une conversion écologique de l'économie.
Près de 70 % des Français disent que les élections européennes ne les intéressent pas. C'est un nouveau désamour ?
On a toujours eu des difficultés, en France, à faire de la pédagogie sur l'Europe. Ce n'est pas nouveau. Un autre phénomène joue : la délégitimation du politique. Il s'observe partout, mais frappe encore plus la politique européenne car elle est la plus difficile à percevoir.
Et puis il y a cette particularité française : l'élection présidentielle rend la classe politique folle. Tout se conçoit, tout s'organise autour de cette échéance. Ailleurs aussi, les élections européennes sont biaisées par les campagnes nationales. En Allemagne par les législatives, en Belgique par les régionales. Or la politique européenne ne répond pas à la même logique : elle ne se réduit pas à l'opposition droite-gauche et ne peut s'imposer que par son contenu, parce que les majorités sont mouvantes.
L'Europe a-t-elle été assez protectrice dans cette crise ?
Aucun responsable gouvernemental n'a osé avancer de propositions pour transformer les statuts de la Banque centrale européenne ou réformer les institutions. La crise a conduit à la renationalisation des comportements au détriment de l'intérêt général européen. On l'observe chez les commissaires comme chez les parlementaires. Prenez le premier paquet climatique, un très bon projet. A peine présenté par José Manuel Barroso (président de la Commission), le commissaire à l'entreprise et à l'industrie, Günter Verheugen, déclare que cela nuit à l'industrie automobile allemande. Barroso aurait dû dire : "Verheugen, tu te tais ou tu te tailles ! Tu n'es pas le représentant de l'industrie allemande !"
Même chose au niveau du Parlement : pour la défense de l'industrie allemande, vous avez les conservateurs allemands, poussés par le patronat de l'industrie automobile allemande, et les socialistes, poussés par les syndicats de l'industrie automobile allemande. Ce n'est pas ça, l'intérêt général européen. Cette renationalisation des comportements est quelque chose de très dangereux.
A 64 ans, Dany l'europhile baisse les bras ? L'Europe politique, c'est fichu ?
On a gagné deux paris fondamentaux : la paix et la démocratie. Ce qu'on n'a pas réalisé, c'est le rêve social et le rêve écologique. Notre tâche, c'est ça : construire les possibilités pour les générations futures de réaliser ce rêve. L'Europe politique se fera avec une Europe constitutionnalisée.
Le non au traité constitutionnel est une réalité. Mais en tout état de cause, si on veut une Europe politique, responsable, si on veut répondre de manière intelligente à l'élargissement à la Turquie ou à l'Ukraine, on doit entrer dans un nouveau processus constituant.
La crise est-elle une menace pour l'Europe ?
J'avoue que je ne me posais pas la question jusqu'à ce que je déjeune il y a une dizaine de jours avec Joschka Fischer (ancien ministre des affaires étrangères (Verts) du gouvernement Schröder). J'ai été frappé par son inquiétude, ses références à l'histoire, notamment la crise de 1929. L'incapacité des acteurs européens à faire jouer à l'Europe le rôle qui devrait être le sien est une mise en danger de l'utopie européenne. Je pensais l'unification européenne irréversible. J'en suis moins convaincu aujourd'hui.
A quoi la présidence française a-t-elle servi ?
Nicolas Sarkozy a eu de bonnes intuitions mais il n'a pas compris que, pour faire bouger les lignes, il fallait mettre les autres en confiance. L'Europe n'a que cinquante ans, elle est fragile, elle a besoin de confiance. Nicolas Sarkozy n'a pas su la lui donner parce qu'il éprouve toujours le besoin de se mettre en avant. En face de lui, Angela Merkel avait peur de son ombre à cause des élections à venir. A eux deux, ils ont été incapables de faire avancer l'Europe.
Pourtant, vous semblez parfois séduit par Nicolas Sarkozy ?
Ce qu'il y a de fascinant chez lui, c'est son énergie, sa capacité d'avancer. Mon fils me dit souvent : "Arrête d'attaquer Sarko, il est comme toi !" Moi, je ne suis pas d'accord, parce que ce qui est insupportable chez lui, c'est la dépendance qu'il crée : si vous n'êtes pas avec lui, vous êtes contre lui. Dès que vous êtes dans sa roue, vous devez renoncer à vos convictions.
A la Commission européenne, Michel Barnier défendait l'adhésion de la Turquie à l'Europe. Aujourd'hui, il est contre. Mon ami Bernard Kouchner a écrit un livre avec moi pour défendre cette adhésion. Aujourd'hui, il argue du comportement d'Erdogan (le premier ministre turc) au sommet de l'OTAN pour changer d'avis. C'est minable comme argument, car qu'a fait Erdogan pendant quarante-huit heures ? Du Sarko, pour obtenir un maximum d'engagements des Etats Unis.
Pourquoi la gauche a-t-elle tant de peine à s'opposer à Nicolas Sarkozy ?
Normalement, c'est elle qui incarne le volontarisme. Là, elle se trouve débordée. C'est pour cela qu'il ne faut pas chercher à faire campagne contre Sarko. Il faut se différencier de lui.
*La suite :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/04/18/daniel-cohn-bendit-la-fragilite-de-nos-societes-est-dangereuse_1182438_3214_1.html
Propos recueillis par Françoise Fressoz, Marion Van Renterghem et Sylvia Zappi
19.04.09.
Le Monde
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