jeudi, mai 21, 2009

*Une démission qui ne règle rien...*

***Conséquence du scandale des notes de frais extravagantes de certains députés britanniques, le président de la Chambre des communes a décidé de quitter son poste. Une décision qui traduit bien l'ampleur de la crise du système politique outre-Manche.

Il y a seulement quelques années, presque tous ceux qui s’intéressaient à la politique pensaient qu’elle était devenue extrêmement ennuyeuse. On savait en général qui allait remporter la prochaine élection et devenir Premier ministre. Il y avait de temps en temps un petit scandale, toujours amusant mais rarement grave. Les véritables crises – telles l’expulsion de la Grande-Bretagne du mécanisme de change du système monétaire européen et l’invasion de l’Irak – étaient graves mais rares. Tout cela a changé. La politique est devenue plus grave et moins prévisible. L’économie est dans un triste état, le mandat de Gordon Brown constamment menacé, la direction du Parti conservateur jeune et inexpérimentée, personne ne sait qui va gagner les prochaines élections (ni même si quelqu’un va gagner) et la Constitution elle-même, qui était jadis l’ancre de miséricorde du système britannique, a bien l’air de ne pas pouvoir tenir. Nous sommes complètement déboussolés et la mer est agitée.

Et voilà que Michael Martin, le speaker, le président de la Chambre des communes, démissionne. Le dernier président à avoir été contraint à la démission, sir John Trevor, en 1965, n’était même pas président de la Chambre des communes du Royaume-Uni ou de Grande-Bretagne. Il n’était que président de la Chambre anglaise des communes. Son crime avait été d’accepter un pot-de-vin de 1 000 livres de la ville de Londres pour faciliter les débats sur une loi relative aux orphelins. Sir John ne perdit pas seulement ses fonctions de président, il fut également chassé de la Chambre. Il paraît qu’il louchait tellement que, lorsqu'il était encore en poste, les députés qui souhaitaient parler ne pouvaient pas dire lequel d’entre eux avait attiré son regard. Michael Martin a souffert d’une affection plus grave : il s’est montré aveugle, il n’a pas vu la nature extravagante de certaines de ses notes de frais, pas vu qu’il fallait réduire les frais que les députés pouvaient légitiment se faire rembourser dans le respect du règlement, qu’il fallait changer les règles, qu’il fallait davantage de transparence et surtout pas vu jusqu’à avant-hier que sa position au Parlement était devenue intenable. Maintenant qu’il a ouvert les yeux, on peut se demander ce qu’il voit quand il se regarde dans la glace. L’une des choses les plus tristes dans cette affaire, c’est que Michael Martin est parvenu à ruiner la réputation de la fonction de président de la Chambre.

Pendant au moins une génération, les députés et l’opinion vont regarder le président, quel qu’il soit, d’un œil scrutateur en se demandant ce qu’il est en train de trafiquer. Jusque récemment le président était perçu comme “le premier roturier du pays”, une personnalité honnête, impartiale, au-dessus de tout soupçon, au-dessus de la mêlée partisane, au service non seulement des députés mais de toute la population. George Thomas et Betty Boothroyd, qui furent des présidents très appréciés, avaient ce sens-là de leur fonction. Le président de la Chambre est en outre le représentant et le symbole des valeurs britanniques à l’étranger, il participe à des conférences et à des séminaires dans l’ensemble du monde démocratique. Malheureusement pour lui, le successeur de Michael Martin va s’entendre demander comment il se fait que, pour la première fois depuis plus de trois siècles, un président de la Chambre des Communes a été incapable de conserver la dignité de sa fonction.

Il faudra qu’il soit capable de répondre à cette question, en particulier parce que les problèmes qui ont entraîné cette démission ne vont pas disparaître. Comme le bouc émissaire biblique, Michael Martin n’a pas été sacrifié mais chassé dans le désert politique, mais contrairement au bouc émissaire biblique, il n’a pas porté sur sa tête “toutes les transgressions des enfants d’Israël”. Les transgresseurs et leurs péchés sont toujours là. Et certains d’entre eux échapperont selon toute probabilité à l’abattage.

* Anthony King est professeur à l’université d’Essex et auteur de The British Constitution (La Constitution britannique).

Anthony King
The Daily Telegraph
Courrier international
20.05.2009 

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