***Cela fait trente ans que le Parlement européen est élu au suffrage universel direct. En près d'un tiers de siècle, son rôle a fondamentalement changé : en 1979, il était essentiellement consultatif ; aujourd'hui, il est l'institution-clé de l'Union européenne.
Pourtant, en France, les électeurs ne semblent pas avoir perçu cette évolution. L'élection européenne paraît, pour nombre d'entre eux, un scrutin sans grande conséquence.
Au mieux, il leur permet de punir le gouvernement en place, voire de se défouler en votant pour des partis extrêmes. Au pire, pour beaucoup d'autres, c'est un scrutin sans enjeu qui ne mérite pas qu'on s'y intéresse : lors des élections de 2004, moins de la moitié des électeurs avaient jugé utile de se déplacer.
Est-ce raisonnable que les citoyens français se privent du droit qui leur est donné d'agir sur la marche de l'Europe ? Nous ne le croyons pas.
Ceux qui critiquent la Commission européenne doivent savoir qu'elle agit sous le contrôle du Parlement européen. Celui-ci investit le président de la Commission, auditionne chacun des commissaires pressentis, puis investit l'ensemble du collège des commissaires ; il peut à tout moment renverser la Commission.
Et ces pouvoirs ne sont pas théoriques. En 2004, le Parlement européen a récusé deux commissaires pressentis. En 1999, il a provoqué la chute de la Commission présidée par Jacques Santer. Est-il cohérent de se plaindre, comme on aime à le faire dans notre pays, d'une Commission européenne trop "lointaine", trop "bureaucratique" et de se désintéresser en même temps des élections européennes, qui donnent aux citoyens le moyen de la contrôler par l'intermédiaire de leurs représentants ?
Ceux qui critiquent la législation européenne ou le budget européen doivent savoir que, depuis les changements apportés par les traités de Maastricht, d'Amsterdam et de Nice, aucune décision essentielle en Europe ne peut être prise sans l'accord du Parlement européen. Avec le traité de Lisbonne, ce pouvoir de codécision ne connaîtra pratiquement plus d'exceptions. Qu'on se souvienne, par exemple, de la "directive Bolkestein", qui a été si souvent mise en avant lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel : si ce texte a cessé de susciter la controverse, c'est parce qu'il a été complètement réécrit par le Parlement européen, qui a pris en compte les inquiétudes qui s'étaient exprimées. Là également, est-il cohérent de se plaindre de la "législation imposée par Bruxelles", et de rester chez soi quand il s'agit de choisir ceux qui la font ?
La construction européenne demeure la grande affaire politique de notre temps. C'est elle qui permet aux pays qui constituent l'Union européenne d'avoir, ensemble, un poids dans un monde de géants.
Et qu'on ne dise pas que l'Europe est incapable d'utiliser ce poids : durant la présidence française, l'Union a montré qu'elle était capable d'être réactive et d'avoir un grand rôle dans la concertation mondiale pour lutter contre la crise financière et économique. Grâce à la construction européenne, nos pays qui, après deux guerres mondiales, avaient cessé d'être des acteurs de l'histoire, sont en train de reconstituer, ensemble, un pôle d'influence. N'est-ce pas un débat majeur que de savoir dans quel sens cette influence va s'exercer ?
Le choix des députés européens est un des plus importants de ceux que doivent faire les citoyens. Céder à la tentation du vote protestataire, c'est prendre le risque que l'influence des représentants français soit réduite à presque rien ! Au sein du Parlement européen, l'extrême gauche comme l'extrême droite sont là pour entretenir une agitation purement négative : ce n'est pas sur elles qu'on peut compter lorsque les intérêts et les valeurs de notre pays sont en jeu.
Or le Parlement européen, qui sera élu le 7 juin, aura à se prononcer sur ces questions essentielles : faut-il conserver une politique agricole commune ? L'Europe doit-elle se doter d'une politique industrielle ? Faut-il aller plus loin dans la libéralisation ou mettre en place de nouvelles régulations du commerce mondial ? Comment réorienter nos économies et nos sociétés vers le développement durable ? Faut-il aller vers plus d'harmonisation sociale en Europe ?
Lorsque ces questions capitales seront abordées, ne serait-il pas consternant que la plupart de nos représentants incarnent un folklore politique dérisoire au lieu d'être des élus responsables, capables de peser sur l'issue des débats ?
La construction européenne est une affaire sérieuse. Nous avons besoin de députés européens - qu'ils soient de droite, de gauche ou du centre - se reconnaissant dans les valeurs européennes et décidés à agir efficacement pour sortir l'Europe d'une crise économique et sociale sans précédent.
C'est dans la construction européenne que se joue une part déterminante de notre avenir. Il est temps que tous ceux qui en sont conscients s'emparent du scrutin du 7 juin pour participer au choix de cet avenir. Il faut se saisir de ce scrutin comme d'une chance !
Gérard Larcher est président du Sénat ;
Hubert Haenel est président de la Commission des affaires européennes du Sénat.
Le Monde
Article paru dans l'édition du 02.05.09.
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