***L'Union européenne en passe de rater sa sortie de crise, par Frédéric Lemaître :
Malgré sa marginalisation à Copenhague, l'année 2010 ne commence pas forcément sous de mauvais auspices pour l'Union européenne, notamment la zone euro. Les Etats-Unis ? Moins d'un an après son arrivée au pouvoir, Barack Obama semble avoir épuisé une partie de son crédit dans l'adoption ô combien laborieuse de sa réforme de la santé. Sur le plan international, son aura a pâli en raison de son manque d'ambition à Copenhague.
Le chômage continue de monter, la gauche démocrate lui reproche ses concessions à Wall Street et sur le plan financier, rien n'est réglé. Certes, les banques renouent avec les profits mais le déficit public est tel que certains gros investisseurs menacent de ne plus financer la dette américaine. La britannique non plus d'ailleurs. Une dégradation de la note de ces deux pays et donc un renchérissement du coût du crédit n'est plus une hypothèse absurde.
La Chine ? Bien sûr, son insolente santé économique fait d'elle davantage qu'un partenaire : une véritable planche de salut de l'économie mondiale. Mais son arrogance effraie autant que son dynamisme attire. Surtout, les Occidentaux perçoivent d'importantes discussions au sommet entre les partisans de la poursuite du modèle actuel - yuan faible, exportations massives - et ceux qui, conscients de sa non-durabilité, prônent un développement centré sur la consommation.
Alors que le Japon s'enfonce dans la crise, que l'Inde reste protectionniste, que le Brésil prépare l'après-Lula - la polémique sur les Rafale le prouve - et que la Russie n'a toujours pas tiré les enseignements de son effondrement spectaculaire en 2009 (- 9 % de croissance), l'Europe ne manque pas d'atouts. Politiquement, les affres du traité de Lisbonne appartiennent au passé. Le président de l'Union européenne (UE) est en place.
Economiquement, la reprise se dessine dans la zone euro, notamment en Allemagne. Finalement, grâce aux stabilisateurs sociaux - chômage partiel, protection sociale -, l'augmentation du chômage a été moins forte que prévu et aucun grand pays n'a connu de crise majeure. Sur le plan financier, Jean-Claude Trichet à la présidence de la Banque centrale européenne a commis un sans-faute depuis le début de la crise et les banques de la zone euro (notamment les grandes banques françaises) devraient sortir renforcées.
Alors que le modèle des banques anglo-saxonnes - se comporter en supermarchés de la finance - est remis en cause, celui de la zone euro - davantage axé sur l'accompagnement des entreprises dans leur développement - est conforté. Si la place à venir de la Réserve fédérale dans la régulation financière fait l'objet de très vifs débats à Washington, nul ne conteste plus de ce côté-ci de l'Atlantique la pertinence du modèle français repris par la zone euro : le contrôle de la solidité des banques par la banque centrale au motif que le payeur en dernier ressort doit avoir toutes les données en sa possession.
Pourtant, la situation de la zone euro est loin d'être aussi idyllique. Il n'est même pas exclu qu'in fine, elle sorte davantage affaiblie de la crise que les autres acteurs. D'abord parce que la régulation de la finance ne tourne pas à son avantage. Faute d'être vraiment capables de contrôler les banques, les autorités de tutelle sont tentées d'imposer à celles-ci de disposer de plus de fonds propres pour limiter les risques. Rien de plus logique. Sauf qu'en Europe continentale, les banques financent les deux tiers des crédits contre un tiers seulement aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne où les entreprises font le plus souvent directement appel aux marchés financiers.
Selon les banquiers européens, la crise née des excès des marchés américains pourrait donc paradoxalement conduire à handicaper les banques traditionnelles et donc à accorder demain davantage de rôle à ces marchés financiers désintermédiés. Il y a certes du plaidoyer pro domo dans cette crainte mais celle-ci n'est pas infondée.
Deuxième faiblesse de l'Europe : les limites de son intégration économique. Que faire si, dans les mois qui viennent, les emprunts grecs ne trouvent plus preneurs, un cas de figure loin d'être inimaginable ? Recourir au Fonds monétaire international (FMI) ? Impensable. En décembre, Angela Merkel a tranché : "Ce qui se passe dans l'un des Etats membres affecte tous les autres, surtout dans la mesure où nous avons une monnaie unique, ce qui implique que nous avons une responsabilité commune." Si le Conseil européen décide de venir au secours de la Grèce et, ce faisant, de faire une entorse au traité de Maastricht, la question se posera de mettre les finances publiques grecques sous tutelle, question taboue s'il en est.
L'Union qui a su faire front à la crise n'a pas les outils institutionnels pour gérer la sortie de crise si celle-ci se révèle délicate. Pour y remédier, le gouvernement espagnol qui préside l'UE ce semestre prépare un rapport sur la "gouvernance économique de l'Union". Mais, il n'y a aucune chance que ladite gouvernance soit renforcée dans les mois qui viennent. Comme à Copenhague, le chacun pour soi devrait l'emporter. Et l'Europe, malgré ses atouts, rester durablement affaiblie et peser bien moins que son poids dans l'économie mondiale le lui permettrait.
Frédéric Lemaître (Rédaction en chef)
14.01.10
Le Monde
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