lundi, juin 07, 2010

*Chez la mamma à 30 ans...Italie*

***On en a fait le sujet de films, de livres, d'essais et d'articles. Les bamboccioni, ces trentenaires (et parfois davantage) qui vivent chez papa-maman sont, en Italie, un sujet d'alarme sociale et de plaisanterie. Un cliché péninsulaire dans lequel les uns voient un attachement inconditionnel à la famille et les autres le signe d'une immaturité inquiétante ou d'un pays incapable d'émanciper sa jeunesse.

Chacun s'accordait à penser que le phénomène était en voie de lente mais sûre résorption. La dernière étude de l'Institut national de la statistique (Istat), publiée le 26 mai, a jeté un froid.

Entre 1983 et 2009, le nombre de ces bamboccioni de 18 à 34 ans est passé de 49 % à 58,6 %. Il a même triplé pour la tranche d'âge comprise entre 30 et 34 ans (de 11,8 % à 28,9 %).

Plus alarmant encore : ces "fils et filles à mamma" ne restent pas de gaieté de coeur dans la douillette maison familiale. Si, en 2003, ils étaient 40,6 % à choisir ce mode de vie casanier pour des motifs de confort, ils ne sont plus que 31,4 % à avouer vivre sans complexes aux crochets de leur famille plutôt que de devoir faire leur lit tout seuls.

En revanche, les 30,4 % de 2003 qui disaient ne "pas pouvoir faire autrement en raison de contraintes économiques" sont maintenant 40,2 %.

"Le mot de bamboccioni devrait être aboli, car il ne rend pas compte d'une situation de plus en plus complexe, commente Enrico Giovanni, le président de l'Istat. La préoccupation est aujourd'hui très forte. Pour sortir de cette situation, il faudrait que l'Etat investisse davantage dans le capital humain, dans le travail, l'université, l'école."

Directrice de recherche dans le même institut, Linda Laura Sabbadini renchérit : "Le sort des jeunes est très critique. En 2009, 300 000 d'entre eux quittent le marché du travail."

La crise économique dont l'Italie, en raison de l'optimisme à tous crins de Silvio Berlusconi, a longtemps cru pouvoir sortir indemne, a touché davantage les 18-29 ans que les autres classes d'âge. Alors que le taux de chômage est désormais de 8,8 % de la population active, il frôle les 30 % pour les plus jeunes. C'est moins que l'Espagne (40,3 %) mais plus que la moyenne de l'Union européenne (20,6 %).

Sur les 7,8 millions de personnes qui constituent cette classe d'âge, 2,5 millions sont étudiants, 3,4 millions sont sans emploi, et 1,9 million ne sont ni étudiants ni employés. On les appelle les "NEET" (not in education, employment or training). L'Italie, en la matière, est championne d'Europe.

C'est dire si les bamboccioni ont hélas de beaux jours devant eux. Pourtant, il existe encore des bamboccioni heureux et fiers de l'être, prêts à tout pour maintenir leur confort. En janvier, un artisan du Trentin a été poursuivi en justice par sa fille de 32 ans - toujours étudiante en philosophie. Un peu agacé, le paternel avait coupé le robinet à finances, il y a trois ans. Eh bien, le tribunal de Bergame a donné tort au géniteur, considérant qu'il devait assurer l'autonomie financière de son ingrate progéniture jusqu'à ce qu'elle soit "autosuffisante". La jeune fille a encaissé 12 000 euros.

Cette sentence avait fait bondir le vibrionnant Renato Brunetta, ministre de la fonction publique. "Il faudrait une loi, avait-il dit, pour obliger les jeunes à quitter leur foyer à 18 ans." Au passage, il faisait son autocritique : "Jusqu'à ce que j'aie quitté la maison familiale, c'est ma mère qui faisait mon lit. Aujourd'hui, j'en ai honte."

M. Brunetta proposait également un chèque mensuel de 500 euros pour inciter les jeunes à voler de leurs propres ailes. Problème : pour financer son projet, il proposait de tailler dans les pensions - déjà minces - des retraités, qui sont un des réservoirs de voix de la droite au pouvoir. La proposition a évidemment fait long feu.

Tous bamboccioni, les jeunes Italiens ? Au lendemain de la publication des statistiques de l'Istat, plusieurs sites Internet ont diffusé des témoignages de trentenaires ayant réussi à trouver une situation professionnelle et à quitter les jupes de leur mère. Leur credo : la crise est une opportunité. Artisans, architectes, ingénieurs, ils racontent leur expérience pour s'en sortir, dans un pays où les plus hautes responsabilités de l'Etat, de l'administration et de l'entreprise sont aux mains des plus de 60 ans.

L'un d'eux raconte : "A un trentenaire, je conseillerais de rassembler ses amis, les personnes qu'il estime, pour essayer de sortir de la crise en groupe. Il est difficile de porter un projet tout seul. Il faut redécouvrir le sens de la communauté dans le travail." Se disant prêts à "chevaucher la vague de la crise" et se présentant comme des "surfeurs", ces jeunes gens ont été baptisés par la presse "l'armée du surf".

C'est le titre d'une veille chansonnette de Catherine Spaak de 1964. Les paroles ?

"Nous sommes les jeunes/Nous sommes l'armée des surfeurs/Peux-tu me dire pourquoi tu ne souris plus/Danse avec moi et ça passera."

Il n'est pas sûr que les bamboccioni d'aujourd'hui aient le coeur à danser.


Philippe Ridet
Le Monde

Bien à vous,

Morgane BRAVO

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