mercredi, septembre 22, 2010

*« L'attitude du pouvoir vis-à-vis de l'Europe isole la France au lieu de renforcer son rôle »*

Christian Lequesne, directeur du Centre d'études et de recherches internationales (CERI)
Les passes d'armes qui ont eu lieu ces derniers jours entre Nicolas Sarkozy et la Commission européenne à propos de l'expulsion des Roms roumains sont extrêmement révélatrices de la manière dont l'actuel gouvernement français conçoit l'Union européenne.

Pour Nicolas Sarkozy, l'Union européenne est une simple organisation intergouvernementale menée par des grands Etats qui n'ont aucune leçon à recevoir de la part d'institutions européennes composées de technocrates irresponsables. Si les historiens ont souvent du mal à trouver une quelconque trace d'héritage gaulliste chez l'actuel président français, l'agressivité flamboyante à l'égard de la construction européenne en est peut-être la seule. Ce constat ne signifie pas que Nicolas Sarkozy ait sur la scène européenne et mondiale la même crédibilité que le général de Gaulle en son temps ; il faut toujours comparer ce qui est comparable.

Mais il y a au moins quatre éléments qui confirment la conception strictement intergouvernementale qu'a Nicolas Sarkozy de la construction européenne.
En premier lieu, il existe à ses yeux deux types d'Etat : les grands auxquels la Commission et le Parlement européens doivent respect, et les petits et moyens Etats qui, le cas échéant, peuvent se voir inculquer des leçons. L'Union européenne est d'abord une affaire de grands Etats qui exercent leur puissance dans le respect du bon vieux principe de la souveraineté nationale.

On est à mille lieues de l'idée supranationale de Jean Monnet pour lequel l'Union européenne devait servir à corriger des asymétries de puissance entre des grands et des petits Etats. Comme l'a dit Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat français aux affaires européennes - aussi "intergouvernementaliste" que son président - à la suite des déclarations de la commissaire européenne à la justice, Viviane Reding, sur la circulaire visant à expulser en priorité les Roms :"Ce n'est pas comme cela que l'on s'adresse à un grand Etat. »

Deuxièmement, la Commission et le Parlement européens sont des institutions politiquement irresponsables. Peu importe qu'elles aient des compétences garanties par des traités (comme le contrôle de la bonne exécution du droit européen pour la Commission, ou le pouvoir législatif pour le Parlement), elles sont loin des citoyens et ne connaissent pas les "vrais" problèmes. Nicolas Sarkozy épouse ici le sens commun eurosceptique selon lequel les "managers" de la politique, au contact des réalités de terrain, sont les seuls politiciens nationaux.

Troisièmement, les institutions européennes sont sous le contrôle des Etats, puisque l'intérêt européen est une chimère. Il est ainsi très symptomatique que Nicolas Sarkozy ait rétorqué aux propos de Viviane Reding en lui disant que les Roms n'avaient qu'à aller au Luxembourg. Ce que Nicolas Sarkozy voit en priorité dans un commissaire européen, ce n'est pas sa fonction mais sa nationalité. Et peu importe que les traités stipulent que les commissaires européens "n'énoncent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement ».

Enfin, seuls les Etats peuvent incarner la démocratie. Les propos très critiques de Pierre Lellouche à l'encontre du Parlement européen (élu tout de même au suffrage universel direct) et ceux concernant le fait que le respect des traités appartient non pas à la Commission, mais "au peuple français" sont à cet égard limpides.

La conception strictement intergouvernementale de l'Europe qu'incarne Nicolas Sarkozy n'est pas une nouveauté qui a surgi à propos des controverses récentes sur les Roms. Elle est celle qui caractérise son action depuis le début de son élection, y compris d'ailleurs pendant la présidence française de 2008. L'opinion française a, en effet, souvent retenu le fort leadership de Nicolas Sarkozy pendant cette présidence, en particulier sa médiation lors de l'invasion russe en Géorgie d'août 2008. Vue de Bruxelles et des autres capitales, l'analyse n'a jamais été complètement la même : la présidence française de 2008 a incarné aussi les avancées au forceps au détriment des règles de procédure et de l'association de la Commission aux décisions.

Cette stratégie de l'intergouvernemental flamboyant est bien entendu parfaitement contre-productive pour la France. Elle incarne un style diplomatique qui, au lieu de créer du leadership, suscite à l'inverse de l'isolement. La diplomatie européenne moderne est affaire de légitimité plus que de force. Dans la question des Roms, l'intérêt objectif de Nicolas Sarkozy eût été clairement de porter l'affaire de manière raisonnable au niveau européen afin de susciter des solutions à vingt-sept avec les pays de départ et d'accueil. Le président français a préféré la marginalisation. Nicolas Sarkozy se trompe s'il pense, qu'en 2010, la France ne peut encore se sentir vraiment la France au plan international que lorsqu'elle est seule. Il devrait précisément prendre conscience qu'il n'est pas le général de Gaulle.

Ouvrage : "La France dans la nouvelle Europe" (Presses de Sciences Po, 2008).

Christian Lequesne, directeur du Centre d'études et de recherches internationales (CERI)
Bien à vous,
Morgane BRAVO

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