vendredi, octobre 15, 2010

*Comment nous avons compté les manifestants du mardi 12 octobre* France






France Soir
Journal
Depuis quelques semaines, le débat sur le comptage des manifestants est très vif. A Marseille, par exemple, la manifestation de mardi aurait réuni 24.500 personnes selon la police… et presque dix fois plus, 230.000 personnes, selon les syndicats. Qui dit vrai et qui est dans l’erreur ? Nous avons voulu connaître la réalité des chiffres et avons fait appel, mardi, à une entreprise espagnole indépendante baptisée Lynce-ExactCrowd et spécialisée dans le comptage des manifestants.
Parmi ses clients, elle compte les plus grands médias espagnols, et notamment l’agence EFE, équivalent de l’agence française AFP. La méthode, « rigoureusement scientifique », selon la société, se base sur un logiciel développé il y a deux ans par une équipe d’ingénieurs, qui comptabilise les manifestants un à un à partir de photographies en hauteur. Leurs résultats sont systématiquement très éloignés des chiffres avancés par les organisateurs, quel que soit le type de manifestation.

« Ça relève de la science-fiction ! »

Ainsi, tard dans la nuit de mardi, après avoir photographié et filmé la manifestation à Paris sous tous ses angles, Lynce-ExactCrowd a délivré ses chiffres à France-Soir : « Nous avons mesuré un total de 73.027 personnes, avec une correction éventuelle à la hausse de 10 %, soit un total de 80.330 personnes. » Des chiffres chocs, bien différents de ceux des organisateurs qui ont compté 330.000 personnes ! La police, elle, a estimé la foule à 89.000 personnes.
Comment peut-on imaginer un tel écart ? Juan-Manuel Gutierrez, fondateur et directeur de l’entreprise, est cinglant. « Les médias ne remettent jamais en cause les chiffres et les méthodes de comptage. Quand on entend « un million de manifestants dans les rues ! », ce chiffre nous paraît banal et est repris dans tous les journaux, mais il relève de la science-fiction ! Nous sommes en total décalage avec la réalité, qui du coup paraît bien fade. Mais en tant que scientifique, ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les motifs d’une manifestation, son succès ou son échec. C’est le nombre réel de participants. »

Photographes postés en altitude

Alors, comment cette entreprise espagnole a-t-elle obtenu ces statistiques ? Récit d’une journée trépidante aux côtés de l’équipe Lynce-ExactCrowd.
Il est midi passé de quelques minutes en ce mardi ensoleillé. Sur la place de la Bastille, à Paris, Juan-Manuel Gutierrez a rassemblé son équipe. Il travaille souvent avec des ballons aériens pour les prises de vue des manifestants, mais aujourd’hui, des rafales de vent en altitude, confirmées par les bulletins météo, empêchent de faire voler le ballon. Il va donc disposer plusieurs photographes en hauteur dans des immeubles le long du cortège. Dans un peu moins de deux heures, les manifestants démarreront à Montparnasse. « Il va falloir que les photos soient d’une netteté absolue, afin que nous puissions ensuite zoomer et voir chaque manifestant. C’est parti. » Chaque photographe enfourche son scooter et file vers son poste.

Plus de mille photos

Il est 13 h 50 en haut de la tour Montparnasse. Thomas, l’un des photographes, commence à shooter sans relâche la foule à ses pieds, sous les regards curieux de touristes venus profiter de la vue. Petit à petit, la foule se déploie sur le boulevard Montparnasse pour le premier cortège et dans la rue de Rennes pour le second. Très précis, il prend à chaque photo un repère puis décale son objectif de quelques centimètres afin d’obtenir un panoramique. Il ne le sait pas encore, mais il ne va pas s’arrêter avant 16 h 48, heure à laquelle les derniers participants quittent le point de départ de la manifestation. Pendant ce temps-là, au sommet de l’Institut du monde arabe, Julien, autre photographe, patiente sur la terrasse. A 15 h 15, la tête de l’un des cortèges apparaît sur le boulevard Saint-Germain. C’est parti pour trois heures de photos non stop de la foule sur le pont de Sully. Mais il y a aussi la vidéo. A l’arrivée à Bastille, Juan-Manuel Gutierrez filme et prend lui aussi des photos.
La manifestation n’est pas encore terminée, mais on entend déjà résonner la voix d’un leader syndical dans la foule : « Nous sommes plus nombreux que la dernière fois, c’est une victoire ! Nous avons été 3,5 millions en France, et 330.000 à Paris ! » La foule rugit.

Cinq heures d’analyse

20 h 05, la seconde équipe de Lynce prend le relais dans une chambre d’hôtel parisienne. Trois ingénieurs, ainsi que Gutierrez, s’attaquent à la seconde partie du dispositif : l’analyse. Il y a plus de mille photos à examiner, détailler, accoler. Le logiciel est lancé. Sur chaque photo, l’algorithme numérote chaque manifestant, avec un nombre allant de 1 à N. Les chiffres prennent forme, les heures passent. Il est plus de 1 heures du matin quand l’équipe tape son rapport final : « Dans le premier cortège passé par la rue de Rennes, il y a eu un total de 32.038 personnes.
Dans le second cortège passé par le boulevard Montparnasse, il y a eu un total de 40.989 personnes. La densité moyenne a été de 0,318 personne par mètre carré. Au final, nous obtenons un total de 73.027 personnes, avec une correction éventuelle à la hausse de 10 % – marge d’erreur –, soit 80.330 personnes. » 80.330 personnes au lieu des 330.000 annoncés par les syndicats. Un chiffre choc, qui pourrait faire parler.
Alexandra Gonzalez
 14/10/10


Bien à vous,
Morgane BRAVO

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