*** "La pause dans l'élargissement reflète la montée des égoïsmes nationaux en Europe" :
*Pour Jérôme Creel, économiste à l'OFCE, le coup d'arrêt donné à l'élargissement de l'Europe est symptomatique du repli sur soi des pays membres de l'Union européenne.Réunis depuis jeudi soir à Bruxelles, les 25 pays membres de l’Union européenne devaient arrêter vendredi leur stratégie d’élargissement. Un consensus se dégageait sur la nécessite de le ralentir une fois que la Roumanie et la Bulgarie auront fait leur entrée, le 1er janvier prochain. La Croatie, la Macédoine, l’Albanie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie et la Turquie : autant de candidats laissés dans l’antichambre pour le moment. Décryptage de cette « pause » avec Jérôme Creel, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques. Pourquoi l'UE a-telle décidé de ralentir son élargissement ?Avant 2004, l'Europe intégrait des économies qui avaient un niveau de PIB par habitant relativement proche de ses membres. De plus, elle en faisait rentrer peu à la fois. Elle se donnait alors les moyens de faire converger l'économie de ses nouveaux membres vers celle des anciens. Cela a été rendu plus difficile en 2004, où les nouveaux, nombreux, étaient en plus des pays pauvres. Leur croissance n'est pas assez rapide, ou si vous préférez, ils partaient de trop loin, pour rattraper facilement les Quinze. Et puis surtout, le « non » à la Constitution, qui a pu être interprété comme un « non » à l'élargissement, a indiqué que les peuples ne suivaient plus. Cela a entraîné une réflexion chez les dirigeants de l'UE sur la meilleure façon de « vendre » le projet européen à leur opinion publique. Et la réponse, c'est de dire stop aux pays qui frappent à la porte. Cela traduit-il un repli sur soi ?Oui, mais il ne s'agit pas d'un repli sur soi de l'Europe. Ce phénomène traduit au contraire un retour du chacun pour soi chez les membres de l'Union. A l'intérieur même de l'espace européen, il y a une suspicion généralisée à l'égard de l'étranger. Le concept de patriotisme économique brandi en France, la baisse des coûts de production en Allemagne, la crainte des délocalisations à l'Est, tout cela crée un climat non coopératif qui empêche l'Union de se constituer en forteresse face à la mondialisation. Les membres de l'UE préfèrent se situer dans une logique de compétition internationale, même avec leurs voisins, plutôt que dans une logique de coopération. Ce phénomène n'est évidemment pas propice à la solidarité. Or la solidarité est un des fondements même de tout élargissement. Pourquoi ?Si l'on met la Turquie à part, les futurs membres sont des pays de petite taille, comme la Croatie, la Macédoine, l'Albanie, et ils ne vont évidemment pas bouleverser l'économie de l'UE. Mais, du fait de leur entrée, ils doivent pouvoir profiter du budget européen, qui n'est pas élastique. C'est à dire que les sommes qui leur seraient versées devraient être retirées à d'autres, par exemple les pays de l'Est déjà intégrés, mais aussi les régions les plus pauvres des pays les plus riches. Le deuxième problème posé par ces futurs nouveaux membres, c'est un problème de pouvoir. D'abord, le Traité de Nice, en vigueur puisque la constitution a été rejetée, a donné à certains pays, comme l'Espagne ou la Pologne un poids important, presque disproportionné. Donner des voix à d'éventuels nouveaux membres implique d'en retirer aux anciens. Ensuite, plus il y a de membres, plus le risque de paralysie est grand, puisque le Traité de Nice prévoit que les décisions se prennent à l'unanimité dans un grand nombre de domaines. Le cas de la Turquie, un pays très peuplée, décuple évidemment ces problèmes.Vous décrivez un projet européen en échec …C'est largement le cas.
Il faut maintenant que l'UE sorte de l'impasse dans lequel le « non » l'a mise. Elle doit approfondir ses institutions pour se donner les moyens de renforcer les coopérations économiques, de faire plus de croissance et de réenclencher un cercle vertueux. A cette condition, elle rendra plus facile tout nouvel élargissement.
Propos recueillis par Thomas Bronnec
L'Expansion
15/12/200
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire