**** A une semaine d’un sommet qui fêtera à Berlin les 50 ans des Traités de Rome, la chancelière allemande s’explique, dans une interview publiée demain dans le «Figaro» et quatre autres quotidiens de l’UE.
LE FIGARO. - Cinquante ans après la signature des traités de Rome, on observe une réelle morosité à l'égard de l'Europe. Que faire ?
Angela MERKEL.- Il faut bien distinguer les causes et les effets. Il y a eu, d'un côté, la disparition du mur de Berlin, la liberté pour les pays d'Europe centrale et la réunification de l'Allemagne. De l'autre, il y a eu ce phénomène de rétrécissement du monde que nous appelons la mondialisation. Ce sont deux évolutions parallèles, mais je crois que dans beaucoup d'esprits il y a une certaine confusion. Ils redoutent la mondialisation mais en rendent l'Europe responsable. À mon sens, l'Europe est au contraire la réponse au défi de la mondialisation.
Il faut mettre en commun nos forces et nos intérêts partagés. Mais il ne faut confier à l'Europe que ce qu'elle peut mieux faire que nos États. C'est une des clefs de la discussion sur le texte constitutionnel qu'il nous faut mener.
Vous recevez vos pairs dans une semaine pour fêter les 50 ans de l'UE. La rédaction de cette « déclaration de Berlin » semble poser problème.
Ce sera une déclaration sur ce que nous avons en commun. Le fait même que certains sujets n'y seront pas évoqués montre la diversité de l'Union européenne. Le texte sera très court, et il ne s'agit pas d'en surestimer la portée. Il faut porter un regard sur le passé et un autre sur l'avenir. Pas négocier un nouveau traité ou adopter un document juridiquement contraignant. Il faut évoquer nos principes partagés, nos succès et les tâches qui nous attendent. Et, parmi ces tâches, il y a la nécessité d'assurer que nous restons capables d'agir dans des domaines concrets comme la politique extérieure ou l'énergie. Pour cela, il nous faut un Meccano institutionnel, et celui que nous avons actuellement ne suffit pas.
La morosité actuelle dans les opinions publiques est souvent expliquée par le grand élargissement à 27...
L'expérience des cinquante dernières années montre que l'Europe a appris à être ouverte et que cela lui a souvent servi. « Ouverture » ne veut pas toujours dire « adhésion ». L'adhésion n'est pas nécessairement la meilleure solution. D'où la nécessité de définir une politique de voisinage qui, du reste, existe déjà dans des domaines comme nos relations avec les pays du pourtour méditerranéen. Cette approche sera renforcée, car nous ne pouvons pas nous permettre de ruptures à nos frontières. Sinon, nous risquons d'importer des conflits en Europe.
Les Balkans occidentaux ont de toute évidence besoin d'une perspective européenne. Nous y avons déployé nos soldats, mais cela ne peut pas être pour toujours. Cela dit, je suis incapable de vous donner une appréciation en termes de durée.
Avec la Turquie, nous sommes engagés dans des négociations d'adhésion dont l'issue est ouverte. Tout ce que je peux vous dire, c'est que dans cinquante ans nos relations seront plus étroites.
À quoi ressemblera alors l'Union européenne ?
Quand on fête un anniversaire comme le nôtre, on jette d'abord un regard en arrière. Et je peux vous dire que ce qui a été fait par les pères fondateurs est impressionnant quand on songe à l'état de l'Europe détruite.
Moi, je vivais en RDA. Je ne pouvais regarder l'Union européenne que du dehors, par la télévision ouest-allemande. À cette époque, je ne pouvais qu'espérer qu'il me serait possible avant l'âge de la retraite de visiter cette Europe. Telle que je la percevais, elle me paraissait comme une communauté vivante, capable de lutter contre les préjugés. Construite par le bas en quelque sorte, alors que nos sociétés, à l'Est, étaient régies par le haut et dominées par l'Union soviétique. La réconciliation entre nos deux pays est sans doute l'exemple le plus emblématique de cette réussite.
Quant aux contours de l'Union dans un demi-siècle, vous me concéderez que c'est difficile à prévoir. Mais j'espère que dans cinquante ans nous aurons vaincu le terrorisme. Que nos relations avec les pays islamiques se seront développées de manière avantageuse, qu'il n'y aura pas de conflits entre les religions, que nous nous réclamerons de nos valeurs communes.
Il y a cinquante ans, le monde était plus simple, bipolaire entre l'Occident et la sphère communiste. Aujourd'hui, l'adversaire est plus confus, l'Iran, l'Afghanistan. Comment réagir ?
La fin du communisme n'a pas fait disparaître les problèmes, ils sont simplement autres. La guerre froide était un système horrifiant, permettant jusqu'à un certain degré de prévoir l'attitude et les réactions de l'adversaire ; en tout cas, cela nous paraît ainsi dans la rétrospective. Mais maintenant, nous sommes confrontés à des êtres humains qui sont prêts à sacrifier leur propre vie pour entraîner d'autres dans la mort et intimider des États entiers.
Dans les nouveaux États membres, on assiste à des poussées populistes. Cela vous inquiète-t-il ?
Nous devons de manière générale combattre toute forme de populisme ou d'antisémitisme. Tolérance zéro à l'égard de toute intolérance.
Mais il faut évaluer chaque cas spécifique. Au lendemain de la guerre, l'Allemagne avait, elle aussi, un paysage politique étiolé. Tout cela évoluera chez nos partenaires. Personne n'est à l'abri d'une crise, et il ne s'agit pas de donner des leçons à qui que ce soit. L'important, c'est qu'au moment d'un changement de gouvernement, l'équipe nouvellement élue ne remette pas tout en question. C'est essentiel pour la continuité de l'Union.
Il faut dire qu'avec nos nouveaux partenaires nous n'avons jamais eu l'occasion d'un échange de vues sur les bases et les visions de l'UE. Les Conseils européens s'en tiennent à l'ordre du jour, il n'y a pas moyen de prendre du recul. Pourtant, je suis sûre que certaines de leurs expériences ont une grande valeur pour nous tous. C'est un aspect qui n'est pas assez perçu.
Jacques Chirac participera la semaine prochaine à Berlin à son dernier sommet européen. Votre bilan ?
Par rapport à la longue vie politique de Jacques Chirac, le bout de chemin que nous avons fait ensemble est court, mais il a été intense. J'aime travailler avec lui, car avec lui on peut se fier à ce qui a été convenu. Il sait que dans le fonctionnement de l'Europe on ne peut pas imposer ses vues, qu'il y a une tradition du donnant-donnant, qu'il faut respecter les autres. La coopération amicale avec lui a été enrichissante, quoique parfois difficile. Je resterai attachée à cette relation.
Quant aux rapports franco-allemands, ils gardent toute leur importance. Chaque fois que nos pays se sont opposés, cela n'a pas été bon pour l'Europe. Il ne suffit pas pour autant que la France et l'Allemagne soient d'accord pour que l'Europe ait à suivre. Il ne s'agit pas de nous placer au-dessus des autres. Mais la recherche d'une position commune vaudra toujours la peine.
Propos recueillis à Berlin par Pierre Bocev.
Publié le 16 mars 2007
Le Figaro
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