THINK TANK UNIONEUROPEENNE EUROPÄISCHEUNION EUROPEANUNION UNIONEUROPEA *EUROPIONEERS By MorganeBRAVO
EUROPIONNERS, 2006 EU HUB!*Pour que l'Europe, en tant qu’acteur mondial, ne soit pas lointaine des européens. *Devise:"In varietate concordia"(latin: Unie dans la diversité).*Unie dans la diversité: l'Union Européenne (UE) se compose de 27 pays européens qui partagent les mêmes valeurs démocratiques et se sont engagés à travailler ensemble pour la paix et la prospérité. Il ne s'agit pas d'un Etat destiné à se substituer aux Etats existants. En fait, c'est une organisation unique en son genre!
mercredi, mai 23, 2007
*Le retour de la France en Europe... pour quelle vision de l'Europe dans le monde?*
*** Auteurs :
Thierry Chopin : Directeur des études de la Fondation Robert Schuman. Enseigne au Collège d’Europe (Bruges) et à l'Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po). Dernier ouvrage paru : L'Amérique et l'Europe : la dérive des continents ? (Grasset, 2006).
Quentin Perret : Rédacteur à La Vie des Idées (revue internationale de « La République des idées »).
Résumé
La politique étrangère et de sécurité est le domaine où l'impératif européen apparaît aujourd'hui avec le plus de clarté. Les Européens doivent affronter des menaces extérieures de plus en plus précises, alors même que les Etats-Unis connaissent un affaiblissement durable de leur puissance. Une démarche unifiée apparaît donc indispensable à la sécurité extérieure des Etats européens. La promotion d'une telle unité diplomatique constituerait en outre pour la France un moyen idéal pour se replacer au coeur du jeu européen car, dans ce domaine, les atouts de la France sont de première importance.
La tâche du nouveau gouvernement sera toutefois délicate. Il lui faudra réévaluer les atouts et faiblesses de la France au sein de l'Union européenne à 27, renoncer à certaines illusions passées, rassurer ses partenaires et leur proposer une stratégie qui, tout en répondant aux intérêts français, prenne en compte leurs inclinations et leurs aspirations. La chance de la France est d'avoir en face d'elle (en particulier de l'autre côté de la Manche) des gouvernements également confrontés à une révision de leur propre politique étrangère. Il reste aux dirigeants français à exploiter cette opportunité autant qu'elle peut l'être.
Introduction
Au soir de son élection à la Présidence de la République, Nicolas Sarkozy affirmait d'emblée que "la France est de retour en Europe". De fait, le nouveau chef de l'Etat prend la tête d'un pays affaibli par des performances économiques inférieures à la moyenne européenne et marginalisé par son rejet du projet de traité constitutionnel en 2005. Dans le même temps, les dirigeants européens comptent sur la participation active de la France pour les aider à surmonter la crise de sens qui, 50 ans après la signature des traités de Rome, semble s'être emparée de l'Union européenne. La France et l'Union ont donc besoin l'une de l'autre pour surmonter les défis auxquels chacune doit faire face.
La politique internationale constitue par excellence le domaine où l'action conjointe de la France et de ses partenaires européens s'impose à tous. Qu'il s'agisse de la montée de la violence en Afrique et au Proche-Orient, de l'aggravation des tensions avec la Russie ou des conséquences de l'érosion du prestige et de la puissance des Etats-Unis – sans parler de menaces plus transversales comme le réchauffement climatique ou la prolifération nucléaire -, les Européens font face à une dégradation accélérée des conditions de leur sécurité collective. Cette situation impose à l'Union et à ses Etats membres une communauté de vision et d'action vis-à-vis du monde extérieur – autrement dit, une véritable politique étrangère commune, définie et mise en oeuvre par la quasi-totalité des gouvernements européens, appuyés sur des institutions communautaires rénovées et efficaces [1].
Plus peut-être qu'aucun autre de ses partenaires, la France a un rôle à jouer dans cette affirmation de l'Union sur la scène internationale. Nul n'ignore cependant que cette entreprise se heurte à des obstacles importants, tant en raison des divergences de méthode et d'objectifs entre gouvernements européens que de l'importance des questions internationales pour la politique globale et l'identité même des Etats. Pour pouvoir espérer surmonter ces obstacles sans remettre en cause le projet de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune et de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense, la France devra procéder au cours des prochaines années à trois ajustements essentiels :
-Dissiper les ambiguïtés qui entourent sa politique européenne depuis plusieurs décennies ;
-Apprécier la réalité des visions "géopolitiques" qui caractérisent ses partenaires européens ;
-Sur cette base, mettre en évidence les conditions d'un rapprochement avec le Royaume-Uni, clef de voûte d'une politique étrangère et de défense commune.
I- La politique européenne de la France : dissiper l'ambiguïté originelle...
1 - Une vision de la France en Europe traditionnellement ambivalente
La politique européenne de la France répond à une vision particulière de l'ordre international. Sur le plan extérieur, cette vision vise à organiser la coopération pacifique entre puissances mutuellement indépendantes. L'action de la France en Europe vise, depuis 57 ans, à réaliser cet objectif : susciter l'émergence, sur la scène internationale, d'une Europe pleinement indépendante, à même de tenir son rang aux côtés des autres grandes puissances.
Néanmoins, cet objectif général a pris une double forme. Pendant plus d'un demi-siècle, la France a su combiner, en effet, deux visions radicalement différentes de la raison d'être de son engagement européen. En simplifiant, d'un côté le projet des "pères fondateurs" qui présuppose une convergence fondamentale des intérêts des Etats membres et qui vise à constituer une communauté politique au niveau européen, où certes la voix française reste forte, mais où les solutions relèvent de compromis négociés entre tous les Etats membres, qui les acceptent au nom de la conscience de leur fragilité individuelle et de la réalité d'un intérêt commun. De l'autre, le projet gaulliste d'une Europe qui n'est qu'un multiplicateur de puissance, un instrument permettant à la France de défendre et de promouvoir ses intérêts qui continuent à être définis sur une base strictement nationale. La classe politique française s'est bien gardée de lever cette ambiguïté. Si la France des années 1970 et 1980 faisait avancer le projet européen en accord avec la vision des "pères fondateurs", cela était possible en partie grâce à la capacité de ses dirigeants à tenir à l'opinion publique un discours qui faisait également appel à une rhétorique insistant sur la transposition au niveau européen des conceptions françaises.
Or, si à 6 un leadership français fort était une réalité naturelle, à 27 il se transforme en un combat de tous les jours, aux résultats incertains. Le "non" du 29 mai 2005 peut aussi être analysé comme l'effet d'un réveil brutal des Français qui découvrent que la France peut être en minorité en Europe et même qu'elle peut l'être souvent si elle continue de s'évertuer à promouvoir des idées qui n'ont guère de chances d'être partagées par ses partenaires. Cette attitude est aisée à assumer si l'on croit à la vision des "pères fondateurs". Mais cette prise de conscience est insupportable à celui qui n'accepte l'Europe qu'en tant qu'elle serait conçue comme une simple projection des idées et des intérêts français à l'échelle de l'Union [2].
2 – Un changement de contexte stratégique qui conforte pourtant l'objectif d'Union politique porté par la France...
L'objectif forgé dans les années 50, et porté traditionnellement par la France, reste d'actualité. Ce qui a radicalement changé, c'est l'environnement dans lequel cet objectif doit désormais s'inscrire. Deux éléments peuvent être avancés :
- Le contexte géopolitique interne dans lequel s'inscrit la construction européenne a été modifié tout au long de ces dernières années et a entraîné un changement de nature de l'Union européenne, à la faveur d'un double mouvement : un changement "qualitatif" qui a conduit l'Union, depuis le début des années 90, à intervenir de manière croissante dans des domaines de nature proprement politique, comme c'est le cas pour les politiques étrangère et de défense ; mais aussi un changement de nature "quantitatif" avec les étapes successives de la réunification de l'Europe portant le nombre d'Etats membres à 27. Cette "révolution du nombre" doit conduire à une prise en considération renouvelée des "échelles" – au sens géographique du terme – pour saisir la portée du changement. Depuis 1989 et ses conséquences jusqu'à l'élargissement de 2004-2007, l'échelle de référence est l'Europe "continentale" ce qui pose la question de la nature des relations de l'Union avec la Russie et l'Ukraine ; la question épineuse, pour dire le moins, relancée par l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie, en octobre 2005, conduit également à retenir comme autre échelle de référence la "dimension euro-méditerranéenne", incontournable en raison des problématiques actuelles et futures relatives aux questions migratoires ; enfin, la réapparition d'enjeux de sécurité majeurs aux Proche et Moyen-Orient, mais aussi en Asie, révèle aux Européens que l' "échelle mondiale" est une dimension désormais incontournable pour eux [3].
- Le contexte stratégique externe dans lequel s'inscrit la construction européenne s'est radicalement transformé. Il y a 50 ans, la politique étrangère de la France et de ses alliés se résumait à la nécessité de repousser l'influence soviétique en Europe, dans le cadre de l'Alliance atlantique. Dans ces conditions, la politique européenne de la France pouvait se limiter à une idée simple : le rééquilibrage de l'indispensable partenariat transatlantique. Pourtant, cette politique était loin de faire l'unanimité en Europe : les Britanniques, en particulier, étaient partisans d'une communauté atlantique réellement intégrée sur le plan diplomatique et militaire et placée sous leadership anglo-américain ; par ailleurs, les réalités stratégiques (notamment la disproportion de puissance entre l'Amérique et ses alliés) ont généralement joué en faveur des options géopolitiques britanniques.
Ce paysage stratégique mondial s'est transformé avec la fin de la guerre froide et de la partition bipolaire du monde, ce qui n'a pas manqué d'avoir des implications ambivalentes sur le rapport des Etats membres de l'Union aux Etats-Unis. En effet, s'agissant de la politique étrangère et de la défense, beaucoup de nouveaux Etats membres acceptent l'OTAN comme système de sécurité collective régional en Europe et le "leadership" américain, certes sans prendre en compte le fait que l'Europe ne constitue, sans doute, plus une priorité stratégique pour les Etats-Unis. Par ailleurs, on assiste à une érosion de la solidarité euro-atlantique depuis la chute de l'Union soviétique, le paysage politique mondial se caractérisant par des évolutions divergentes de part et d'autre de l'Atlantique, sous l'impact cumulé de la disparition de la menace soviétique, de la fin de toute retenue stratégique de la part des Etats-Unis ces dernières années, de tropismes géographiques divergents (l'Europe se concentrant sur son voisinage immédiat, l'Amérique se tournant vers l'Asie et l'Extrême-Orient) et de conceptions différentes de la lutte contre le terrorisme islamiste. Dès lors, tant la vision française d'une "Europe puissance" comme contrepoids aux Etats-Unis dans un monde multipolaire que la vision britannique d'une "unipolarité euro-atlantique" indissoluble doivent être remises en cause et renvoyées dos-à-dos.
Les gouvernements européens font face à un impératif : se doter des moyens de défendre par eux-mêmes leurs intérêts sur la scène mondiale et renforcer leur influence politique sur les enjeux internationaux. Dans ce contexte stratégique international renouvelé, la politique européenne de la France doit désormais s'orienter sans ambiguïté vers cet objectif, non pas conçue comme une projection fantasmée d'un désir de "réincarnation" de la puissance française à l'échelle supérieure [4], mais davantage en cherchant à bâtir un consensus avec ses partenaires.
II- Une puissance européenne bâtie sur des bases réalistes
1 – L' "Europe puissance" : un mythe illusoire
Si le concept d' "Europe puissance" a connu récemment un regain d'intérêt dans certains pays de l'Union (en France mais aussi, fait crucial, en Allemagne sous le gouvernement Schröder), un tel dessein est porté traditionnellement par les autorités françaises aspirant à retrouver au niveau européen une partie de l'influence française qui s'est effritée : en indiquant que la construction européenne constituait le "levier d'Archimède" de la France, le général De Gaulle a parfaitement résumé cette stratégie.
Le problème est que tous les pays de l'Union sont loin de partager cette conception, et l'élargissement de 2004-2007 a eu un impact majeur sur ce point. Ces pays ont, en effet, une approche particulière de la question de la sécurité et nourrissent une inquiétude particulière par rapport aux jeux d'influence des puissances qui les entourent, la Russie en particulier. C'est ce contexte qui rend compte de la préférence des pays d'Europe centrale ou baltes pour la protection des Etats-Unis. Très concrètement, c'est aussi l'intervention des Etats-Unis qui a permis de mettre un terme au conflit dans les Balkans (en 1995), en Bosnie-Herzégovine puis au Kosovo (en 1999). Ces différents éléments expliquent l'orientation stratégique pro-américaine des pays d'Europe centrale et orientale, ainsi que leur attachement à la complémentarité des structures euro-atlantiques [5] qui constituent, de surcroît, une sorte de tutelle égalisatrice de la part des Etats-Unis qui peut se substituer à la création d'une sorte de directoire entre grands Etats au sein de l'Union européenne. L'OTAN, dans cette perspective, a une fonction politique d'équilibre entre les Etats européens [6]. S'agissant de la politique étrangère et de la défense, c'est ce qui explique que beaucoup s'accommodent de la protection et du "leadership" américains, établis après la Seconde Guerre mondiale et sortis victorieux de la guerre froide – et soupçonnent toute réflexion sur l'Europe de la défense d'être le premier pas vers une confrontation avec l'allié américain. Les débats sur la guerre d'Irak n'ont fait que confirmer la réalité des divergences européennes à cet égard. Le fait que de nombreux nouveaux Etats membres se soient prononcés en faveur des positions américaines peut être considéré comme la preuve d'un "télescopage" entre le projet de réconciliation continentale et celui d' "Europe puissance".
L'inflexion du discours français sur l' "Europe puissance" doit également porter sur son corollaire : la promotion de la multipolarité. Si l'avènement d'un monde multipolaire est un fait aisément constatable, son caractère souhaitable est très discutable. Tout d'abord, on ne voit pas très bien en quoi un monde multipolaire permettrait de contrebalancer et d'équilibrer l'unilatéralisme ; en effet, un monde multipolaire peut être unilatéral, et donc instable et dangereux si chacun des pôles décide en fonction de ses seuls intérêts. Ensuite, et c'est là un point qui est loin d'être négligeable, l'expérience historique même des Etats européens tend à relativiser cette thèse de l'équilibre des puissances ; comme l'a écrit Thérèse Delpech : "Quand on parle de multipolarité au XXIe siècle, on oublie (...) l'expérience européenne où l'équilibre des puissances n'a cessé d'échouer pour basculer dans la guerre" [7]. Enfin, la thèse en faveur de la constitution d'un pôle européen devant équilibrer la politique des Etats-Unis méconnaît une réalité de poids : la vision "atlantiste" d'une majorité d'Etats membres à laquelle est couplée la posture de "neutralité" d'autres Etats membres (Autriche, Chypre, Finlande, Irlande, Malte, Suède). On ne voit pas très bien, compte tenu de tous ces éléments, comment la vision de l' "Europe puissance" dans un monde multipolaire pourrait être autre chose qu'un mythe illusoire.
2 – Pour une politique européenne de la France renouvelée en matière d'action extérieure
Dans cette perspective, si l'on souhaite que l'Union européenne puisse se développer comme un "acteur global" pour relever les défis stratégiques actuels, constituant une puissance diplomatique et militaire qui ne se réduise pas à la seule "puissance par la norme" [8], cela suppose de défendre ce projet sur la base d'une stratégie qui peut d'abord s'organiser autour de trois impératifs.
- Le premier impératif consiste à repenser les relations de l'Union avec les Etats-Unis.
Il est souvent noté que les questions de défense et de sécurité au niveau européen butent sur la concurrence de l'OTAN et des structures euro-atlantiques ; les désaccords entre la France, l'Allemagne et les Etats-Unis en 2003 ayant entraîné des divisions très vives au sein de l'Union, il importe de clarifier la nature des relations transatlantiques. Certes, les changements de personnel politique en France et au Royaume-Uni en 2007, ainsi que l'élection présidentielle américaine en 2008, pourraient constituer une "fenêtre d'opportunité" pour une vision renouvelée. De surcroît, le contexte a sensiblement évolué depuis quatre ans. Les modalités de traitement de la question iranienne semblent faire l'objet d'un certain consensus entre Américains et Européens. Les Etats-Unis semblent décidés à se réengager dans le traitement du conflit israélo-palestinien. Au-delà, le désengagement prévisible de l'armée américaine d'Irak sera, sans doute, l'occasion d'une révision de l'approche américaine de la région renonçant, peut-être, à la politique des changements de régime par la force et renouant avec la coopération diplomatique traditionnelle (notamment avec les voisins de l'Irak). L'Union européenne pourra d'autant mieux accompagner ces changements qu'elle aura renforcé son autonomie stratégique.
Mais, au-delà, les conditions requises pour surmonter les divergences de vision en Europe à l'égard des Etats-Unis et pour développer une relation transatlantique apaisée reposent sur trois exigences :
- du côté des partisans de la supériorité de l'OTAN comme garantie de la sécurité du continent européen, la prise de conscience que le centre de gravité de la politique étrangère américaine s'éloigne de plus en plus de l'Europe, au moment même où celle-ci se concentre de plus en plus sur son propre voisinage ;
- concernant les partisans d'un renforcement de l'autonomie européenne en matière de sécurité, la rupture avec une rhétorique anti-américaine, le thème de la construction négative de l'Europe contre les Etats-Unis n'ayant aucun sens pour la grande majorité des Etats membres de l'Union ;
- l'acceptation du fait, enfin, qu'un partenariat transatlantique réaliste ne repose pas tant sur la redécouverte d'un âge d'or perdu que sur la reconnaissance des différences objectives qui séparent les Etats-Unis de l'Union, au sein du monde occidental, qu'il s'agisse de la géographie, des intérêts, du rapport à l'usage de la force et au droit international, des déterminants culturels, mais aussi des évolutions historiques respectives de la nation et de la démocratie [9].
- Le deuxième impératif réside dans la clarification des relations de l'Union avec la Russie.
Face à la Russie, l'Union européenne se trouve confrontée à un dilemme.
Soit elle considère la Russie comme un partenaire en puissance sur la scène internationale. Dans ce cas, il lui faut liquider par des compromis et concessions réciproques les désaccords bilatéraux qui l'opposent actuellement à Moscou, en particulier au sujet de la Politique de Voisinage, tout en incitant les Etats-Unis à faire preuve d'une "compréhension" similaire, en particulier au sujet du bouclier antimissile.
Soit elle considère la Russie comme un voisin hostile, voire comme une menace potentielle. Dans ce cas, il lui faut accélérer l'intégration européenne de pays comme l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, approfondir ses relations avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan, voire réorienter les dispositifs de sécurité européenne contre la Russie.
Ce choix fondamental est d'autant plus difficile à effectuer que les intentions réelles de la Russie sont, en grande partie, opaques et, qu'à l'heure actuelle, les points d'accord et de coopération coexistent avec les motifs de désaccords et de conflits. Les contradictions sont encore plus flagrantes en ce qui concerne la tonalité générale des déclarations, alternativement amicales et agressives, des différents gouvernements. Le vainqueur de la prochaine élection présidentielle russe en mars 2008 dissipera peut-être ces ambiguïtés. Toutefois, la politique actuellement suivie par les dirigeants européens, consistant à réagir au coup par coup et en ordre dispersé (les politiques des différents Etats européens vis-à-vis de Moscou ayant tendance à se contredire mutuellement) aboutit à cumuler les inconvénients, puisque les Européens sont considérablement affaiblis par leur désunion et n'ont su ni établir un partenariat véritable avec la Russie, ni se prémunir contre les conséquences potentielles d'une nouvelle guerre froide. Les gouvernements européens doivent donc, de manière urgente, s'accorder pour définir de manière réaliste leurs attentes vis-à-vis de la Russie, les concessions qu'ils seront disposés à lui accorder en contrepartie et les "lignes rouges" dont ils ne toléreront le franchissement sous aucun prétexte.
Par ailleurs, et indépendamment du choix qui sera fait entre les deux termes de l'alternative, le rapport de l'Union européenne face à l'évolution politique du régime russe, et plus encore à la volonté russe de se servir sans complexes de l'énergie comme d'un instrument de puissance dans les relations internationales, peut devenir l'un des éléments clés pour vaincre la poussée de l'euroscepticisme en Europe centrale et orientale. Ce dernier restera, au contraire, durablement ancré si l'Union persiste à se montrer faible, voire complaisante à l'égard de ces évolutions et notamment si certains Etats membres acceptent de privilégier les relations bilatérales au détriment d'une relation euro-russe. Là encore, la France doit clarifier sa position : il est difficile de critiquer les pays d'Europe centrale et orientale pour leurs excès d'atlantisme, tout en évoquant de manière récurrente l'axe Paris-Berlin-Moscou, dont on sous-estime très largement l'impact sur les consciences collectives des nouveaux Etats membres.
- Le troisième impératif est de rompre avec l'illusion que la promotion d'une Union comme acteur global pourrait mobiliser de la même manière l'ensemble de ses Etats membres et consiste donc à négocier des "opting-out" ou la mise en place de "coopérations renforcées" pour progresser en matière diplomatique et militaire. Dans cette perspective, et de manière plus opérationnelle, il convient de poursuivre la mobilisation en faveur de la mise en œuvre concrète d'opérations militaires inter-étatiques, comme dans les Balkans, en République démocratique du Congo et plus récemment au Liban, et du développement d'initiatives diplomatiques, sur la base de coopérations entre certains Etats (le rôle joué par l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni dans la question nucléaire iranienne est exemplaire à cet égard), et qui pourront progressivement donner corps à une Union assumant ses responsabilités sur la scène internationale. Il convient de souligner que ces dispositifs de différenciation doivent nécessairement rester ouverts aux pays qui souhaiteraient rejoindre les Etats qui auraient constitué originellement ces "coopérations".
III – Quelles sont les conditions d'un "consensus stratégique" entre la France et ses partenaires européens en matière diplomatique et de défense ? Le rôle clé du Royaume-Uni
1 – Le rôle clé de la relation entre la France et le Royaume-Uni
Ce n'est qu'en prenant en considération ces différents éléments incontournables que la définition d'une vision stratégique européenne réaliste deviendra possible et que l'on pourra définir les objectifs concrets et les moyens de la politique étrangère de l'Union. Or, les remarques qui précèdent conduisent à souligner qu'un tel projet suppose l'existence d'un véritable "consensus stratégique", sans doute pas entre l'ensemble des Etats membres, mais, au moins dans un premier temps, entre certains d'entre eux qui peuvent avoir la volonté politique et les moyens de poursuivre l'objectif d'une diplomatie et d'une défense communes.
Le développement de ce "consensus stratégique" suppose un compromis entre différentes visions, expériences historiques et mémoires de l'Europe. Du point de vue de la France, cela doit conduire à tempérer le discours – très français et partagé un temps par l'Allemagne de Schröder – sur le nécessaire avènement d'un monde "multipolaire", et qui laisse à penser que l'Europe devrait, avant tout, avoir pour but de faire pièce à la puissance américaine, discours qui n'a aucune chance d'emporter l'adhésion d'un nombre significatif d'Etats membres de l'Union. De l'autre côté, les pays les plus atlantistes (Royaume-Uni, mais aussi bon nombre de "nouveaux" Etats membres) doivent non seulement clarifier leur attitude et se poser la question du réalisme d'une stratégie passive, se reposant exclusivement sur la présence américaine, mais aussi tirer toutes les conséquences d'une autre réalité incontournable : le fait que l'Europe n'est plus une priorité stratégique pour les Etats-Unis.
La reconnaissance et l'acceptation de ce qui précède mettent en évidence le fait qu'une nouvelle entente avec le Royaume-Uni constitue la clé de voûte de la politique européenne et internationale de la France. Sans un compromis historique entre la France et le Royaume-Uni, l'Union européenne et l'Alliance atlantique resteront irrémédiablement divisées contre elles-mêmes et aucun Etat européen ne parviendra, seul, à relever les défis internationaux auxquels tous doivent faire face [10].
Si les deux pays se caractérisent par une certaine proximité en termes de "culture de puissance" (passé impérial, possession de l'arme nucléaire, siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, effort budgétaire similaire en matière de défense, etc.), les obstacles à cette nouvelle "Entente cordiale" sont bien connus et demeurent importants. Les visions britannique et française de la construction européenne et du partenariat transatlantique demeurent philosophiquement opposées, le Royaume-Uni étant à la fois hostile par principe à tout abandon de souveraineté et favorable à une dilution de la spécificité européenne au sein d'un ensemble atlantique dirigé, par l'intermédiaire de Londres, depuis Washington. Cette vision s'enracine dans l'héritage politique (la souveraineté du Parlement), stratégique (la vision impériale et maritime, le maintien de la division du Continent européen) et culturelle (l'identité des civilisations britannique et américaine) de l'histoire anglaise. Mais elle repose également sur des intérêts bien réels. La coopération anglo-américaine dans le domaine du renseignement, les échanges dans le domaine des technologies militaires de pointe constituent pour le Royaume-Uni des atouts non négligeables et ne pourraient être aisément partagés avec d'autres partenaires.
2 – Vers une "nouvelle Entente cordiale" ?
Les événements récents pourraient néanmoins modifier ces données et ces calculs. La guerre en Irak a démontré au Royaume-Uni le danger d'un alignement trop inconditionnel sur les Etats-Unis. En même temps, la crise diplomatique du printemps 2003, au sein de l'Union européenne et au Conseil de Sécurité de l'ONU, a mis en évidence le coût potentiellement très élevé d'une rupture franco-britannique pour la diplomatie et les intérêts britanniques. La volonté de tout faire désormais pour éviter la réédition d'un tel scénario a conduit le Royaume-Uni, dès la fin 2003, à s'éloigner des Etats-Unis et à se joindre aux négociations initiées par la France et l'Allemagne au sujet du programme nucléaire iranien. Alors que le successeur de Tony Blair, vraisemblablement Gordon Brown, devra tirer les conséquences de l'échec britannique en Irak et s'attacher à rétablir l'influence britannique sur la scène européenne, la pérennisation du partenariat anglo-franco-allemand, au-delà de la question iranienne, apparaît comme une solution évidente, à la fois simple et potentiellement décisive. En raison de sa légitimité incontestée sur la scène intérieure et du crédit que lui ont valu ses principaux thèmes de campagne sur la scène européenne, Nicolas Sarkozy se trouve dans une position idéale pour suggérer cette démarche à ses deux principaux partenaires, tout en assurant aux autres membres de l'Union qu'ils ne seront exclus d'aucune délibération future concernant de nouvelles initiatives communes de Berlin, Londres et Paris sur la scène internationale.
En dépit des difficultés à prévoir, les conditions d'un rapprochement franco-britannique sont envisageables. La politique européenne récente a été marquée par deux événements majeurs : la décision du Royaume-Uni de soutenir l'invasion américaine de l'Irak sans consultation préalable de ses partenaires européens ; le rejet par la France du projet de traité constitutionnel, sans que ce rejet s'accompagne, jusqu'à une date récente, d'une proposition alternative crédible. Ces deux exemples mettent en évidence les conditions fondamentales d'une relance européenne. Ayant pu constater à quel point ces deux décisions avaient nui à leur pays respectif, pour chacun des successeurs de Jacques Chirac et de Tony Blair, une partie de la solution se trouve de l'autre côté de la Manche. C'est en acceptant de s'entraider que le Royaume-Uni et la France parviendront à rétablir leurs positions respectives sur les scènes européenne et internationale.
Les projets d'action conjoints entre la France et le Royaume-Uni sur la scène internationale ne manquent pas : outre la consolidation de l'Europe de la défense et des dispositifs européens de gestion des crises internationales, la lutte contre le réchauffement climatique et l'aide aux pays africains constituent, dans l'immédiat, les thèmes de rapprochement les plus prometteurs. Pourraient venir ensuite, en conjonction avec l'Allemagne, une politique européenne commune vis-à-vis de la Russie et des questions énergétiques. Enfin, à partir de l'expérience accumulée lors des négociations avec l'Iran, une démarche et une vision communes vis-à-vis des différentes crises du Proche-Orient pourraient émerger de manière progressive, concernant en particulier l'Irak après le retrait américain, l'Afghanistan et le conflit israélo-palestinien. Il resterait à convaincre les Etats-Unis, désormais affaiblis et en quête d'alliés, à se joindre à ces démarches européennes – une perspective envisageable après l'élection présidentielle de novembre 2008.
Une entente franco-britannique marquerait l'émergence véritable de l'Union européenne sur la scène internationale et répondrait aux intérêts des deux puissances. A deux conditions néanmoins: que la France ne cherche pas à continuer à faire de l'Union une projection d'elle-même "en grand" et qu'elle réaffirme sa volonté de voir la diplomatie européenne, même autonome, participer à la pérennisation du partenariat transatlantique. Ces deux concessions pourraient suffire à convaincre le Royaume-Uni de reconstruire sa politique extérieure autour d'un partenariat avec la France.
Conclusion
Dans le contexte de mondialisation des enjeux de sécurité, seule l'échelle de l'Union élargie peut permettre aux Etats européens de continuer d'exercer une influence sur la scène internationale. Dans cette perspective générale, la France, du fait de son histoire, de sa géographie, de ses caractéristiques diplomatiques et stratégiques, peut jouer un rôle dans la réalisation de ce projet et de ces objectifs, à condition qu'elle mette sa politique européenne au diapason de la réalité de l'Union et de l'évolution internationale, en particulier dans ses rapports avec les Etats-Unis et la Russie.
Si l'on s'accorde avec cette dernière remarque, cela doit conduire à un certain nombre d'inflexions de la politique européenne de la France. En particulier, il s'agit de promouvoir une relation plus lucide entre la France et l'Union européenne qui ne soit pas uniquement fondée sur un désir de projection, ce qui nourrit d'inévitables frustrations et désillusions. L'Union ne se construit pas comme un "jardin à la française" et sa réalité est celle de 27 Etats qui sont des partenaires les uns pour les autres et qui sont porteurs d'histoire et de vision parfois différentes. Ne pas prendre en compte ces réalités, et ne pas entamer cette réflexion, risque d'entraîner la prolongation d'un malaise latent qui empêcherait la France de jouer pleinement son rôle dans l'Union. C'est aussi sans doute une condition sine qua non pour rompre avec le doute que les Français nourrissent quant à leur avenir en Europe et dans le monde en mutation.
Les développements qui précèdent nous conduisent à conclure par une proposition qui pourrait s'inscrire dans le changement de contexte politique qui caractérise certains Etats membres. 10 ans après les accords de "Saint-Malo" et dans le contexte actuel de relance institutionnelle sous l'impulsion de l'Allemagne, il s'agirait de prendre l'initiative d'un consensus stratégique, porté par l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni, qui pourrait fournir la base d'une volonté partagée par le plus grand nombre possible d'Etats membres d'avancer dans certains domaines désormais incontournables : au-delà même des initiatives en matière diplomatique et militaire, il pourrait s'agir d'opérer des rapprochements dans les domaines de la politique de l'énergie, de la lutte contre le changement climatique, mais aussi de la politique d'aide au développement. C'est là une voie qui, mieux peut-être qu'aucune autre, permettrait en effet à la France de "revenir en Europe" tout en redonnant une finalité concrète à l'Union européenne.
Fondation Robert Schuman