lundi, mai 07, 2007

*** Un président pour rassembler! ***

*** Le portrait du nouveau président de la République par Jean d’Ormesson de l’Académie française :

Ça commence comme un roman. Il vient de loin. «À ceux qui parlent du Mozart de la politique, à ceux qui parlent sans savoir de ma carrière exceptionnelle, fulgurante, facile, où tout m’a souri, écrira plus tard Nicolas Sarkozy, je rappelle que je suis en fait l’ébéniste qui a dû raboter de longues années avant de gagner sa place parmi les meilleurs ouvriers de France.»

Le père de sa mère, le docteur Benedict Mallah, est un juif séfarade, débarqué de Salonique. Souvent absent – et c’est une blessure – son père Pal Sarkozy de Nagy-Bocsa est un aristocrate hongrois. Et lui n’est pas énarque.

Tout ce qui compte à la tête de l’État est passé par l’ENA. Lui n’est pas du sérail. Mais dès l’âge

le plus tendre, la politique s’empare de lui. Ou il s’empare de la politique. En décembre 1976, pour remplacer l’UDR, Chirac crée son parti, le RPR. Pour la première fois, une foule crie: «Chirac, président!» Un garçon de vingt et un ans est chargé de chauffer la salle sur le thème

«Les jeunes pour Chirac!» : efflanqué, les cheveux longs, c’est Nicolas Sarkozy. Sous la direction de René Rémond, qui vient de nous quitter, le jeune Nicolas, qui a vendu des glaces pour payer ses études d’avocat, prépare une maîtrise en sciences politiques sur le référendum de 1969, le départ du Général et l’ascension de Pompidou: de quoi apprendre déjà à admirer le père et à lui être fidèle, à le tuer ensuite parce que l’histoire ne s’arrête pas.

Bonaparte au pont de Neuilly

L’élection présidentielle s’est jouée en partie sur la personnalité des candidats. Que nous apprennent sur Nicolas Sarkozy les étapes d’une carrière que nous ne retracerons pas ici parce que tout le monde la connaît? D’abord, qu’il est ambitieux. Il a le complexe de César. Il veut le pouvoir, et il l’aime.

En avril 1983 – il a vingt-sept ans – un compagnon de la Libération meurt : c’est Achille Peretti, maire de Neuilly. Au terme d’une campagne menée tambour battant, il prend la mairie dans la poche de Charles Pasqua. C’est Bonaparte au pont de Neuilly.

Dix ans plus tard, en 1993, il veut être porte-parole du gouvernement, avec un grand ministère. Balladur lui propose le ministère de l’Équipement : il refuse. Des Relations avec le Parlement : il refuse.

De la Culture : il refuse. Il obtient le ministère du Budget et devient porte-parole. Dix ans encore plus tard, le 20 novembre 2003, à une émission fameuse de «100 minutes pour convaincre», il est interrogé par Alain Duhamel, devant 6,6 millions de téléspectateurs: «Pensez-vous à la présidentielle, le matin en vous rasant ?» Il répond qu’il y pense, «et pas seulement en se rasant». À partir de ce jour, Jacques Chirac a un successeur. Cet ambitieux est fidèle, et il est loyal. En 1995, il est pris dans les rets de la bataille entre les «deux amis de trente ans» : Balladur et Chirac. Il souffrira cruellement d’avoir choisi le premier contre le second et il restera attaché et à l’un et à l’autre, comme il était resté attaché à Pasqua après la prise de la mairie de Neuilly. Philippe Séguin, qui avait pris le parti de Chirac, dira de Sarkozy à qui il s’était opposé avec vivacité: «Si je dois résumer aujourd’hui d’un mot ce que je pense de lui, ce mot est loyal. Sarko est un adversaire loyal». Loyal, et évidemment courageux : l’affaire de la «bombe humaine» dans une école de Neuilly est dans toutes les mémoires. Mais ce qui frappe le plus les Français, et d’abord les téléspectateurs qui ont beaucoup contribué à son ascension, ce sont ses dons d’orateur. Il est clair, brillant, convaincant, et, de ses premières interventions à la télévision jusqu’aux grandes manifestations de masse à la porte de Versailles ou à Bercy, il entraîne les foules qui l’écoutent. Il les entraîne surtout – et c’est une nouveauté – parce qu’il dit ce qu’elles pensent. Et ce qu’il pense. Il est l’adversaire de la langue de bois, il appelle un chat un chat et son activisme lui vaut le surnom de Speedy Sarko. Kouchner, les Français l’aiment pour ce qu’il est; Sarkozy, ils l’aiment pour ce qu’il fait.

Un Gramsci inattendu

Que fait-il ? Il rend à la droite sa dignité perdue. Depuis Vichy, la droite est l’image même

de la conscience malheureuse. Elle rase les murs, elle se camoufle, elle a honte d’elle-même

et de ce qu’elle est. L’intelligence est à gauche, la bonne conscience est à gauche. Icône d’un socialisme dont il n’est pas issu mais qu’il a incarné, Mitterrand a fini par mener en toute impunité une politique de droite : il pouvait le faire parce qu’il était de gauche. Élu de la droite, Chirac mène en catimini une politique plus radicale-socialiste que gaulliste. Sarkozy s’affiche de droite avec santé, avec provocation. Il s’attire, bien entendu, l’hostilité déclarée de la gauche tout entière, et plus particulièrement de l’intelligence de gauche, déchaînée contre lui et qui n’hésite pas, contre toute évidence, à l’accuser de fascisme et de totalitarisme. M. Cohn-Bendit, tout récemment, a été plus fort encore en le traitant de «bolcheviste». Il n’en a cure. Il se déclare, avec une ombre de forfanterie, pour les victimes contre les délinquants, pour l’ordre et la sécurité contre les fraudeurs, les casseurs, la racaille, pour de Gaulle et Pompidou contre mai 1968. La vraie rupture est là. Un vent nouveau commence à se lever. La fameuse majorité silencieuse a trouvé son héraut. Avec son parler rude et ses mots à l’emporte- pièce, il ne fait pas seulement peur au camp adverse : il lui arrive d’inquiéter son propre camp. Il poursuit son chemin sans jamais dévier d’un pouce. Soucieux de ramener à la politique des Français découragés et parfois écœurés qui s’en éloignent de plus en plus. Sarkozy n’a pas l’ambition d’être un intellectuel. À son insu peut-être, son souci de refondation idéologique lui fera pourtant jouer le rôle inattendu d’une espèce imprévue de Gramsci de droite: il devine que ce sont les valeurs et les idées qui font bouger les choses. Et les idées, il en a deux.

Une droite réconciliée

La première est que la droite est faible parce qu’elle est divisée. Elle meurt de ses divisions. Elle a été divisée entre Pompidou et Poher. Elle a été divisée, contre Mitterrand, entre Giscard et Chaban. Elle a surtout été divisée entre Chirac et Giscard, et quatorze ans de socialisme sont sortis de ce drame. Au lendemain de Mitterrand, elle est divisée entre Chirac et Balladur. Voilà qu’elle est divisée entre Chirac et lui-même et, autour de Chirac, entre Villepin et lui-même. Le ton monte. Les mots fusent. Tout le monde se souvient de «Je décide et il exécute» et de la comparaison ébauchée par Sarkozy entre Chirac et Louis XVI. Les relations de Sarkozy sont mauvaises avec le président. Elles sont pires encore avec le premier ministre. Que se passe-t-il ? Étoile nouvelle et brillante au firmament politique, Villepin se souvient de 1995 et de la bataille entre Chirac et Balladur. À l’époque, tous les sondages donnaient l’élection déjà jouée et Balladur élu. En politique, ce qui arrive le plus souvent, c’est l’imprévisible. Quatre ans, trois ans, deux ans avant l’échéance de 2007, Chirac et Villepin sont persuadés que Sarkozy, parti trop fort et trop tôt, sera un nouveau Balladur. Ils guettent son effondrement inévitable. Il faut donc prévoir des solutions de rechange. Le feu couve sous la cendre. La tempête se lève. Le bateau tangue assez fort. Sarkozy s’accroche, se bat, ne cède jamais et s’obstine à imposer, derrière lui, l’unité d’une droite réconciliée avec elle-même. Et il finira par gagner, après avoir fait, de bout en bout, la course présidentielle en tête. Si l’élection a comporté une surprise – la fameuse surprise tant attendue par beaucoup – c’est celle-là.

Le Front national étouffé

La seconde idée, liée à la première, est que l’unité et le succès d’une droite majoritaire dans le pays sont menacés depuis plus de vingt ans par la sécession de Le Pen et de son Front national.

Tout au long des quatorze ans du double mandat socialiste, et au-delà même de ce mandat, Le Pen a été l’atout maître de François Mitterrand et de la gauche. Montée aux environs de 20 %, l’extrême droite, qui plafonnait il y a trente ans au-dessous de 1%, assurait immanquablement

à elle seule la victoire de la gauche. Le premier et le seul, Nicolas Sarkozy s’est proposé d’assécher le Front national et de ramener au bercail de la droite républicaine ses électeurs extrémistes. Il a réussi dans cette tâche et il doit à cette réussite une bonne partie de son élection. Du coup, il a été vilipendé par l’extrême droite dont il détruisait les espérances et traité de plus belle d’extrémiste et de fasciste par une partie de la gauche dont il ruinait le fonds de commerce.

Qu’a-t-il fait ? Rien d’autre de ce qu’avait fait Mitterrand avec le Parti communiste. Personne

n’a traité Mitterrand de communiste sous prétexte qu’il s’était allié avec un PC encore fortement teinté de stalinisme et qu’il avait pris dans son gouvernement des ministres communistes. Nicolas Sarkozy est allé, à droite, beaucoup moins loin que Mitterrand à gauche. Il ne s’est pas allié au Front national. Il ne nommera pas des ministres lepénistes. Il est républicain. Si François Mitterrand a embrassé le Parti communiste, c’était pour mieux l’étouffer. Nicolas Sarkozy n’a même pas embrassé Le Pen ni l’extrémisme de droite. Il s’est contenté de les étouffer. Qu’on

le veuille ou non, il restera dans l’histoire comme le président qui aura fait reculer le Front national. Il aura payé assez cher ce succès qui a mis fin à une situation d’où naissait pour la gauche

un triomphe presque assuré. Peu d’hommes politiques français auront été insultés comme lui. Une des spécificités françaises était de laisser la vie privée à l’écart de la vie publique. Dans sa vie privée comme dans sa vie publique, Nicolas Sarkozy aura été harcelé et abreuvé de calomnies et d’injures qui ne grandissent pas ceux qui les ont proférées. Les voies de l’histoire sont impénétrables. Il n’est pas exclu que Sarkozy ait été, en fin de compte, plus servi que desservi par tant de coups et de blessures.

Convictions et ouverture

L’élection n’est pas une fin. Elle est plutôt un début. Être élu n’est rien. Il faut maintenant gouverner. Après l’épopée de la conquête du pouvoir, que sera son exercice ? «Trop libéral, trop atlantiste, trop communautariste», répétaient il y a encore quelques mois ses adversaires – et parfois ses amis. Il est permis de penser qu’il y aura au moins autant de surprises après l’élection qu’avant. Nicolas Sarkozy n’est pas du genre à traverser le Rubicon pour y pêcher à la ligne. Il ne mangera pas son chapeau. Il ne trahira pas ses promesses. Nous entrons dans un temps de convictions, de fermeté, d’autorité. On parierait pourtant volontiers sur une présidence d’ouverture

et de rassemblement. Après avoir incarné et unifié la droite, Nicolas Sarkozy cherchera, n’en doutons pas, tout l’indique, à incarner et à unifier la nation. Attachez vos ceintures. Il va y avoir du sport. Il n’est pas impossible qu’il soit là pour dix ans et qu’il marque ce pays d’une empreinte durable.

Le Figaro
07 mai 2007
*Photo : Richard Vialeron/ Le Figaro.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire