***Ue fois de plus, les Irlandais s'y seront pris par deux fois avant d'approuver la ratification d'un traité. En 2001, ils avaient rejeté celui de Nice à 53,9 %. Leur premier ministre d'alors, Bertie Ahern, avait tiré prétexte de la forte abstention pour les faire revoter et en 2002, les Irlandais se prononçaient pour le traité de Nice, à 62,9 %.
Le même renversement vient de se produire sur la question du traité de Lisbonne, destiné à améliorer le fonctionnement de l'Union européenne élargie : les Irlandais l'avaient rejeté à 53,4 % (contre 46 %), en juin 2008. Ils viennent désormais de se raviser et de l'approuver à une écrasante majorité : 67,13 % de oui, 32,87 % de non. La participation, de 53,1 % en 2008, est de 59 % cette année. Dans certaines circonscriptions de Dublin, le oui a dépassé 70 % des suffrages. Sur les quarante-trois circonscriptions du pays, seules deux ont voté non : celles des pêcheurs du comté de Donegal, à l'extrême nord-ouest, dans la partie irlandaise de l'Ulster où le Sinn Fein (parti nationaliste de gauche radicale, partisan du non), est solidement implanté.
"C'EST UN BON JOUR POUR L'EUROPE"
"C'est un bon jour pour l'Irlande, un bon jour pour l'Europe", a déclaré le taoiseach (premier ministre), Brian Cowen. "Désormais, l'Irlande est prête à grandir et à prospérer. Reste à y mettre notre imagination, notre détermination et notre courage." L'homme d'affaires Declan Ganley, qui avait largement contribué à porter la victoire du "non" il y a un an, lui a ironiquement adressé ses compliments : "Je félicite le taoiseach pour l'efficacité de sa campagne. Il sait mener une campagne, c'est un bon politicien." Le vote des Irlandais, a-t-il ajouté, "n'est pas inspiré par l'espoir mais par autre chose, de l'ordre de la crainte. Les Irlandais sont terrifiés. Nous n'avons pas réussi, mais nous avons dit la vérité. Le gouvernement a promis qu'un 'oui' conduirait au retour de l'emploi et de la bonne santé économique. Rendez-vous ici l'année prochaine…" Joe Higgins, le président du Parti socialiste (qui se revendique comme " trotskyste "), dénonce, lui, "la grande coalition : entre les élites politiques, les élites européennes, le grand patronat et la majorité des médias".
Les électeurs ont rejeté les arguments du "non", soutenus par les partis ou mouvements aux extrémités de l'échiquier politique. Très à gauche, le Sinn Fein, le parti People Before Profit et le Parti socialiste (contrairement au le Parti travailliste, lui en faveur du traité), qui condamnaient la perte de souveraineté et l'Europe libérale, malgré le soutien apporté au traité par la quasi-totalité des syndicats. Très à droite, l'association Libertas de Declan Ganley condamnait un traité "antidémocratique" et l'indépendance perdue ; le groupe conservateur ultracatholique Coir prétendait que le traité impliquait la dégringolade du salaire minimum garanti, l'autorisation de l'avortement et de l'euthanasie ; le parti indépendantiste britannique Ukip agitait la menace de l'immigration ou de l'entrée de la Turquie. Son leader, l'eurodéputé Nigel Farrage, est venu faire campagne en Irlande.
"SPÉCIFICITÉS CELTIQUES"
En 2008, ces peurs brandies et mises en forme dans des slogans particulièrement efficaces avaient eu raison du traité de Lisbonne. En 2009, leurs menaces paraissaient usées. Et c'est une autre peur qui l'a emporté. Plus encore que les garanties accordées à l'Irlande par ses partenaires européens sur le maintien de son commissaire irlandais à Bruxelles et sur ses "spécificités celtiques" (taux d'imposition réduit, maintien de la neutralité militaire et de l'interdiction de l'avortement), le contexte de la crise économique a motivé le revirement de l'opinion en Irlande, victime du chômage et d'une récession sans précédent. En 2008, l'Irlande se croyait invulnérable. En 2009, l'Union européenne est perçue à nouveau comme une bouée de sauvetage. Les partisans du "oui" ont convaincu les Irlandais qu'un non de leur part signifierait, politiquement et économiquement, la mise à l'écart de leur pays. Qu'un "oui", au contraire, serait la seule condition pour créer des emplois.
Le gouvernement et les partis politiques parlementaires, tous favorables au "oui" à l'exception du Sinn Fein, ont mené activement une campagne qu'ils avaient totalement négligée il y a un an. Les chefs d'entreprise, dont le PDG de Ryan Air, Michael O'Leary, se sont engagés en faveur du traité au nom de la sauvegarde des investissements, donc de l'emploi. Les syndicats, eux aussi, l'ont massivement soutenu. D'autres très nombreux acteurs de la société civile, au premier rang desquels l'ancien président irlandais du Parlement européen, Pat Cox, ont remonté leurs manches, fait du porte-à-porte et organisé des meetings, pour convaincre toutes les couches de la société civile. Il s'agissait surtout pour eux de marquer la différence entre le vote sur le traité de Lisbonne, "enjeu national à long terme" et la colère que les électeurs étaient tentés d'exprimer contre leur gouvernement : le premier ministre, Brian Cowen, atteint un record historique d'impopularité (89 %). "La sanction du gouvernement sera pour un autre jour", dit Pat Cox.
"CETTE FOIS, ON A MIEUX COMPRIS"
Le retournement de l'opinion est significatif dans de nombreuses circonscriptions. A Cork South Central, celle du ministre des affaires étrangères Micheal Martin, comme à Galway, celle de Declan Ganley, le "non" l'avait emporté en 2008 à plus de 55 %. Le "oui" y triomphe maintenant à plus de 65 %. A la sortie du bureau de vote, vendredi 2 octobre, dans un quartier populaire du centre de Dublin, autour de Francis street, ils expliquaient pourquoi ils s'étaient ravisés. Martin, charpentier en retraite, n'était pas le seul à le dire : "La dernière fois, on nous demandait de voter 'oui' sans prendre la peine de nous expliquer. Cette fois, on a mieux compris. Et vu l'état où on se trouve, rester tout seuls en Europe, ce serait idiot." Rachel, jeune professeur de yoga, avait elle aussi voté non la première fois : "Nos hommes politiques avouaient n'avoir pas lu le traité et n'avaient aucune considération pour nous. Cette fois, leurs arguments ont été forts. Et ceux du 'non', sur le salaire minimum où l'indépendance acquise par nos héros historiques apparaissaient, en revanche, totalement mensongers et stupides."
Les ennuis du traité de Lisbonne, qui doit être ratifié par les Vingt-Sept Etats membres pour entrer en vigueur, ne s'arrêtent pas avec le vote favorable des Irlandais. Le président polonais, Lech Kaczynski, a assuré qu'il le signerait mais le président tchèque, Vaclav Klaus, fait tout pour l'éviter. Il organise indirectement des recours auprès de la Cour constitutionnelle tchèque. Il compte ainsi gagner du temps et ne pas apposer sa signature au traité avant la probable arrivée au pouvoir des Conservateurs britanniques, d'ici au printemps 2010. Leur leader, David Cameron, a promis de revenir sur la ratification du traité de Lisbonne par le Royaume-Uni et, s'il est encore en débat, d'organiser un référendum.
Marion Van Renterghem
LE MONDE
03.10.09 |
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