lundi, juin 11, 2012

*Quel est le lien entre diplomatie et entreprises ?...*

ENTRETIEN 
DE LA SOUS-DIRECTRICE DE L’INNOVATION ET DES ENTREPRISES DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, AVEC LA REVUE TRIMESTRIELLE «CHOISEUL»





(Paris, 5 juin 2012)

"Q - Expliquez-nous ce que vous faites dans cette sous-direction.
R - Avant de vous présenter le rôle et la mission de ma sous-direction, permettez-moi de faire quelques observations que je crois importantes pour comprendre le lien entre diplomatie et entreprises.
Constatons d’abord que la diplomatie est une fonction d’État par excellence. Pour autant, elle n’échappe pas, tout au contraire, à la nécessité d’une évolution de son rôle, de ses méthodes de travail, de ses moyens d’action.
De fait, on a assisté ces dernières années à un renouvellement généralisé des méthodes de travail, qui s’est étendu à l’ensemble des métiers exercés au sein de notre ministère. La mission de négociation demeure naturellement au cœur du métier, mais il y a, toujours davantage, un travail quotidien de veille et d’influence qui est réalisé par nos ambassades et par l’administration à Paris. Ce travail s’exerce au service d’une relation de confiance avec nos partenaires, mais aussi je le crois au service de nos intérêts nationaux et européens.
C’est à ce titre que l’on ne peut sans doute plus penser la politique étrangère comme totalement «à part» et déconnectée des enjeux proprement nationaux, des préoccupations économiques et sociales, des préoccupations d’emploi. Ce doit être aussi un instrument au service de la compétitivité globale de nos entreprises, petites et grandes. Il incombe au ministère des Affaires étrangères de travailler à la meilleure synergie possible de tous les acteurs présents à l’international.
Q - Mais n’y a-t-il pas une forme d’affaiblissement du Quai d’Orsay, dans ses fonctions de coordination, alors que se sont développées, dans tous les ministères des directions internationales ?
R - Je ne le crois pas. La dimension internationale est désormais présente partout, et dès lors le besoin n’a jamais été si grand dans le contexte de mondialisation, d’interdépendance complexe des crises et des enjeux, d’avoir un ministère investi d’une mission transversale d’analyse, de décryptage, de coordination, et d’initiative aussi. Et surtout capable d’appréhender la globalité des situations politiques et des rapports de force.
Q - Pour vous, il n’y aurait donc pas de rivalités avec les autres acteurs d’État qui pourraient être concernés par le développement de nos entreprises à l’international ?
R - Non, car nous sommes tous au service d’un même intérêt. Et comme plusieurs ministres des Affaires étrangères l’ont rappelé, cette fonction qu’a le Quai d’Orsay de synthèse et de «tour de contrôle à l’international» est un besoin pour l’appareil étatique mais constitue aussi une valeur ajoutée certaine pour les entreprises.
Par ailleurs, et c’est indispensable, il existe diverses instances de coordination interministérielle chargées d’assurer un pilotage plus pointu pour certains grands contrats civils et militaires.
Q - Expliquez-nous quels sont les moyens qui sont aujourd’hui mis en œuvre pour aider les entreprises.
R - La force de notre réseau diplomatique d’abord. Ce sont bien sûr nos ambassadeurs et leurs équipes qui ont la connaissance la plus fine de la situation dans leurs pays de résidence. Ce sont eux qui ont la mission première d’éclairer nos entreprises, et de les aider à se développer.
À Paris, une équipe est dédiée au soutien de nos entreprises. La sous-direction Innovation et Entreprises - les deux termes sont importants - a pour vocation initiale d’être une passerelle entre les décideurs économiques et l’ensemble du ministère.
Cette équipe est constituée aujourd’hui de vingt personnes, dont quinze cadres, venus d’horizons divers : diplomates, dont beaucoup ont eu une expérience en entreprise, mais aussi experts qui apportent leur compétence particulière dans des domaines stratégiques comme le nucléaire civil, le spatial, les transports, les télécoms, ou encore le secteur de la défense.
Trois pôles se partagent le suivi et le soutien des projets dans les secteurs stratégiques, mais aussi l’innovation. La création d’un Club des ambassadeurs et d’un Club des entrepreneurs, sous l’égide du Secrétaire général du Quai d’Orsay, est une illustration de notre volonté d’être davantage à l’écoute et présent aux côtés des entreprises, pour les accompagner dans leurs stratégies.
Q - Que peut apporter le privé en termes d’expérience et de pratiques sur le terrain diplomatique à la française ? En quoi l’évolution est-elle positive ? Passer de l’entreprise à la diplomatie vous confère-t-il une meilleure vision  de ce qu’est la diplomatie d’entreprise ?
R - Mon expérience au sein de la direction internationale de Total m’a permis de mieux comprendre les défis et les contraintes qui se posent du point de vue de l’entreprise. Aujourd’hui, beaucoup de mes collègues ont également choisi d’avoir une expérience professionnelle de ce type (au sein de GDF-Suez, Areva, Vivendi, Safran, Société Générale, EADS, Michelin, Thales, Lafarge …).
On y apprend sans doute à travailler avec des objectifs très concrets, des méthodes pragmatiques, à la recherche de résultats que l’on va pouvoir mesurer, voire chiffrer dans des délais assez brefs. Même si, bien sûr, l’horizon des investissements dans la plupart des grandes industries, est à très long terme également. On y développe aussi une culture de «projet», ce qui implique d’en appréhender les multiples facettes.
Notre politique des ressources humaines est de plus en plus engagée à encourager ces expériences dans le privé, pour un enrichissement mutuel. Et c’est, je le crois, une évolution très positive. Après plusieurs années passées au sein d’une entreprise, le retour au sein du ministère doit bien sûr être favorisé et valorisé.
Q - Y a-t-il des actions mises en œuvre au sein de votre ministère de formation spécifique aux relations avec les entreprises ?
R - Oui, et à tous les stades du parcours professionnel. S’agissant par exemple des jeunes lauréats des concours d’accès au ministère, chaque année dans leur programme de formation, un module spécial est consacré aux  enjeux de la relation avec les entreprises.
Des responsables de celles-ci viennent participer à ces séances de formation. Le message est clair : soutenir le développement de nos entreprises à l’étranger a une conséquence directe sur leur compétitivité à l’international, et le maintien d’emplois en France, ainsi que sur l’influence de notre pays dans le monde. Les entreprises ont besoin que nous nous mobilisions, chacun dans nos fonctions respectives.
Q - Quels sont vos interlocuteurs dans les grandes entreprises ? Ceux qui s’occupent de l’international ou les techniciens ?
R - Cela dépend. Nos interlocuteurs naturels sont les directeurs des relations institutionnelles, du développement international, des affaires européennes, des affaires publiques … Ceux que vous appelez les «diplomates d’entreprises». Il nous arrive également de mettre en place, à la demande de l’entreprise, des réunions plus spécifiques et approfondies sur un pays ou une région. Nous réunissons alors autour d’une table tous ceux qui ont à traiter de cette question et les entreprises sont représentées comme elles le décident, avec les responsables opérationnels concernés. Certains dossiers sensibles nécessitent d’ailleurs des négociations directes avec nos partenaires étrangers, et nous devons les mener en concertation étroite avec l’entreprise. N’oublions pas naturellement nos ambassades qui sont elles-mêmes en contact avec la représentation locale de l’industriel quand elle existe, et se tiennent disponibles pour accueillir les dirigeants du groupe quand ils se rendent à l’étranger.
Q - Y a-t-il des critères de choix quant à savoir quelle entreprise le ministère des Affaires étrangères va soutenir ?
R - Publique ou privée, 100 % française ou non, l’intérêt stratégique que l’on a à soutenir une entreprise repose sur le fait que son succès a un intérêt pour la France ou pour l’Europe, en termes d’emploi, en termes de renforcement de nos positions à l’étranger, en termes de sécurité d’approvisionnement énergétique… Les critères d’appréciation peuvent être nombreux mais des retombées positives pour le pays, directes ou indirectes, doivent être attendues. Notre appui aux industriels reste, bien sûr, conditionné aux respects de leur part des règles de responsabilité sociale et environnementale.
Q - Est-ce l’État, par l’intermédiaire du Quai d’Orsay, qui invite les entreprises à aller dans telle ou telle zone, à participer à tel ou tel appel d’offre, ou est-ce les entreprises qui sollicitent le Quai d’Orsay ?
R - En règle générale, ce sont les entreprises qui viennent vers nous. Nous n’avons pas de directives quant aux choix qu’elles peuvent faire en termes géographiques, à l’exception bien sûr des pays sous embargo ou des procédures de contrôle et d’autorisation spécifiques pour les matériels sensibles. Les entreprises ont leurs propres priorités stratégiques. Et cela dépend de leur secteur d’activité, de leur taille, de leur positionnement sur le marché. En sens inverse, nos ambassades peuvent, grâce à leur connaissance du pays, identifier des perspectives de coopération industrielle et des opportunités.
L’enjeu est de faire converger l’intérêt économique de l’entreprise, voire l’intérêt de l’ensemble du secteur ou de la filière, et l’intérêt stratégique qui s’inscrit dans la relation politique de la France avec le pays partenaire. Cela passe par un dialogue régulier et constructif avec les groupes, mais en aucun cas nous ne décidons à leur place.
Q - Qu’est-ce que vous apportez aux entreprises, quelle est la plus value du Quai ?
R - Tout dépend de l’entreprise, de ce qu’elle souhaite développer, de ce qu’elle cherche. C’est pour cela qu’il s’agit toujours de «cas par cas», tout en essayant de maintenir un cap commun. Pour faire simple, une première action possible est le partage d’informations. Le ministère des Affaires étrangères effectue un travail de veille, d’analyses dont il peut faire bénéficier les entreprises. A titre d’exemple, un travail particulier est réalisé sur les pays émergents sous la forme d’un recueil dédié aux décideurs économiques. Mais nos ambassades réalisent également des veilles technologiques et scientifiques, qui pour nombre de PME innovantes sont une aide précieuse.
Le deuxième type d’action possible, à l’appui de certains contrats, est le soutien politique que nous pouvons y apporter, ce qui vient justifier pleinement le rôle de notre ambassadeur et du Quai d’Orsay dans son ensemble.
Le troisième type de soutien réside dans notre participation à toutes les négociations multilatérales, en particulier dans le cadre européen, qui conduisent à la définition des règles juridiques et des normes déterminant l’environnement de l’activité des entreprises. Il est clair que leur appréciation sur les besoins, le souci d’assurer une concurrence loyale, l’impact d’une nouvelle règle sur leur développement, font partie des paramètres fondamentaux de l’élaboration de nos positions dans ces négociations.
L’influence passe également par la préparation de l’avenir. À ce titre, je pourrais citer la contribution éminente qu’apporte à notre influence à long terme le réseau des établissements scolaires français à l’étranger , et aussi le programme d’invitation en France de jeunes «personnalités d’avenir», qui auront donc demain des responsabilités dans leurs pays et seront peut-être à même de prendre des décisions favorables aux intérêts économiques français.
Enfin, il faudrait parler plus amplement des bourses, de l’accueil d’étudiants étrangers, réellement motivés et qui réussiront d’autant mieux leur apprentissage en France, qu’ils pourront bénéficier d’un cadre d’accueil intelligent, et pour certains d’un stage et d’un tutorat au sein d’une entreprise. Le programme de bourses cofinancé «Quai d’Orsay/entreprises» associe aujourd’hui de grands groupes comme Air Liquide, Areva, Total, GDF Suez… Au total 62 entreprises investies avec nous pour développer ce type de formation en France. 38 pays sont concernés.
Q - Comment définiriez-vous le modèle français ? Est-ce qu’il y a des stratégies étrangères qui vous semblent innovantes, en général, par rapport à la relation avec le monde de l’entreprise ?
R - Les comparaisons sont difficiles. Notre histoire, notre culture économique sont différentes de celles de nos grands partenaires. Notre tissu industriel est différent également. La relation avec les entreprises l’est donc également. En revanche, force est de constater qu’il y a sans doute une relation plus «décomplexée» avec les entreprises dans les pays anglo-saxons, et une relation de proximité en Allemagne que nous ne connaissons pas en France.
Aujourd’hui notre effort doit sans doute porter davantage sur les PME et les entreprises de taille intermédiaire qui peuvent bénéficier certes, du «portage» des grands groupes, mais qui ont besoin d’un accompagnement particulier dans leurs ambitions de se développer à l’étranger.
Q - De par votre fonction, et la relation continue que vous avez avec les entreprises, avez-vous remarqué un style d’école française dans la pratique de la diplomatie d’entreprise ?
R - Je ne peux pas parler pour elles. Il me semble néanmoins que certaines entreprises qui, il y a quelques années encore, dans un contexte de mondialisation heureuse, et alors qu’il semblait que toutes les opportunités s’offraient à elles, avaient peut-être un peu délaissé l’approche étatique, ont pris davantage la mesure de la complexité de l’évolution du monde, du retour du facteur politique dans un certain nombre de pays émergents, des foyers de crise…
Ces évolutions rendent sans doute plus nécessaire pour elles le rôle de la diplomatie, et le soutien que nous pouvons leur apporter. Elles sont donc plus nombreuses aujourd’hui à souhaiter nous rencontrer.
Q - Si vous deviez donner un conseil à vos interlocuteurs pour être plus performant, pour «mieux travailler» ?
R - Je n’ai pas à leur donner de conseils ! En tout cas, je leur dis que dans un contexte international qui change vite, ils n’auront que peu de temps pour prendre en compte et analyser beaucoup de paramètres, la plupart le savent déjà, et face à cela, ils ne doivent se priver d’aucune source, d’aucune information que pourrait leur apporter l’État et notamment le Quai d’Orsay. Les grands groupes le font ; d’autres osent moins. Ils ne doivent pas hésiter, nous ne sommes pas très nombreux, mais nous sommes là, forts de l’ensemble de notre réseau diplomatique et de nos compétences, prêts à leur apporter notre soutien./."


***En effet, dans un contexte international qui change vite, 
ils n’auront que peu de temps pour prendre en compte et analyser beaucoup de paramètres, la plupart le savent déjà, et face à cela, ils ne doivent se priver d’aucune source, d’aucune information que pourrait leur apporter l’État et notamment le Quai d’Orsay. Les grands groupes le font, Morgane BRAVO (Diplomatie Numérique, Digital Diplomacy ;-)... d’autres osent moins. Ils ne doivent pas hésiter, nous ne sommes pas très nombreux!***

A SUIVRE...!



Bien à vous,


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