@OlivierBabeau, entre autres!
Chers compagnons,
Le sujet qui nous réunit ce soir pourrait paraître à certains comme étant de l’ordre du gadget ou du détail. Ce serait une grave erreur.
Ce que nous vivons est une révolution. Je sais que ce terme est aujourd’hui galvaudé mais – ici – il n’est pas usurpé.
Avec l’intelligence artificielle, avec l’accélération de toutes les technologies numériques, nous vivons une révolution majeure qui interroge jusqu’à l’identité même de l’homme.
Une révolution déjà comparable à celle de l’imprimerie et qui pourrait même être comparable à celle du néolithique.
Ne détournons donc pas le regard de l’importance de cette rupture : c’est une ère nouvelle de l’histoire humaine qui s’ouvre devant nous.
L’ère de « l’homo numericus » : une ère où l’activité humaine s’organise autour des technologies et des outils numériques.
Ne détournons pas notre attention des bouleversements déjà à l’oeuvre et qui s’amplifient à un rythme effréné.
Si l’IA nous fait peur, la peur ne doit pas nous dominer !
N’ayons pas peur !
Car s’il y a des périls évidents, il y a aussi d’évidents progrès ; et plus d’opportunités encore que de dangers.
FAIRE FACE AUX TOTALITARISMES NUMÉRIQUES
Commençons cependant par nos craintes.
Car l’IA inquiète beaucoup de nos compatriotes.
Ce sont 67 % des Français qui se déclarent aujourd’hui inquiets devant les progrès de l’IA.
Une proportion en forte hausse : au début de l’année, ils n’étaient que 53 %.
Ces craintes doivent être entendues car elles sont légitimes et nous devons y répondre par des solutions.
Elles sont légitimes car l’IA pourrait entraîner des conséquences majeures sur nos vies.
Elle pourrait tout d’abord tuer la démocratie.
Elle menace en effet l’intégrité des processus délibératifs, que ce soit en influençant les processus d’information ou de vote.
Elle menace l’intégrité même de notre rapport à la 45 vérité, avec la génération de fausses images ou de fausses vidéos.
Elle peut également permettre une surveillance généralisée et la classification systématisée des citoyens.
Plus dangereux encore, les systèmes d’IA génératives peuvent fournir des informations politiquement orientées qui se donnent les apparences de la vérité.
Ils peuvent ainsi tuer le débat démocratique en éloignant arbitrairement des opinions ou des faits, et devenir les plus redoutables alliés du wokisme, de toutes les idéologies qui aspirent à la standardisation des esprits.
En somme, la société orwelienne a quitté les rayons de la littérature pour rejoindre ceux de la réalité politique.
Cette dystopie numérique, nous la voyons déjà à l’oeuvre en Chine.
Face à ce contre-modèle, notre système démocratique, fondé sur la transparence des informations, la sincérité des débats et la régularité des délibérations, apparaît bien fragile.
Nous devons nous protéger face à la possibilité de cet autoritarisme automatisé qui n’en reste pas moins aux mains de ceux qui contrôlent les algorithmes.
C’est d’ailleurs tout le sens de l’acte européen sur l’IA que je veux saluer en remerciant Geoffroy Didier et l’investissement qui est le sien dans cette thématique essentielle au Parlement européen.
Sur ces grandes questions, qui intéressent la souveraineté du continent tout entier et de toutes ses Nations, dans un monde de plus en plus dangereux, n’oublions jamais combien l’échelon européen est l’échelon utile : l’échelon efficace !
C’est un combat que nous devons mener en Européens !
Le modèle chinois n’est cependant pas le seul totalitarisme numérique qui nous menace, et n’est sans doute pas la première des menaces.
La révolution de l’IA, c’est aussi l’émergence de ces quasi-États que sont les grandes entreprises internationales du numérique.
Comme les États les plus autoritaires, ils exercent la censure sur l’information, conditionnent notre accès à la culture, supervisent même nos conversations et organisent notre sociabilité.
Ils envisagent de développer leurs systèmes monétaires et s’octroient des territoires dématérialisés où ils exercent leur souveraineté.
Non, les grandes entreprises internationales du numérique ne sont pas des multinationales parmi d’autres.
Ce sont de véritables nouveaux États souverains en gestation qui sont, depuis déjà bien longtemps, sortis des seules limites du numérique.
Et l’exemple le plus éclatant de cela se trouve dans l’espace.
Jusqu’alors, la conquête spatiale était aux mains des États les plus puissants.
Aujourd’hui, avec SpaceX, Elon Musk se hisse à la hauteur de ces grands États, employant cinq fois plus de personnes que l’Agence spatiale européenne.
Ne sous-estimons pas la puissance de ces entreprises en souscrivant à l’idée d’une simple excentricité de milliardaires.
Elles ont la capacité de porter un impérialisme nouveau fondé sur la puissance numérique.
Face à eux, il nous faut bien sûr trouver un équilibre entre progrès technologique et respect de ce qui fait notre humanité.
Il faut donc réguler les technologies à haut risque comme le proposent nos parlementaires européens.
Mais cela ne suffit pas.
Nous devons relever le gant et entrer dans la bataille internationale de la maîtrise de l’IA en démultipliant nos investissements dans la recherche et en soutenant la création d’un modèle européen.
Aussi bien pour faire face à Pékin qu’à la Silicon Valley, l’Europe doit devenir une grande puissance de l’intelligence artificielle, et la France doit y contribuer activement.
Dans ce domaine, nous ne devons pas nous contenter d’être les champions de la régulation mais nous devons devenir des champions de l’innovation !
C’est une question de géopolitique et de souveraineté. Et nous avons toutes les ressources pour faire face aux empires numériques.
Nous avons notamment en France les meilleures écoles et les meilleurs ingénieurs.
Mais nous les formons à perte, au profit des sociétés américaines qui les emploient !
Investissons donc massivement pour les maintenir chez nous.
Je partage ici le constat de Xavier Niel et je salue sa volonté d’investir 200 millions d’euros dans le projet d’une IA européenne. Ce sont de tels projets que nous devons soutenir et encourager.
Mais à côté de l’innovation technologique, relevons aussi le défi de l’innovation juridique.
Cessons de vouloir affronter des problèmes radicalement nouveaux avec de vieilles recettes.
Les temps révolutionnaires appellent des réponses révolutionnaires !
Et puisque la puissance des algorithmes dépend de la mise à disposition de nos données personnelles, nous proposons d’appliquer à ces données le droit de propriété.
La propriété, c’est la liberté : c’est l’émancipation et la souveraineté de l’individu.
C’est un droit placé au coeur de notre modèle civique et démocratique. Et un principe auquel la droite a intimement lié son destin et son identité.
En l’appliquant aux données personnelles, nous réaffirmons l’existence de l’individu face à l’algorithme et au servage numérique.
Ce nouveau droit de propriété, c’est la possibilité pour chacun d’entrer dans un contrat d’égal à égal et de ne plus permettre l’enrichissement démesuré des GAFAM grâce à la monétisation de données que nous leur cédons gratuitement.
Ce nouveau droit de propriété, c’est aussi la possibilité pour chacun de refuser le partage des données personnelles, et de pouvoir payer dès lors le prix pour accéder à un service garant de la vie privée. Ou d’être payé si nous y renonçons.
Seul le droit de propriété permettra de garantir une maîtrise réelle de nos données.
Seule la création d’un marché des données pourra rééquilibrer les rapports de pouvoir entre les plateformes et leurs utilisateurs, en dotant chacun d’entre nous d’un véritable capital.
Cette proposition est défendue aux Etats-Unis par plusieurs intellectuels d’envergure et en France par le think tank Génération libre.
ACCOMPAGNER LA RÉVOLUTION DU TRAVAIL
L’autre grand domaine de craintes pour nos concitoyens, et où nous avons une responsabilité majeure, c’est le monde du travail.
49 % des Français perçoivent l’IA comme un danger pour l’emploi. Et cette crainte n’est pas infondée : selon l’OCDE, 27 % des emplois seraient menacés.
Et pour les emplois qui survivraient, de nombreuses tâches n’en disparaîtraient pas moins. On estime ainsi que l’IA pourrait détruire des tâches à hauteur des deux tiers du temps de travail.
De nouveau, cette crainte doit nous inspirer des solutions innovantes. Elle doit même nous inspirer de l’enthousiasme.
L’IA va amplifier la révolution déjà à l’oeuvre aujourd’hui dans le monde du travail.
Elle va nous permettre de nous libérer de tâches fastidieuses et répétitives, réduire le risque d’erreurs et améliorer la performance des salariés en dégageant des gains de productivité.
Pour accompagner ce chambardement qui s’annonce, nous devons adapter notre droit du travail.
Nous ne pouvons pas aborder l’ère du travail numérique avec un droit du travail hérité de l’ère du travail industriel.
La révolution industrielle n’aurait d’ailleurs pas pu se faire en conservant le droit d’Ancien Régime.
Il en est de même pour la révolution numérique !
Celle-ci a besoin de flexibilité et d’adaptabilité.
Notamment pour aborder intelligemment la question de ces heures de travail qui seront libérées par l’IA et qu’il nous faudra redéployer entre travail et vie privée.
Ce sera aussi l’occasion de remettre en valeur les métiers de l’artisanat et de la technique manuelle 220 qui seront moins menacés et en tireront une valorisation accrue.
En réalité, ce qui disparaîtra, c’est surtout ce qui asservit l’employé de bureau et notamment l’employé administratif.
Demain, l’IA peut être un outil de liberté face à la bureaucratie, notamment à l’hôpital, où elle pourrait se révéler stratégique dans l’allégement de ce fardeau bureaucratique qui pèse sur nos personnels soignants.
Avec l’IA, l’administration s’automatisera et l’hôpital se recentrera sur sa mission de soin, elle-même renforcée par le progrès technique.
L’IA pourra aider à désengorger nos urgences ou lutter contre les déserts médicaux. Elle facilitera aussi l’efficacité des diagnostics et leur capacité d’anticipation, notamment pour cette maladie qu’il nous appartient de vaincre en ce siècle : le cancer, ainsi que les maladies dégénératives.
FAIRE ENTRER L’ÉTAT DANS L’ÈRE NUMÉRIQUE
La révolution numérique, si nous l’acceptons, si nous nous en emparons, peut être une révolution de la performance.
Et tout particulièrement de la performance administrative.
Nous qui étouffons sous le poids de la bureaucratie française, ne boudons pas notre plaisir !
Avec l’IA, nous avons un outil de débureaucratisation exceptionnel : il est temps que l’État opère sa mue numérique.
Dans ce domaine, nous sommes trop lents alors même que les progrès possibles sont immenses.
C’est la possibilité de guichets ouverts 24h/24 et 7j/7 et de dossiers instruits beaucoup plus rapidement. Pour les agents de l’État, ce sont tant et tant de tâches fastidieuses qui rejoindront « la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile et le charme du temps des équipages », comme le disait le général de Gaulle en évoquant les progrès de l’industrie en 1960.
Cette entrée de l’État dans l’ère numérique doit être indissociable du maintien d’aides spécifiques en destination des populations en marge de cette révolution, comme les personnes âgées.
Elle devra aussi s’accompagner d’une véritable formation, ambitieuse et approfondie, de nos agents.
Elle devra enfin s’accompagner de la mise en place, dans nos écoles, nos collèges et nos lycées, d’une véritable éducation au numérique et à l’IA.
Dans le domaine éducatif aussi les périls et les progrès se côtoient mais nous devons être capables de saisir les seconds tout en conjurant les premiers.
Beaucoup de professeurs évoquent les possibilités immenses de triche induites par l’IA. Elles sont réelles. Mais faut-il pour autant diaboliser cet outil ? Le bannir de nos écoles ?
Non. Pour éviter la triche, revenons simplement à des solutions de bon sens. Pour éviter que l’IA ne rédige les copies de nos enfants, rappelons simplement qu’un devoir noté, destiné à contrôler l’acquisition de connaissances, se fait sous surveillance, en classe, avec un papier et un stylo, sans téléphone ni ordinateur.
Mais acceptons également d’éduquer nos enfants à l’usage utile et citoyen de l’outil numérique et de l’IA, non pas pour tricher mais pour optimiser l’apprentissage.
CONCLUSION
Dans tous les domaines d’application, notre devoir est de nous assurer que l’intelligence artificielle soit un outil transparent face auquel l’individu puisse agir en conscience et sans renoncer à sa propre souveraineté.
Voilà, en peu de mots, le défi qui est le nôtre face aux impérialismes numériques des ingénieurs de Pékin comme des transhumanistes de la Silicon Valley.
Nous devons assumer cet esprit qui réunit les impératifs de de souveraineté de l’individu, de régulation par la transparence et de poursuite déterminée de l’innovation.
Une Commission Nationale de l’Informatique et des libertés (CNIL) rénovée, profondément repensée, pourrait jouer ce rôle en France, en respect d’ailleurs des dispositions de l’acte européen.
Chers compagnons,
Si nous vivons dans le monde qui est le nôtre, c’est parce que les générations qui nous ont précédé n’ont pas cédé à leurs peurs face aux révolutions qu’elles ont provoquées, traversées, parfois même subies.
Si ce que nous vivons est d’une radicalité sans précédent, ne sous-estimons pas les ruptures d’hier.
Celles du chemin de fer puis de la voiture puis de l’avion, celles du gaz puis de l’électricité, celles de la radio puis de la télévision, celles du téléphone puis du smartphone.
Notre monde a changé en l’espace d’un siècle à un rythme qui peut donner le vertige.
De telles périodes de vertige donnent de grandes responsabilités.
Ne laissons donc pas la révolution de l’IA nous filer entre les mains !
Ne la laissons pas profiter à des valeurs qui ne sont pas les nôtres !
Ne la laissons pas, alors qu’elle peut nous apporter tant de progrès, devenir l’outil d’une servitude nouvelle !
Pour ce faire, n’ayons pas peur ! Retrouvons cet enthousiasme flamboyant qui a caractérisé la France à d’autres époques de rupture.
Face à un monde dont les limites ne cessent de s’élargir, face à l’immensité des bouleversements que nous vivons, et de ceux – plus grands encore – qui s’annoncent, acceptons le défi la tête haute.
Acceptons-le en nous enracinant dans nos valeurs, dans nos principes, afin qu’ils puissent irriguer le monde qui vient.
Un monde où tout doit pouvoir changer, sans que jamais ne change l’essentiel.
C’est-à-dire l’homme : sa liberté, sa souveraineté, sa dignité. Et – surtout – son espérance."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire