mardi, avril 29, 2008
*L'euro ballotté entre la rigidité de la BCE et le laxisme de la Fed*
***On est rarement déçu avec la Banque centrale européenne (BCE). Qu'on lui reproche son orthodoxie, et elle prend un malin plaisir à en rajouter, à se lancer dans une surenchère monétariste. On pourrait lui appliquer la formule que Karl-Otto Pöhl avait trouvée à propos de la Bundesbank, qu'il présidait : "La Bundesbank, c'est comme la crème fouettée, plus on la bat, plus elle devient dure."
Alors que de nombreux économistes implorent la BCE de baisser ses taux directeurs pour stimuler une croissance vacillante, plusieurs de ses dirigeants ont évoqué récemment la possibilité d'une hausse pour lutter contre les pressions inflationnistes. "Le grand problème, c'est d'assurer que l'inflation revienne sous les 2 % l'année prochaine", a déclaré, mardi 22 avril, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. "Nous ferons ce qu'il faudra pour ça, (...) s'il le faut, nous bougerons les taux d'intérêt. Pour l'instant nous maintenons les taux d'intérêt à 4 % parce que ça nous paraît le niveau approprié", a-t-il poursuivi.
MOULINS À VENT
Yves Mersch, gouverneur de la banque centrale du Luxembourg, s'est montré plus précis encore. Prié de dire si la BCE réfléchissait à une hausse des taux d'intérêt, il a répondu : "Cette question est tout à fait justifiée. Il y a des questions que nous devons nous poser chaque mois." "Je suis surpris que nombre d'analystes de marché envisagent encore une possibilité qui n'est en aucune manière requise dans le contexte actuel, c'est-à-dire une baisse des taux, a-t-il ajouté. Je demande qu'on s'intéresse aux mêmes faits que ceux que nous examinons."
Faut-il prendre ce jusqu'au-boutisme monétaire pour une simple provocation ? Pas sûr. D'abord parce que la BCE est imprégnée de la culture monétaire allemande, viscéralement attachée à la stabilité des prix. Surtout, la BCE se sent d'autant plus légitime à mener sa croisade anti-inflationniste qu'elle sait pouvoir bénéficier, une fois n'est pas coutume, du soutien de l'opinion publique.
La lutte pour le pouvoir d'achat est aujourd'hui la priorité des citoyens européens, bien plus que la défense de l'emploi. Pendant des années, la BCE avait donné l'impression de se battre contre des moulins à vent en disant lutter contre une inflation dont on ne décelait plus aucune trace. Avec la flambée des prix de l'énergie et des denrées alimentaires, elle s'offre à la fois une belle revanche idéologique et une popularité inespérée.
Les marchés financiers n'ont en tout cas pas pris les propos de MM. Noyer et Mersch à la légère. Mardi, l'euro a franchi, pour la première fois de son histoire, la barre de 1,60 dollar. Avant de retomber pour finir la semaine à 1,5611 dollar. Car aux Etats-Unis, la donne monétaire est en train de changer. Le taux des fonds fédéraux de la banque centrale américaine (Fed) a été ramené en huit mois de 5,25 % à 2,25 %. Les économistes s'attendent encore à une nouvelle réduction, à 2 %, mardi 29 avril, mais ils sont de plus en plus nombreux à penser que ce mouvement sera le dernier. Avec des taux réels négatifs de 2 %, il devient difficile à la Fed d'ouvrir davantage les vannes du crédit sans faire courir d'énormes risques inflationnistes.
ACCIDENTS BANCAIRES
La Réserve fédérale (Fed) arrive au bout de la logique qui a été la sienne depuis le début de la crise des subprimes. Pour éviter que ne se répète la catastrophe économique de 1929 - avec son chômage de masse qui a représenté aux Etats-Unis un traumatisme aussi grand que l'hyperinflation en Allemagne -, la Fed a été aussi loin dans la souplesse monétaire que la BCE l'a été dans la rigidité.
Laisser entendre que le cycle de baisse des taux touche à sa fin, ce serait aussi pour la Fed une façon d'envoyer un signal rassurant à la communauté financière internationale. Un moyen de dire qu'à ses yeux le plus gros de la crise des subprimes est passé, même si de nouveaux accidents bancaires sont sinon certains, du moins très probables.
Une Fed moins laxiste qu'elle ne l'a été, une BCE moins intégriste qu'elle ne le proclame, voilà qui changerait aussi le paysage pour le dollar. La banque Goldman Sachs a l'air d'y croire : selon elle, l'euro pourrait prochainement se replier jusqu'à 1,53 dollar.
Pierre-Antoine Delhommais
27.04.08.
LE MONDE
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