L'Union européenne doit-elle choisir le protectionnisme pour préserver sa compétitivité ?
Pendant cinq semaines, La Tribune va publier chaque mardi, en partenariat avec Roland Berger Strategy Consultants et HEC, le panorama stratégique des tendances de cinq secteurs clés de l'industrie européenne. Face à la mondialisation des échanges, l'Europe semble en perte de vitesse : déficit de leadership sur certaines filières industrielles, désindustrialisation, endettement... Comment reprendre le chemin de la compétitivité ? Faut-il pour cela avoir recours au protectionnisme ? C'est le thème choisi cette année pour les 7es Rencontres de l'entreprise européenne qui se dérouleront le 18 octobre prochain.
Les pères fondateurs de l'Union européenne avaient pensé le projet européen avec l'idée de préserver la paix et de construire un espace de prospérité. La constitution d'une zone de libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes a considérablement développé les échanges. Depuis 1990, ils ont été multipliés par 3,7 au sein de l'Europe et par 2,6 avec le reste du monde. L'ouverture a des effets positifs, mais peut également générer des déséquilibres... En Europe, la volonté de maximiser le pouvoir d'achat du consommateur final a conduit à une forte dynamique d'ouverture de l'Europe, exposant largement ses moyens productifs à la concurrence des pays à bas coûts ou à devises faibles. Dans les pays qui ne l'ont pas suffisamment accompagné, ce mouvement s'est traduit par une tension sur la compétitivité et a contribué à la désindustrialisation. En trente ans, la France a perdu 2,3 millions d'emplois industriels, dont 45 % sont considérés comme étant liés à la concurrence internationale.
L'impact de l'intensification des échanges sur la compétitivité dépend du type de filière industrielle. On peut distinguer quatre cas de figure. Tout d'abord les filières locales, où la part des coûts de transport est importante comme l'agroalimentaire ou les matériaux de construction, sont par nature moins exposées aux importations. Par contre, pour des filières telles que le textile ou l'électronique grand public, la désindustrialisation va se poursuivre en Europe. À l'opposé, les filières, comme l'aéronautique, maintiennent, voire augmentent leur leadership grâce à leur avancée technologique. Enfin, les filières dont les barrières technologiques à l'entrée sont moins élevées, telles que l'automobile, sont soumises à de fortes tensions. Mais ne nous trompons pas, les délocalisations mises en oeuvre pour rester compétitif ont souvent des effets indirects pervers ! Elles ont fait porter une tension accrue sur la compétitivité des volumes restants (insuffisance de l'adaptation des frais fixes), affaibli la demande intérieure (diminution de l'emploi industriel) et fragilisé les capacités d'innovation des entreprises (éloignement entre les centres de production et les centres de R&D).
Jusqu'où une entreprise peut-elle être compétitive, lorsque son environnement ne l'est plus ? Le point faible de l'Europe reste sa compétitivité-prix : un coût du travail élevé (rapport de 1 à 15 entre le coût horaire complet de la France ou de l'Allemagne par rapport à celui de l'Inde ou la Chine), une dépendance externe aux hydrocarbures et un taux de change défavorable, notamment par rapport au dollar et au yuan. Avec un taux euro/dollar oscillant entre 1,40 et 1,50, il devient très difficile pour certaines filières de remporter des marchés rentables à l'export. Doit-on dire pour autant que l'Europe n'est pas compétitive ? Si l'on isole la composante hydrocarbures (pétrole et gaz essentiellement), qui pénalise la balance commerciale de l'Europe à hauteur de 306 milliards d'euros, on observe que la balance commerciale est positive à 153 milliards avec, d'une part, l'Allemagne qui tire l'Europe vers le haut, grâce à ses 138 milliards d'excédents et, de l'autre, la Chine qui la tire vers le bas, avec 170 milliards de déficit.
Face à une telle situation, les États européens ont compris qu'ils devaient défendre leur industrie. Plusieurs initiatives ont déjà été prises pour soutenir certaines filières en perte de vitesse : consolidation, structuration de pôles de compétitivité, recapitalisation, facilitation d'accès au financement, plans de relance, subventions à l'export... Cependant, le niveau d'endettement de la plupart des États limite leur capacité à mener des politiques de soutien et les oblige à faire des choix : toutes les filières ne pourront pas être soutenues avec la même intensité. La question dépasse donc les États, et la construction d'une politique industrielle au niveau européen s'impose comme une priorité. Il devient urgent de réussir la coordination, l'harmonisation, voire la consolidation des capacités de R&D et de production pour atteindre les masses critiques nécessaires à l'amélioration de la compétitivité de l'Europe. Mais, cela ne sera pas simple, car les écarts de visions et de moyens entre les États européens sont importants...
Les États européens continuent à plaider officiellement le développement du libre-échange, mais dans le contexte actuel d'incertitude et d'instabilité, la tentation du protectionnisme est réelle. Les mesures défensives, destinées à freiner les importations, sont en recrudescence depuis le début de la crise. Selon l'OMC, pas moins de 20 nouvelles mesures défensives par mois ont été décomptées sur les six derniers mois, soit une augmentation de 25 % par rapport au niveau de 2009. Mais est-ce si étonnant au regard, par exemple, des imposants investissements qui ont été réalisés par le gouvernement américain et surtout chinois dans l'industrie électronique ? En outre, le patriotisme économique est bien présent. Cela se retrouve dans le comportement du consommateur qui, comme c'est le cas dans l'automobile au Japon ou en Corée, préfère acheter des marques nationales. Même constat dans l'attribution de certains grands marchés publics, comme l'a montré la saga des avions ravitailleurs américains. Autre exemple, rappelé récemment par le groupe Bouygues : si les entreprises de BTP chinoises ont accès au marché européen, la réciproque est loin d'être vérifiée...
Il ne s'agit pas de promouvoir le repli sur soi. Dans un monde globalisé où les échanges sont interdépendants, l'Europe a beaucoup à perdre à se voir fermer la porte des marchés émergents et notamment celle de la Chine. Elle doit continuer à s'engager dans la dynamique de mondialisation, mais en jouant à armes égales... et sans être naïve. L'OMC devra jouer son rôle d'indispensable arbitre, garant d'une réciprocité dans les échanges, pour éviter les distorsions de concurrence. Le chemin est étroit, car les menaces de mesures de rétorsion sont réelles, notamment de la part de la Chine, mais l'enjeu est vital !
Stéphane Albernhe, Managing Partner, Roland Berger Strategy Consultants ; Bernard Ramanantsoa, directeur général du groupe HEC, et Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction de La TribuneL'impact de l'intensification des échanges sur la compétitivité dépend du type de filière industrielle. On peut distinguer quatre cas de figure. Tout d'abord les filières locales, où la part des coûts de transport est importante comme l'agroalimentaire ou les matériaux de construction, sont par nature moins exposées aux importations. Par contre, pour des filières telles que le textile ou l'électronique grand public, la désindustrialisation va se poursuivre en Europe. À l'opposé, les filières, comme l'aéronautique, maintiennent, voire augmentent leur leadership grâce à leur avancée technologique. Enfin, les filières dont les barrières technologiques à l'entrée sont moins élevées, telles que l'automobile, sont soumises à de fortes tensions. Mais ne nous trompons pas, les délocalisations mises en oeuvre pour rester compétitif ont souvent des effets indirects pervers ! Elles ont fait porter une tension accrue sur la compétitivité des volumes restants (insuffisance de l'adaptation des frais fixes), affaibli la demande intérieure (diminution de l'emploi industriel) et fragilisé les capacités d'innovation des entreprises (éloignement entre les centres de production et les centres de R&D).
Jusqu'où une entreprise peut-elle être compétitive, lorsque son environnement ne l'est plus ? Le point faible de l'Europe reste sa compétitivité-prix : un coût du travail élevé (rapport de 1 à 15 entre le coût horaire complet de la France ou de l'Allemagne par rapport à celui de l'Inde ou la Chine), une dépendance externe aux hydrocarbures et un taux de change défavorable, notamment par rapport au dollar et au yuan. Avec un taux euro/dollar oscillant entre 1,40 et 1,50, il devient très difficile pour certaines filières de remporter des marchés rentables à l'export. Doit-on dire pour autant que l'Europe n'est pas compétitive ? Si l'on isole la composante hydrocarbures (pétrole et gaz essentiellement), qui pénalise la balance commerciale de l'Europe à hauteur de 306 milliards d'euros, on observe que la balance commerciale est positive à 153 milliards avec, d'une part, l'Allemagne qui tire l'Europe vers le haut, grâce à ses 138 milliards d'excédents et, de l'autre, la Chine qui la tire vers le bas, avec 170 milliards de déficit.
Face à une telle situation, les États européens ont compris qu'ils devaient défendre leur industrie. Plusieurs initiatives ont déjà été prises pour soutenir certaines filières en perte de vitesse : consolidation, structuration de pôles de compétitivité, recapitalisation, facilitation d'accès au financement, plans de relance, subventions à l'export... Cependant, le niveau d'endettement de la plupart des États limite leur capacité à mener des politiques de soutien et les oblige à faire des choix : toutes les filières ne pourront pas être soutenues avec la même intensité. La question dépasse donc les États, et la construction d'une politique industrielle au niveau européen s'impose comme une priorité. Il devient urgent de réussir la coordination, l'harmonisation, voire la consolidation des capacités de R&D et de production pour atteindre les masses critiques nécessaires à l'amélioration de la compétitivité de l'Europe. Mais, cela ne sera pas simple, car les écarts de visions et de moyens entre les États européens sont importants...
Les États européens continuent à plaider officiellement le développement du libre-échange, mais dans le contexte actuel d'incertitude et d'instabilité, la tentation du protectionnisme est réelle. Les mesures défensives, destinées à freiner les importations, sont en recrudescence depuis le début de la crise. Selon l'OMC, pas moins de 20 nouvelles mesures défensives par mois ont été décomptées sur les six derniers mois, soit une augmentation de 25 % par rapport au niveau de 2009. Mais est-ce si étonnant au regard, par exemple, des imposants investissements qui ont été réalisés par le gouvernement américain et surtout chinois dans l'industrie électronique ? En outre, le patriotisme économique est bien présent. Cela se retrouve dans le comportement du consommateur qui, comme c'est le cas dans l'automobile au Japon ou en Corée, préfère acheter des marques nationales. Même constat dans l'attribution de certains grands marchés publics, comme l'a montré la saga des avions ravitailleurs américains. Autre exemple, rappelé récemment par le groupe Bouygues : si les entreprises de BTP chinoises ont accès au marché européen, la réciproque est loin d'être vérifiée...
Il ne s'agit pas de promouvoir le repli sur soi. Dans un monde globalisé où les échanges sont interdépendants, l'Europe a beaucoup à perdre à se voir fermer la porte des marchés émergents et notamment celle de la Chine. Elle doit continuer à s'engager dans la dynamique de mondialisation, mais en jouant à armes égales... et sans être naïve. L'OMC devra jouer son rôle d'indispensable arbitre, garant d'une réciprocité dans les échanges, pour éviter les distorsions de concurrence. Le chemin est étroit, car les menaces de mesures de rétorsion sont réelles, notamment de la part de la Chine, mais l'enjeu est vital !
http://www.latribune.fr/opinions/20110913trib000648822/l-union-europeenne-doit-elle-choisir-le-protectionnisme-pour-preserver-sa-competitivite-.html#.ToB5TbbiryI.twitter
Bien à vous,
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