*** Du patron de la Fed aux spécialistes du crédit hypothécaire, les responsables de l’effondrement du marché sont légion :
LA BANQUE CENTRALE
Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale des Etats-Unis (Fed) de 1987 à 2006
L’homme qui a parrainé la bulle. Après l’effondrement du boom Internet en 2000, les attentats du 11 septembre 2001 et les scandales comptables, notamment à Enron en 2002, la Fed a baissé ses taux directeurs jusqu’à ce qu’ils atteignent 1 % en juin 2003, niveau où ils sont restés un an avant de remonter doucement. Ces montants historiquement bas (négatifs en termes réels) ont eu l’effet souhaité, qui était de soutenir les marchés financiers, mais ils ont également nourri l’inflation et, plus dangereusement, une bulle financière et immobilière. Les propriétaires de logement ont emprunté et dépensé, souvent pour acheter des biens importés de Chine, aggravant l’immense déficit commercial des Etats-Unis.
La Fed est également responsable de la réglementation bancaire, mais Greenspan est resté de marbre face au phénomène des prêts immobiliers à risque. “Alors qu’avant les demandeurs peu solvables se voyaient refuser un emprunt, les prêteurs sont aujourd’hui capables d’évaluer efficacement ce risque”, [déclarait-il en 2005, en louant l’innovation technologique et financière qui avait permis la création des prêts hypothécaires à risque]. La part de marché de ces crédits à risque a rapidement grimpé, passant de moins de 2 % au début des années 1990 à 10 %.
LES GRANDES BANQUES BRITANNIQUES
Bob Diamond, président de Barclays
Les fringants dirigeants de Wall Street ne sont pas seuls à avoir acheté et vendu de la dette reconditionnée. Les grandes banques britanniques ont elles aussi participé au mouvement, en structurant et en vendant tous ces machins, en investissant dans du crédit potentiellement toxique à travers d’obscurs instruments financiers ou en élaborant ces produits pour leurs clients. Barclays Capital (BarCap), la banque d’affaires de Barclays, était au cœur de cet emballement. La démission d’Edward Cahill, le spécialiste chez BarCap des obligations adossées à des portefeuilles de créances [collateralised debt obligations], a suscité de grandes inquiétudes quant à la situation de la banque d’affaires. Bob Diamond a toutefois assuré aux investisseurs qu’aucune menace ne pesait sur les comptes de Barclays.
LES FONDS SPÉCULATIFS
Jim Simons, fondateur de Renaissance Technologies
Avant de devenir le gérant de fonds spéculatif le mieux payé au monde, ce mathématicien a démarré sa carrière professionnelle au ministère de la Défense américain, où il était chargé de forcer les codes ennemis durant la guerre du Vietnam. Maintenant, son fonds spéculatif, Renaissance Technologies, contrôle 17 milliards d’euros d’actifs et facture à ses clients 5 % par an pour la gestion de leurs liquidités, plus une commission de 44 % sur les rendements au-delà d’un certain niveau.
Ce que les clients paient à ce prix, ce sont des logiciels appelés “boîte noire”, qui tirent d’infimes profits de millions d’opérations financières automatisées. Les fonds de gestion quantitative comme Renaissance ont perdu des milliards de dollars au cours de la première semaine d’août après une série d’événements qui, selon les modèles statistiques, n’auraient pas dû se produire, contribuant ainsi à propager la panique provoquée par le secteur des crédits hypothécaires à risques.
LES AUTORITÉS DE TUTELLE
Christopher Cox, président de la Securities & Exchange Commission (SEC)
L’autorité des marchés américains a tenté de contrôler le secteur en plein développement des fonds spéculatifs – sans succès. C’est une activité difficile à évaluer, essentiellement basée à l’étranger pour échapper à l’impôt et à la réglementation en matière d’informations financières, mais elle est énorme, avec quelque 9 000 fonds offshore détenant des actifs estimés à 1,5 milliard d’euros. Sous la présidence de Cox, la SEC a exigé que la plupart des fonds spéculatifs s’enregistrent auprès d’elle. Nombre d’entre eux ignorent superbement cette obligation. Depuis, la SEC semble désemparée.
Les investisseurs dans la dette
Herbert Suess, ancien PDG de Saschen LB
Tous ces machins ont bien été achetés par quelqu’un, et la plupart des investisseurs ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes pour avoir gobé que l’on pouvait gagner beaucoup d’argent sans prendre de risques. En bout de chaîne se trouve la nouvelle classe toujours plus nombreuse de ces riches particuliers – des footballeurs aux professionnels du spectacle, en passant par les hommes d’affaires – que l’on a poussé à investir dans les fonds spéculatifs. Ces fonds ont ensuite acheté des produits de crédit qu’ils connaissaient mal, en utilisant de l’argent emprunté auprès des banques d’affaires. En outre, après l’éclatement de la bulle Internet, à la fin des années 1990, les fonds de pension se sont méfiés des actions et ont commencé à investir dans des titres à revenus fixes. Face à cette demande insatiable d’actifs à revenus fixes et bien notés, les banques d’affaires ont eu toutes les raisons d’en créer en ayant recours à des structures toujours plus complexes.
Comme toujours, le marché a attiré des institutions moins capables de comprendre ces investissements que les petits génies des fonds spéculatifs. Des banques allemandes assoupies comme IKB et Sachsen LB ont stupéfié le marché en annonçant des pertes massives sur des titres adossés à des prêts immobiliers à risques et le départ de leurs PDG, alors qu’elles étaient renflouées pour plus de 20 milliards d’euros. “Les gens disaient : ‘Ce que je veux, c’est peu de risques et un rendement élevé’, et ils achetaient à tour de bras sans réellement savoir ce qu’ils achetaient”, se souvient Peter Hahn, chercheur à la Cass Business School et ancien patron de Citigroup.
LES AGENCES DE NOTATION
Kathleen Corbet, présidente de Standard & Poor’s (S & P)
Ces agences attribuent des notes aux obligations et aux investissements liés à la dette en fonction de leur niveau de risque. S & P et Moody’s, les deux principales agences, se retrouvent sous le feu des critiques des deux côtés de l’Atlantique pour avoir distribué d’excellentes notes à des obligations et à de complexes fonds de crédits liés à des dettes à hauts risques, en particulier les prêts immobiliers américains à risques. S & P assure avoir alerté le marché il y a deux ans et rejette toute responsabilité. Les agences étant rétribuées pour l’attribution des notes, plus elles évaluent d’investissements, plus elles gagnent de l’argent. Elles sont accusées de travailler trop étroitement avec les banquiers qui conçoivent les produits d’investissement qu’elles évaluent, ce qui remet en question l’indépendance de leurs notations.
Alors que les critiques pleuvaient, Kathleen Corbet, la présidente de S & P, a démissionné, mais l’agence a assuré que c’était une pure coïncidence. La Commission européenne a ouvert une enquête sur un éventuel conflit d’intérêts impliquant S & P et Moody’s.
LES FONDS D’INVESTISSEMENT
Henry Kravis, fondateur de Kohlberg, Kravis, Roberts (KKR)
Près de vingt ans après la mémorable bataille pour le contrôle de RJR Nabisco, en 1989, le pionnier du capital-investissement était encore le roi des rachats financés par l’endettement, mais il risquait de se faire ravir sa couronne par Stephen Schwarzman, de Blackstone. Leur rivalité les a poussés à se lancer dans des opérations toujours plus gigantesques. Les acquisitions de TXU et de First Data par KKR figurent parmi les plus importants rachats financés par l’emprunt de tous les temps, respectivement à 44 milliards et 29 milliards de dollars. Comme l’emprunt était fragmenté en mille morceaux ensuite vendus à des investisseurs du monde entier, personne n’a semblé remarquer que ces opérations devenaient plus risquées, Henry Kravis et ses concurrents payant des prix tellement élevés qu’ils réduisaient d’autant leur capacité à faire face à tout renversement de tendance à la Bourse.
WALL STREET
James Cayne, PDG de Bear Stearns
Le jour où cette banque d’affaires a déboursé 3,2 milliards de dollars pour renflouer l’un de ses fonds spéculatifs, son PDG jouait au golf dans le New Jersey. Le vieux renard de Wall Street a été montré du doigt pour n’avoir pas saisi l’ampleur de la crise du crédit, alors qu’il dirigeait l’un des établissements les plus exposés au marché des obligations adossées aux prêts immobiliers. Les fonds Bear Stearns avaient misé plus de 20 milliards de dollars sur le marché américain du crédit hypothécaire à risques, en se finançant essentiellement avec des emprunts contractés auprès d’autres banques de Wall Street. Quand les paris se sont révélés mauvais, en juin, les fonds se sont effondrés. Les investisseurs ont dû reconnaître que leurs placements étaient invendables, et les prêteurs ont commencé à réduire le montant d’endettement qu’ils autorisent à leurs clients des fonds spéculatifs.
LES ORGANISMES DE CRÉDIT HYPOTHÉCAIRE
Angelo Mozilo, PDG de Countrywide Financial
C’est la figure emblématique d’un secteur qui distribuait des prêts trop beaux pour être vrais à des millions d’Américains auparavant jugés trop pauvres ou trop irresponsables pour être propriétaires. Grâce au financement innovant obtenu auprès de Wall Street, Countrywide, principal organisme indépendant de crédit immobilier aux Etats-Unis, et ses homologues de taille plus modeste ont pu proposer d’extraordinaires taux d’appel, qui attiraient les clients avec un taux d’intérêt variable initialement très bas. A chaque fois qu’une vague de prêts passait à un taux plus élevé, les défaillances se multipliaient, jusqu’à atteindre des sommets. Mais le pire est encore à venir.
Sean Farrell, Sean O’Grady et Stephen Foley
The Independent
Courrier International
20/09/2007