Le Figaro Magazine - La France a accueilli 37 blessés irakiens, victimes de l'attentat du 31 octobre contre la cathédrale syriaque catholique de Bagdad, et exprimé son émotion, il y a une semaine, après l'attaque contre une église d'Alexandrie, en Egypte. Mais la compassion, si nécessaire soit-elle, ne fait pas une politique. Qu'est-ce que la France compte entreprendre pour aider les chrétiens d'Orient ?
Michèle Alliot-Marie - Depuis quelque temps, nous assistons au déroulement d'une stratégie de la terreur qui semble vouloir chasser les chrétiens d'Orient des pays dans lesquels ils vivent depuis toujours. Cette logique ne s'inscrit pas dans la tradition de ces pays : en terre arabe, les étrangers, ce ne sont pas les chrétiens, ce sont les terroristes. Les deux Etats dans lesquels se sont produits les derniers attentats sanglants, l'Irak et l'Egypte, sont d'ailleurs dotés d'institutions et de gouvernements qui affirment la liberté d'expression pour toutes les religions. Les actions terroristes dirigées contre les chrétiens visent donc aussi ces Etats. Je me suis entretenue ici même de ces questions avec le patriarche d'Antioche, il y a trois semaines. Dans les pays à majorité musulmane frappés par le terrorisme islamique, les autorités chrétiennes sont soucieuses que le soutien et l'aide matérielle que nous pouvons apporter ici, dont elles nous sont reconnaissantes, ne se transforme pas en incitation à l'exil : les chrétiens d'Irak sont chez eux en Irak, les chrétiens d'Egypte sont chez eux en Egypte. Ceux qui se sentent menacés doivent pouvoir bénéficier du droit d'asile, évidemment, mais cette réponse, de notre part, ne peut être que ponctuelle. Concernant les chrétiens d'Orient, il est temps d’aller au-delà de l’émotion et des actions ponctuelles pour définir une vraie stratégie et des réponses globales.
- Lesquelles?
- Pour nous, l’antichristianisme est aussi intolérable que l’antisémitisme ou l’anti-islamisme. Il est urgent d’agir. La semaine prochaine, à l'occasion du Forum pour l'Avenir qui se tiendra à Doha, au Qatar, je compte lancer un appel à la tolérance et au respect mutuel entre les trois religions monothéistes. Ce forum regroupe les pays du G8 et ceux du grand Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Il me parait le lieu propice pour faire passer ce message de tolérance et de respect général de la religion, qu'elle soit chrétienne, juive ou musulmane. Je vais commencer une tournée dans le Maghreb, au Moyen-Orient et dans le Golfe, où je veux porter aussi cette idée de tolérance et de respect de liberté de conscience et de liberté religieuse. Ce n’est pas seulement une question de principe. C’est dans la pratique quotidienne que des résultats doivent être obtenus.
Il importe aussi que l'Union européenne s'exprime fortement et concrètement en la matière. J’ai saisi Catherine Ashton, haut représentant de l'Union pour les Affaires étrangères, en liaison avec plusieurs de mes homologues européens, notamment mon collègue italien Franco Frattini. Je demande que le problème de la sécurité des communautés chrétiennes du Moyen-Orient soit inscrit à l'ordre du jour de la prochaine réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne, le 31 janvier à Bruxelles. Je souhaite, au demeurant, qu’il ne soit pas simplement question des chrétiens d'Orient, mais, plus généralement, du respect de toutes les minorités religieuses. C'est extrêmement important, car il faut éviter que les récents actes terroristes n'entraînent une stigmatisation à rebours.
- Mais concrètement, que peuvent faire les Européens ?
- Les Européens doivent étudier ensemble comment contribuer très concrètement, avec les Etats concernés, à la sécurité des chrétiens dans les pays dans lesquels ils vivent. Dans le nord de l'Irak, par exemple, la zone kurde abrite un grand nombre de chrétiens qui s'y sont réfugiés depuis 2003. Ils sont environ 50 000. Dans un cas comme celui-ci, l'Union européenne ne pourrait-elle pas aider les autorités locales à faire face à cet afflux, de façon à ce que les réfugiés soient le mieux accueillis possible ?
- Mais les chrétiens d'Orient possèdent un lien historique avec la France….
- C'est sans doute pourquoi nous sommes en pointe, parmi les nations européennes, sur le sujet. Nous sommes à l'écoute des responsables religieux et des gouvernements de la région. Ceux-ci ne souhaitent pas le départ des chrétiens d’Orient. Aujourd’hui, plusieurs pays européens agissent, mais de façon disparate. Une meilleure coordination rendrait nos actions plus efficaces.
- Comme membre du conseil de sécurité des Nation unies, la France n'a-t-elle pas un rôle à jouer ?
- Les Nations-Unies ont adopté récemment une résolution sur la liberté religieuse. Elle a été acceptée dans le consensus. La France s'est engagée sur ce point. Mais si l'ONU a un rôle à jouer, je crois que l'Europe est un bon vecteur pour ce qui est des mesures concrètes.
- Est-il possible d'éviter dans une guerre des civilisations ?
- Al-Quaïda, depuis les attentats du 11 septembre 2001, cherche à susciter un conflit généralisé entre le monde arabo-musulman et le monde occidental. Ne tombons pas dans le piège. Le terrorisme, qui vise les chrétiens, touche aussi les musulmans. J'ai eu de nombreuses conversations avec des chefs d'Etat ou de gouvernement de la région. Ils partagent notre analyse. Contre une menace commune, nous menons un combat commun, afin de défendre notre intérêt commun, celui de la paix et de la tolérance.
- Comment expliquer qu’en France ou en Europe, les intellectuels, les gouvernants, l'opinion publique, se mobilisent davantage en faveur de Sakineh, mère de famille musulmane condamnée à mort en Iran et moins en faveur d'Asia Bibi, mère de famille chrétienne, condamnée à mort au Pakistan, au nom de la loi sur le blasphème ?
- La médiatisation n’est pas la seule forme d’action, ni toujours la meilleure. Chaque situation est unique, et appelle des actions spécifiques. La France et l’Union européenne sont mobilisées sur le cas d’Asia Bibi, vous pouvez en être certain.
- Que pensez-vous des déclarations de Roland Dumas et Jacques Vergès, les deux avocats français de Laurent Gbagbo qui appellent à un recomptage des voix en Côte d'Ivoire ?
- J'ai trouvé cette démarche pitoyable. Je comprends bien qu'ils sont les avocats de M. Gbabgo, mais l'activité professionnelle ne justifie pas tout. Je trouve très limite qu'un ancien ministre des affaires étrangères, qui devrait avoir à cœur de porter les valeurs de la démocratie, se prête à ce jeu.
- Peut-on encore espérer une libération rapide des deux journalistes de France 3 détenus depuis plus d'un an par les talibans en Afghanistan ?
- Dans les affaires d'otages, le temps des ravisseurs n'est pas celui des diplomates et encore moins celui des familles. J'ai parfaitement conscience de la douleur des familles pour qui toute journée de détention est une journée de trop. Avec le gouvernement afghan, nous agissons pour obtenir une libération le plus rapidement possible. Nous sommes également engagés pour la libération de nos autres otages, les cinq retenus au Sahel, celui qui est en Somalie et le jeune soldat franco-israélien détenu à Gaza.
- Le président a annoncé trois grands chantiers pour l'année 2011. Le premier d'entre eux sera la dépendance. Si un 5ème risque est crée, comment éviter une hausse des prélèvements à un an de la présidentielle ?
- C’est le vrai dossier des prochaines années. Le Président de la République a le courage de l’ouvrir. Nous n'en sommes néanmoins qu'au début de ce chantier. Il est trop tôt pour parler de ce sujet à partir de cet angle, qui est d'ailleurs très réducteur...
- ... mais essentiel !
- Le financement ne sera pas oublié, mais on ne peut réduire la question de la dépendance au financement! Avant de pouvoir mesurer le coût et de faire les choix, il y a un énorme travail à accomplir qui doit prendre en compte la situation de l'assurance maladie, qui couvre aujourd’hui une partie de la dépendance, la situation des familles qui prennent en charge, quand elles le peuvent, les personnes âgées, intégrer le rôle des bénévoles, de plus en plus nombreux à intervenir.
- Deuxième chantier, la justice. Nicolas Sarkozy veut intégrer des jurys populaires dans les tribunaux correctionnels. Vous–même étiez plutôt favorable à leur disparition dans les cours d'assises...
- ... C’est inexact ! Je suis – je l’ai dit – pour le maintien des jurys dans les cours d'assises. Je déplore que des crimes soient correctionnalisés parce que la procédure de cour d'assises est très lourde et lente. Passer devant le tribunal correctionnel, plus rapide, conduit à ce que le crime soit considéré et puni comme un délit. Dans la réforme de la procédure pénale que j'ai largement portée quand j'étais place Vendôme, nous avons étudié les moyens pour faire cesser cette dérive qui ne respecte pas la loi et crée une inégalité de traitement sur le territoire. D’où l’idée de tribunaux avec une participation de citoyens pour ces délits qui sont en fait des crimes.
- Troisième chantier, la fiscalité. Etes-vous favorable à la suppression de l'ISF ?
- On ne peut pas se focaliser sur un point spécifique. Il faut avoir une vision globale. Notre problème est celui du dynamisme économique par rapport à notre voisin et concurrent qui est l'Allemagne. Le Président l’a dit : nous avons besoin d'une convergence beaucoup plus grande des politiques économiques. C'est sous cet angle-là qu'il faut regarder l'ensemble de la fiscalité.
- Et donc comme il n'y a pas de bouclier fiscal ni d'ISF en Allemagne, il faut les supprimer en France ?
- Nous devons à la fois gérer l'efficacité économique et le sentiment de justice. On critique beaucoup le bouclier fiscal, mais sa création répondait à une injustice, symbolisée notamment par les habitants de l'île de Ré. Ils possédaient certes des maisons dont la valeur avait considérablement augmenté, mais pas les revenus suffisant pour payer leurs impôts. C'était un acte de justice fiscale. Il a ensuite été ressenti comme injuste, parce qu’il a profité à des contribuables fortunés qui n’étaient pas ceux visés à l’origine par le dispositif.
- Que pensez-vous de la proposition de Manuel Valls de «déverrouiller les 35 heures» ?
- Cela m'amuse beaucoup de voir Manuel Valls préconiser de déverrouiller les 35 heures et rester au PS, dirigé par « Madame 35 heures », Martine Aubry ! Je rappelle d’ailleurs que c'est Dominique Strauss-Kahn qui a proposé le premier le recours aux 35h. C'est révélateur de l'incapacité du PS à avoir un projet tant il est tiraillé entre des visions opposées.
- DSK est-il le candidat le plus redoutable à gauche ?
- Dans une élection, on ne choisit pas ses concurrents et on ne se positionne pas par rapport à eux. L'élection présidentielle est un moment où les candidats exposent et essaient de faire partager aux Français leur vision de l'avenir de la France. Ce qui compte à ce moment-là c'est la crédibilité dans l'analyse des enjeux du monde, la capacité à montrer les atouts de notre pays, la façon de valoriser ces atouts. De ce point de vue les réformes courageuses et essentielles initiées par Nicolas Sarkozy pour moderniser le pays sont le socle qui permettra de valoriser les atouts de la France.
- Nicolas Sarkozy n'a pas encore annoncé sa décision de se représenter...
- ... Et je pense qu'il ne l'a sans doute pas encore prise. Il est dans l’action. Il a dit qu'il l’annoncerait le moment venu.
- Ce qui veut dire qu'il peut aussi ne pas se représenter. Dans ce cas, êtes-vous prête à relever le flambeau et vous présenter en 2012 ?
- Pourquoi voudriez-vous que je me pose des questions avant qu'il ne se prononce ?
Bien à vous,
Morgane BRAVO