jeudi, août 09, 2007
*Les régions ont le vent en poupe : Europe*
*** Catalans, Ecossais, Flamands, tous aspirent à l'indépendance : l'Europe est en proie à la montée des mouvements séparatistes. Faut-il en conclure que l'intégration européenne favorise la dislocation des Etats nationaux ?
Les mouvements séparatistes ne sont pas l'apanage de l'Europe de l'Est où sont tombés les anciens Etats nationaux à la suite de l'effondrement du communisme et où de nouveaux Etats sont nés, ils sont également à l'ordre du jour en Europe de l'Ouest. Rares sont cependant les organisations séparatistes qui à l'instar de l'ETA basque recourent au terrorisme dans leur lutte pour l'indépendance. Leur combat est au contraire de nature culturelle, les séparatistes, tels les Catalans, se mobilisant pour la reconnaissance de leur langue, de leur culture et de leur nationalité.
Ce sont souvent les régions bien nanties qui se rebellent. Elles peuvent se permettre de prendre leur temps pour réfléchir au bien fondé d'une autonomie, comme c'est le cas par exemple des Ecossais qui disposent de ressources minières. L'exemple de la Belgique montre que la poussée de la décentralisation et de la régionalisation peut devenir un processus inéluctable ouvrant une brèche de plus en plus profonde dans la société.
Le cas de la Catalogne – un modèle à imiter ?
Pour la première fois, l'invité d'honneur de la Foire du Livre de Francfort sera cet automne non pas un pays mais une région, à savoir la Catalogne. Les organisateurs auraient-ils par là levé un lièvre ? Ils s'en avisèrent au plus tard lorsque l'institut culturel Ramon Llull sis à Barcelone et chargé de sélectionner les écrivains pour Francfort, élimina tous les auteurs écrivant en espagnol. Ainsi furent exclus des écrivains à succès, tel Edoardo Mendoza ou Carlos Ruiz Zafón, bien qu'ils soient catalans.
La question de l'indépendance de la Catalogne anime les débats depuis des décennies, mais ces derniers temps, le ton s'est durci. "Il est regrettable qu'au moment où l'influence de l'espagnol croît dans le monde, certains secteurs minoritaires prétendent l'éradiquer au sein même du territoire national", déplorait le quotidien espagnol ABC il y a un an déjà, le 13 juillet 2006, lorsque la Catalogne sollicita son propre stand à la Foire du Livre de Francfort. "Les langues sont un instrument de cohésion sociale et ne doivent pas se convertir en moyens de discrimination des citoyens ou servir une politique revancharde", soulignait le quotidien conservateur.
L'inquiétude que suscite l'unité espagnole est loin d'être immotivée. L'Espagne se compose de dix-sept communautés autonomes et, dans nombre d'entre elles, les esprits sont en effervescence. En février 2007, un référendum a hissé l'Andalousie au rang de "réalité nationale", hymne, drapeau et jour férié à l'appui. Quant aux nationalistes galiciens, ils exigent de Madrid des réparations s'élevant à 24 milliards d'euros. Les gouvernements des îles Canaries et des Baléares réfléchissent à haute voix à une autonomie renforcée. Et au Pays Basque, l'ETA a récemment dénoncé un armistice qui de toute façon n'était pas respecté.
Pour toutes ces entités, la Catalogne sert de modèle. De fait, jamais Barcelone n'avait été aussi éloignée de Madrid qu'aujourd'hui. Depuis 1978 la région nord-est de la péninsule ibérique, entre la Méditerranée et les Pyrénées, est considérée comme région autonome et dispose entre autres, outre ses compétences politiques élargies en matière d'éducation, de santé et d'économie, de sa propre police. Dans le cadre du nouveau statut d'autonomie la Catalogne a accédé au rang de "réalité nationale". Virtuellement, la Catalogne bénéficie depuis deux ans déjà du statut de "région": à l'époque, l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers ICANN l'a autorisée à porter la particule "cat". C'est la toute première particule synonyme de région et d'entité culturelle.
Le cas de l'Ecosse – pacifisme et ténacité
Sur les terrains de sport, l'indépendance des Catalans est déjà bien établie : lors de la coupe du monde de football en salle qui a eu lieu en juin 2007 à Jakutzk, en Russie, l'équipe catalane jouant pour la première fois a vaincu ses collègues espagnols 5 à 3. L'Ecosse aussi a sa propre équipe de football, et ce depuis 1872. À l'époque elle participait au tout premier match international contre l'Angleterre, et ce fut un match nul. Entre temps l'Ecosse a marqué des points sur la voie de l'autonomie politique. Le parti séparatiste Scottish National Party (SNP) est au pouvoir depuis les dernières élections de mai 2007, et dans trois ans la population sera appelée à se prononcer par référendum pour ou contre l'indépendance. À l'heure actuelle, presque 50 % de la population se prononcerait en faveur de l'indépendance.
L'Ecosse semble tentée par le modèle irlandais, pays qui par sa politique en faveur de l'économie affiche, à l'ombre du voisin britannique, des taux de croissance non négligeables. L'essayiste Michael O'Sullivan mettait en garde dans le Irish Times du 3 mai contre la puissance économique d'un voisin écossais accédant à l'autonomie : "Une Ecosse indépendante pourrait devenir un concurrent plus agressif de l'Irlande pour attirer les capitaux et la main-d'oeuvre étrangère, même s'il faut admettre que les deux pays pourraient agir plus étroitement sur le plan politique au sein du Conseil des îles [appellation utilisée pour désigner le Conseil britanno-irlandais] ou du Conseil de l'Union européenne".
Dans une tribune du quotidien belge La Libre Belgique du 1er juin 2007, Tom McCabe, membre du Parlement régional écossais et ancien ministre britannique des Finances, souligne la non-violence du nationalisme écossais, car "contrairement au nationalisme d'Europe de l'Est ou à celui des Balkans, le nationalisme de type écossais ne s'enracine pas dans un problème d'ethnie ou de religion. Une Ecosse nouvelle se lève, de même qu'une nouvelle Grande-Bretagne. C'est la leçon de l'Ecosse à l'Europe."
Grand coup télémédiatique en Belgique
Tandis que les nationalistes écossais attendent encore le bon moment pour leur indépendance, pour nombre de Belges la division du pays en un Nord flamand et un Sud wallon a déjà été une réalité : le 13 décembre 2006, la télévision belge diffusait un reportage fictif dans lequel un journaliste particulièrement excité annonçait depuis le Parlement que les députés de la Flandre du Nord venaient de voter l'indépendance et que la famille royale s'était enfuie à Kinshasa. Les téléspectateurs wallons furent 90% à prendre la nouvelle au sérieux.
"Au fond : une fiction pour faire comprendre que le séparatisme n'est pas…une 'fiction'", commentait Pierre Bouillon le lendemain dans le plus grand quotidien de langue française, Le Soir. De même, les anciens parlementaires Serge Moureaux et Antoinette Spaak émettaient leur opinion dans un 'manifeste pour l'unité francophone' publié dans Le Soir le 26 février, soulignant qu'il n'était plus possible de sauver l'unité de la Belgique. "Les francophones doivent s'y préparer", avançaient-ils d'une seule voix.
La Flandre domine la Belgique non seulement sur le plan politique – depuis 30 ans le Premier ministre est toujours un Flamand – mais aussi sur le plan économique. Autrefois pauvre, la Flandre s'est transformée en bastion du high tech, tandis que le déclin de l'industrie lourde fait de la Wallonie une région déficitaire acculée à de graves problèmes. Le Sud ne se rentabilise plus, observait Alois Berger dans une contribution au Deutschlandfunk du 6 juin 2007. "Les forces motrices du séparatisme ont élu domicile aux postes de direction flamands."
Pas de dénominateur commun
Le bien-être économique est, en d'autres endroits d'Europe, l'arrière-plan décisif sur lequel se déroulent les dialectiques séparatistes. Sans le Sud, l'Italie serait l'un des plus riches pays de l'UE, et, même au Pays Basque espagnol, le revenu est supérieur à celui du reste de l'Espagne. On ne peut guère ramener à un dénominateur commun les différents mouvements séparatistes d'Europe, considérait l'hebdomadaire britannique Economist dans une tribune du 1er mars 2007. L'argent cependant joue un rôle d'importance dans la plupart des cas : "Il est vrai que les entités les plus pauvres seraient moins tentées de se séparer d'un Etat riche, tandis que les régions riches – ou celles qui ont des ressources naturelles – pourraient fort bien le désirer."
Les motifs économiques sont-ils les seuls à jouer un rôle sur les scènes autonomistes des régions et des provinces européennes ? Jean-Michel Helvig ne cachait pas ses craintes, dans Libération du 29 décembre 2005, devant le nouveau spectre du "remembrement" qui hante l'Europe : "Ce national-régionalisme, s'il se radicalise depuis l'élargissement des années 90, est déjà enraciné dans le fonctionnement communautaire. Ce que l'Europe a de supranational sert aux régions en veine d'autonomie pour contourner leurs gouvernements et faire valoir des intérêts propres, surtout économiques."
Nombre de séparatistes sont les représentants de l'idée européenne. Et ce non sans raison. L'UE soutient depuis toujours le principe de la subsidiarité parce qu'il promet une gestion calquée sur les besoins spécifiques des régions et par là plus efficace. Ainsi fut créée en 1985 l'Assemblée des régions d'Europe qui s'est érigée depuis en modèle de réussite. Aujourd'hui, elle comprend 250 régions émanant de 30 pays, dont la Catalogne.
Cette assemblée fait-elle fonction d'exutoire pour la rhétorique séparatiste ou de catalyseur de nature à accélérer l'atomisation des vieux Etats nationaux ? Antoine Maurice, dans la Tribune de Genève du 1er mars 2007, brossait un sombre tableau des Etats de type traditionnel : "Il est vrai que les vieilles nations européennes, par temps de terrorisme et de mondialisation, ne sont pas sûres de maintenir une présence hégémonique dans les relations internationales ni dans leur cohésion interne."
Nicolas Levrat, politologue et professeur de droit à Genève, contrecarre cette opinion dans un entretien avec euro|topics : "Canaliser ainsi l'influence des régions fortes par leur représentation à l'échelle nationale était un coup habile qui a renforcé l'Etat, moins en sa qualité d'Etat national qu'en sa qualité d'Etat dans toute sa diversité, y compris ses pouvoirs régionaux." En apportant son soutien aux régions les plus pauvres, l'UE contribue à réduire les différences économiques entre les régions de chacun des Etats. Ainsi le chroniqueur Michael Mocek estimait-il dans le quotidien tchèque Mlada fronta dnes du 11 juillet 2006 que l'UE était plutôt une force de cohésion : "Si l'Europe de l'Ouest ne se délite pas, au contraire de l'Europe de l'Est, c'est en grande partie grâce à l'Union européenne, qui offre le cadre d'une autonomie accrue."
de Christoph Mayerl
Eurotopics
*Pendant une demonstration à Barcelone une femme montre un poster avec la
phrase en catalan "Nous sommes une nation". Photo: AP