*** La chronique d'Yves de Kerdrel :
** «Au cours des vingt dernières années, l'Europe a affiché le taux de croissance le plus bas parmi tous les continents» Qu'on ne se trompe pas ! Les lignes qui suivent sont celles d'un européen convaincu. Qui croit profondément que la constitution d'une Europe économique, monétaire, mais aussi industrielle, éducative et environnementale est l'une des conditions nécessaires - mais pas suffisantes - au sursaut de la France. Qui reste persuadé qu'une Europe conçue non seulement comme un vaste marché, mais aussi comme un espace politique et culturel, a vocation à être l'un des pôles de compétition les plus vigoureux dans l'avenir.
C'est bien la raison pour laquelle cette chronique n'ajoutera pas sa voix à tous ceux qui dénoncent à la fois les méfaits d'un euro fort et la politique monétaire suivie par la Banque centrale européenne. « Voilà l'homme tout entier, qui s'en prend à sa chaussure, alors que c'est son pied qui est coupable. » Ce que Samuel Beckett écrit dans En attendant Godot trouve encore une fois sa justification dans les diatribes dressées face à l'envolée de la monnaie européenne. « Les coupables, disait, pour sa part, Pagnol, on préfère les choisir que les chercher. »
Et curieusement en France où l'esprit européen est le plus développé, de Jean Monnet à Valéry Giscard d'Estaing, dès qu'il s'agit de trouver un coupable on se tourne vers Bruxelles et surtout vers Francfort. L'an passé, Hewlett-Packard annonçait une restructuration à Grenoble. Aussitôt le président de la République fustigeait la passivité des autorités européennes. Ensuite Arcelor entrait dans la ligne de mire du groupe anglo-indien Mittal, et c'était encore une fois Bruxelles qui était montré du doigt pour son incapacité à construire des géants européens. Comme si son rôle dans le continent-creuset du libéralisme était d'être plus colbertiste que Colbert ! Et puis voilà l'euro qui monte, ou plutôt le dollar qui s'effondre et c'est la Banque centrale européenne qui est montrée du doigt. Avec la même virulence qu'au dix-neuvième siècle certains dénonçaient la finance apatride, ou lorsqu'un peu plus tard d'autres s'en prirent au pouvoir occulte des deux cents familles, ou encore plus récemment quand d'aucuns ont fustigé les gnomes de Zurich.
C'est vrai que la rigidité et la certitude dans laquelle vivent les dirigeants de la Banque centrale européenne ne rendent pas leur cause facile à défendre. C'est vrai qu'en fixant depuis des années le niveau des taux d'intérêt bien au-delà du taux de croissance des économies européennes, ils ont découragé tous les entrepreneurs. C'est vrai enfin qu'en prenant un soin attentif à prévenir l'éclatement d'une bulle immobilière ils se sont éloignés de leur mission principale, qui consiste à combattre une inflation ; que la mondialisation a déjà mise à terre depuis quelque temps. Mais le principal problème de l'Europe réside dans sa volonté de donner des leçons de morale aux autres pays occidentaux, et en premier lieu aux États-Unis. C'est le cas en matière d'aide au développement, alors que les pays de l'hémisphère Sud préféreraient voir enterrée la politique agricole commune plutôt que de recevoir des subsides. C'est le cas dans le domaine sanitaire avec le texte Reach qui réglemente les pratiques de l'industrie chimique. C'est le cas surtout en matière d'environnement. La discussion actuelle sur les quotas de dioxyde de carbone attribuables à chaque pays en fournit une illustration. De manière à se conformer au protocole de Kyoto, Bruxelles délivre régulièrement des quotas de CO2 aux principaux industriels de l'Union européenne après une discussion entre chaque pays membre, qui tient compte à la fois du nombre de sites polluants et des efforts déjà faits pour réduire leurs émissions de gaz carbonique.
En 2005, la France avait reçu la permission de rejeter dans l'atmosphère 135 millions de tonnes de CO2. Et là elle demande à bénéficier pour la période 2008-2012 d'un quota de 149 millions de tonnes. Mais, curieusement, Bruxelles coince. Et si l'on mesure bien à la fois le taux d'utilisation de nos usines les plus polluantes et le taux de croissance économique attendu en France, ce que propose l'Union européenne obligerait les industriels français à brider leur activité - pour ne pas polluer plus que prévu - ou bien à acheter des droits à polluer - ce qui n'est pas la meilleure formule. Si Bruxelles, qui était jusqu'ici symbole de libre concurrence et de développement économique, se met à plafonner le niveau d'activité des usines françaises, et de facto le niveau de notre production industrielle, ou à réglementer l'usage des 30 000 composants chimiques, on n'a pas de mal à comprendre que les délocalisations s'accélèrent, que les usines quittent le paysage, et que la panne d'investissement qui caractérise le pays se transforme aujourd'hui en un trou d'air en termes de croissance économique. Au cours des vingt dernières années, l'Europe a affiché le taux de croissance le plus bas parmi tous les continents, y compris l'Afrique. On peut craindre qu'avec des mesures de ce type elle renouvelle cette contre-performance au cours des vingt ans à venir. Sans croissance, l'Europe aura du mal à donner des leçons de morale au monde entier. Sans croissance, qui sait surtout combien de temps elle pourra maintenir son unité.
Le Figaro. Publié le 05 décembre
samedi, décembre 09, 2006
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