dimanche, juillet 01, 2007
*** Discours prononcé par la chancelière fédérale Angela Merkel devant le Parlement européen à Bruxelles ***
*** Monsieur le Président, Chers collègues du Parlement européen, Mesdames, Messieurs,
Quelques jours seulement après un Conseil européen mémorable, je tiens tout d'abord dans cette enceinte à rappeler la cérémonie organisée au mois de mars à Berlin à l'occasion du cinquantième anniversaire des Traités de Rome. Nous avions voulu souligner que les 50 ans écoulés depuis la signature des Traités de Rome, 50 ans de paix et de liberté, de démocratie et de primauté du droit n'étaient rien de plus qu'un clin d'œil à l'échelle de l'histoire. Et nous ne savons pas s'il en sera autrement un jour.
Lors de la cérémonie du mois de mars, nous avons montré qu'aucun de ces acquis, que ce soit la paix ou la liberté, la démocratie ou l'état de droit, aucun dis-je, ne va de soi. Tous ces acquis doivent toujours être consolidés et défendus. Ne pas avancer signifie reculer. Instaurer la confiance prend des décennies, la décevoir va très vite, du jour au lendemain en fait. Lorsque l'Europe se divise, elle perd beaucoup plus vite la cadence qu'on ne le croit. Bref, la construction européenne doit sans cesse être remise sur le métier.
Aussi suis-je très heureuse que ce soit précisément ce que le résultat du dernier Conseil européen nous a permis de faire. Nous avons posé des jalons pour asseoir l'Union européenne sur des bases communes rénovées. Nous sommes sortis de l'inertie. Nous n'avons finalement pas déçu la confiance placée en nous. Nous avons évité la division. En résumé, le résultat obtenu dans la nuit de samedi à dimanche dernier donne à l'Europe un nouvel élan commun.
Je ne reviendrai pas aujourd'hui sur les négociations laborieuses des dernières semaines et des derniers mois. Car nous nous en souvenons tous trop bien, les perspectives de départ étaient déjà compliquées avec, d'un côté, les pays qui avaient ratifié le traité constitutionnel et le soutenaient pleinement et, de l'autre, ceux qui, s'appuyant sur les critiques de leurs populations, exigeaient de vastes modifications.
Inutile de nous leurrer, il y a toujours eu un risque latent, celui de voir se poursuivre l'état de paralysie et les tendances à la division. Bien sûr, l'échec du Conseil européen n'aurait pas pour autant sonné le glas de l'Europe. Il aurait néanmoins eu, c'est certain, des conséquences difficilement descriptibles. C'est pourquoi il est essentiel que nous soyons parvenus à l'éviter.
L'unanimité obtenue à Bruxelles permet de conserver la substance du traité constitutionnel. Le Conseil européen a été un succès, un succès pour l'Europe et pour le Parlement européen, je pense qu'en fin de compte, nous sommes tous bien d'accord sur ce point. Vous avez toujours défendu la substance du traité constitutionnel et voilà que le traité modificatif pourra entrer en vigueur à temps avant les élections européennes de 2009. Ce fait est de la plus haute importance pour tous ceux qui se présenteront devant les citoyennes et les citoyens.
Le traité modificatif tient compte des inquiétudes des citoyens vis-à-vis d'un "super-État" européen présumé et de leur peur de devoir renoncer trop largement à l'identité des États-nations. Si je ne partage pas ces inquiétudes, je me devais de les respecter. C'est ce que j'ai fait et c'est la raison pour laquelle nous avons renoncé dans le traité modificatif aux symboles et désignations qui sont les attributs d'un État.
Parallèlement, le traité modificatif signifie que nous avons fait de grands progrès concernant l'action de l'Union européenne. Nous sommes même parvenus dans certains domaines à aller plus loin que dans le traité constitutionnel. La protection du climat et la solidarité énergétique ont été incorporées au traité modificatif, les parlements nationaux sont encore plus fortement associés à la définition de la politique nationale européenne, les compétences entre l'Union européenne et les États membres sont encore plus clairement délimitées, et les conditions préalables à une coopération renforcée, en particulier en matière de justice et d'affaires intérieures, et ont été simplifiées.
Mesdames et Messieurs, avec le traité modificatif, trois éléments essentiels pour l'avenir de l'Union européenne deviennent réalité:
Premièrement, le renforcement de la capacité d'agir de l'Union européenne, à l'intérieur et à l'extérieur. C'est ce à quoi contribuent la personnalité juridique unique conférée à l'Union européenne et l'extension du vote à la majorité qualifiée pour les décisions au Conseil.
Les nouvelles dispositions concernant la "double majorité", qui accordent un poids accru au facteur démographique, ne prendront effet, il est vrai, qu'à partir de 2014, en même temps que siégera pour la première fois une Commission de taille réduite, et cela avec un délai de transition jusqu'en 2017, mais elle devient néanmoins réalité. Le "président du Conseil européen" et les "présidences par équipe" qui seront mis en place lors de l'entrée en vigueur des nouveaux traités assureront également aux activités du Conseil une plus grande continuité.
De plus, le traité modificatif fait avancer différents domaines, par exemple celui de l'action extérieure de l'Union européenne. La cohérence de la politique étrangère et le fait de parler d'une seule voix revêtent chaque jour plus d'importance pour une Europe qui cherche à s'affirmer dans le monde. Nous désignerons un "haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité" qui dirigera le Conseil "Relations extérieures", pourra s'appuyer sur un service européen pour l'action extérieure et qui sera membre de la Commission dont il exercera la vice-présidence. C'est là une formidable avancée politique pour l'Europe.
Des progrès importants ont également été réalisés dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, domaine qui intéresse au plus haut point les Européens, par exemple pour ce qui concerne la lutte commune contre la criminalité transfrontalière. Le nouveau mode de décision à la majorité qualifiée permettra ici d'accélérer considérablement les procédures. Nous pourrons par ailleurs montrer plus clairement que les transferts de compétences ne sont pas des voies à sens unique permettant à l'Union européenne d'acquérir sans cesse de nouvelles compétences, mais qu'il peut aussi y avoir des situations dans lesquelles des compétences sont retransférées, si nécessaire, aux États nationaux. Car voir l'Europe plus présente dans certains domaines importants et moins présente dans d'autres que les États membres peuvent bien gérer tout seuls, voilà un souhait souvent exprimé par les citoyens européens. De ce souhait, nous tenons compte.
Mesdames et Messieurs, le deuxième élément: le traité modificatif montre clairement que l'Europe est devenue plus proche du citoyen. Comme le prévoyait le traité constitutionnel, il est introduit à cet effet une initiative citoyenne. Des progrès se concrétisent dans la dimension sociale. Il y aura, par exemple, des dispositions plus claires dans le domaine des services d'intérêt général. De plus, la conférence intergouvernementale adoptera un protocole séparé qui rendra hommage aux services d'intérêt économique général. Il est précisé que les États membres disposent d'une grande marge de manœuvre dans le domaine non commercial.
Je suis très satisfaite, tout comme la grande majorité d'entre nous je crois, que nous soyons parvenus à trouver une solution également pour la Charte des droits fondamentaux. Cette charte renforce les droits des citoyens vis-à-vis des institutions. La Charte des droits fondamentaux acquiert le caractère juridique contraignant qui, à mon avis, sied à une Europe sûre de ses valeurs.
Nous savons qu'en raison de sa tradition juridique, la Grande-Bretagne a choisi de suivre sa propre voie. Nous devons le respecter. Sinon, cela aurait impliqué de limiter le caractère juridique contraignant de la Charte pour tous les États membres, chose inacceptable pour la majorité d'entre eux. Il est donc bon que cela ait été évité. Je crois que c'est aussi ce que pense la majorité des eurodéputés.
J'en arrive, Mesdames et Messieurs, au troisième élément qui reflète les progrès accomplis par le nouveau traité modificatif: le renforcement des droits des parlements. La réforme des traités fait du Parlement européen en règle générale un co-législateur à égalité de droits. Le Parlement européen élit désormais le président de la Commission européenne. Il était en même temps important pour de nombreux États membres d'insister davantage sur le rôle des parlements nationaux. C'est ce qui est fait dans un nouvel article. Nous sommes convenus à titre supplémentaire de renforcer l'implication des parlements dans le contrôle du principe de la subsidiarité, tout en respectant le droit d'initiative de la Commission européenne. Les parlements nationaux ne disposeront pas non plus à l'avenir d'un droit de veto. Je pense que cela est judicieux.
Mesdames et Messieurs, la réforme des traités était l'un des deux grands objectifs de la présidence allemande de l'Union européenne. L'autre était de réorienter le contenu de l'Union européenne vers ce que nous ne pouvons faire qu'ensemble dans le concert européen. Car, et j'en suis intimement persuadée, nous ne pourrons obtenir des résultats sensibles pour nos citoyens que si nous agissons ensemble et de manière ciblée.
Il est clair, et nous l'avons vu une fois de plus dans les conclusions du Conseil européen, qu'il y aura toujours des dérogations, des cas où certains États membres ne voudront pas, ou du moins pas encore, participer à certaines politiques, tandis que d'autres iront de l'avant, dans le cadre des traités bien entendu. Mais cela n'a rien à voir avec "l'Europe à deux vitesses". Laissez-moi vous dire franchement ceci: je suis contre. Cela ne doit pas être l'objectif de notre politique, sinon nous creuserons de nouveaux fossés en Europe et nous affaiblirons ainsi, Mesdames et Messieurs, le Parlement européen. Nous ne devons pas relâcher nos efforts afin de permettre à tous les États membres de l'Union européenne d'avancer côte à côte. L'enjeu en vaut la peine.
Comme le dit un proverbe africain, "si tu veux aller vite, vas-y seul, mais si tu veux aller loin, alors il faut y aller ensemble". Je crois, Mesdames et Messieurs, que ce proverbe africain renferme toute la sagesse de l'idée de la construction européenne. Ce n'est qu'en agissant ensemble et de manière ciblée que nous parviendrons à préserver ce qui, depuis plus de cinquante ans, fait toute la grandeur et le caractère unique de la construction européenne: la paix, la liberté et la sécurité juridique pour les citoyens européens.
Nous ne pourrons renforcer les droits du citoyen au sein de l'Union européenne que si nous agissons ensemble et de manière ciblée, par exemple en intégrant le Traité de Prüm dans le cadre juridique de l'Union européenne. Cela permettra de pratiquer une coopération policière renforcée dans la lutte transfrontalière contre le terrorisme, la criminalité et les migrations clandestines dans l'Union européenne. De même, ce n'est qu'en agissant ensemble et de manière ciblée que nous accroîtrons la compétitivité de l'Europe. Le règlement sur l'itinérance, par exemple, que nous avons signé dans cette enceinte, en témoigne. Et ce n'est qu'en agissant ensemble et de manière ciblée que nous pourrons relever l'un des grands défis pour l'humanité: la menace liée au changement climatique. À cet égard, les décisions adoptées par le Conseil de printemps de l'Union européenne concernant une politique européenne intégrée en matière de climat et d'énergie sont prometteuses. Elles ont d'ailleurs été la condition primordiale qui nous a permis de nous entendre, lors du sommet du G8, sur le fait que nous avions besoin d'un accord de suivi dans le cadre du Protocole de Kyoto sous l'égide des Nations Unies et qui a permis à tous les pays du G8 de prendre un engagement dans ce sens. Sans le sommet de printemps de l'Union européenne et sans l'appui du Parlement européen, cela n'aurait pas été possible. C'est cela défendre les intérêts européens. Et c'est pourquoi il est juste également que la protection du climat figure maintenant dans le nouveau projet de traité parmi les objectifs de l'Union européenne.
Ce n'est en effet qu'en agissant ensemble et de manière ciblée que nous, Européens, avons des chances de défendre nos intérêts et nos objectifs dans le monde. C'est également ce qu'ont montré les sommets que nous avons tenus pendant notre présidence avec les pays du G8 extérieurs à l'Union européenne: avec les États-Unis, la Russie, le Japon et le Canada. Outre les décisions relatives à la protection du climat, d'autres arrangements importants ont été conclus sur le long terme: sur le renforcement de la coopération réglementaire avec les États-Unis et le Canada, sur la mise en place d'un système d'alerte précoce en matière d'énergie et d'un dialogue sur la sécurité des investissements avec la Russie, et sur une meilleure application de la protection de la propriété intellectuelle avec le Japon.
Mesdames et Messieurs, tous les progrès institutionnels et la réorientation de l'Union européenne ne sont finalement possibles que si nous, Européens, sommes sûrs de nos valeurs, et que ces valeurs guident nos actes tel un fil conducteur. Selon moi, ce fil conducteur peut également contribuer à convaincre les citoyens européens en mettant en relief nos points communs, en montrant clairement que nous agissons ensemble dans le monde sur la base de nos valeurs.
L'Europe n'est pas une option, c'est un engagement que nous prenons pour aider à ce que notre planète Terre reste habitable, pour que de moins en moins d'hommes et de femmes soient obligés de quitter leur pays natal à cause de la violence ou de la guerre, et pour que des maladies comme le sida, le paludisme et la tuberculose soient combattues avec succès.
Et voilà, Mesdames et Messieurs, la boucle de la présidence allemande du Conseil de l'Union européenne est bouclée. Le traité modificatif est désormais nécessaire pour que l'Europe puisse maintenir le cap. Le Conseil européen espère que la conférence intergouvernementale pourra être convoquée avant la fin du mois de juillet. C'est pourquoi je vous demande aujourd'hui de prendre position dans les meilleurs délais.
Vous souhaitez, tout comme la présidence allemande, que nous puissions dire aux Européens lors de la campagne électorale pour les élections au Parlement européen en 2009: c'est comme cela et pas autrement que l'Europe avancera. C'est pourquoi il est bon aussi que le Parlement européen s'efforce en permanence de sensibiliser les citoyens à ces questions, qu'il recherche le dialogue avec les sociétés civiles et qu'il en fasse la démonstration en organisant à l'automne une "Agora citoyenne".
Mesdames et Messieurs, pour conclure la présidence allemande, je me permettrai de citer à nouveau l'écrivain allemand Peter Prange et son livre "Valeurs. De Platon à la pop". Vous vous en souvenez peut-être, je l'avais déjà cité dans cette même enceinte dans mon discours du mois de janvier au début de notre présidence. Il écrit : "Tout ce que nous, Européens, avons accompli, nous le devons à nos contradictions internes, à l'éternel conflit que nous portons en nous, au va-et-vient constant entre opinion et contre-opinion, entre idée et anti-idée, entre thèse et anti-thèse."
Et je me permets d'ajouter à titre personnel que c'est grâce à notre aptitude à supporter également ces contradictions internes que nous avons réussi, après d'innombrables guerres et d'infinies souffrances, quelque chose d'aussi grandiose que l'œuvre de paix européenne.
Notre chance pour nous, citoyennes et citoyens d'Europe, c'est vraiment d'être unis. J'espère que dans 50 ans les Européens se diront qu'en 2007, l'Europe unie, au terme de débats épuisants et éprouvants, a choisi la bonne voie pour l'avenir. Telle a été et telle reste notre mission, notre mission pour l'avenir. Après sa présidence, l'Allemagne continuera de s'atteler à cette tâche de toutes ses forces.
Je vous remercie.
UE