*** D’un côté, il y a le Sarkozy libéral et conservateur ; de l’autre, il y a l’homme du “droit opposable” et le dirigiste à la française. Ce qui risque de plonger dans la perplexité un électorat avant tout soucieux de renouveau.
Dimanche dernier, Nicolas Sarkozy a été désigné sans l’ombre d’une contestation comme candidat de l’UMP à la présidentielle. Il faut y voir un hommage à l’obstination et à la détermination de cet outsider de l’élite politique traditionnelle française. Il a réussi, en dépit de l’opposition déclarée – et souvent impitoyable – du président Jacques Chirac, un temps son mentor, et de Dominique de Villepin, le Premier ministre et son grand rival. Pour prendre le contrôle du parti et exploiter le mécontentement populaire que suscite Chirac, il a fait preuve d’une grande habileté tactique. Mais ce sont ces qualités mêmes – qui l’ont mené si loin dans sa quête du Graal – qui pourraient finalement lui coûter cher pendant la campagne présidentielle. Car il semble autant séduire qu’inquiéter l’électorat français. “Il nous faut un président comme Sarkozy, mais pas Sarkozy”, assurait un commentateur réputé l’année dernière. Il a fait campagne avec la “rupture” comme slogan, une rupture nette avec la politique du passé. Mais, ces dernières semaines, il a mis un bémol à sa rhétorique et cherché à adoucir son image. Maintenant qu’il a écarté ses adversaires de droite, il s’agit pour lui de vaincre la socialiste Ségolène Royal. Mais qui est le vrai Nicolas Sarkozy ? Ministre de l’Intérieur, il a affiché un conservatisme sans complexes, s’est montré intraitable sur la loi et l’ordre, multipliant les expulsions d’immigrés clandestins et appelant à une immigration plus sélective. Il est favorable au PACS, mais s’oppose au droit à l’adoption pour les homosexuels et au mariage gay. Il s’est par ailleurs illustré en réclamant un droit opposable au logement pour les sans-abri.
Sauveur d’Alstom et pourfendeur des 35 heures
Il se présente comme un partisan du libéralisme économique, dans un pays où le mot “libéralisme” a presque aussi mauvaise presse que le mot “libéral” aux Etats-Unis [où il signifie être de gauche]. Il défend le principe d’une plus grande flexibilité du marché du travail et une réduction de la pression fiscale. Mais ses derniers discours se sont parés d’un inquiétant vernis protectionniste. Lors de son passage au ministère des Finances, il a fait preuve d’un authentique dirigisme. Il est intervenu pour sauver Alstom, géant industriel en difficulté, et a supervisé la fusion franco-française entre Aventis et Sanofi pour éviter une OPA du suisse Novartis. Il a tenté de contraindre les hypermarchés à geler leurs prix et serait prêt à rogner les avantages fiscaux des entreprises qui délocalisent. Autant de signaux confus pour les électeurs, qui en ont assez de la classe politique à l’ancienne, tant à gauche qu’à droite, mais qui ne sont toujours pas prêts à voter pour un véritable changement. Le dilemme de Sarkozy est évident. Au premier tour de l’élection présidentielle du 22 avril, il doit se défaire de deux adversaires, le candidat d’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, et le centriste François Bayrou, afin de s’assurer une place au second tour. D’où la nécessité de réaffirmer son ancrage à droite. Mais, s’il est appelé à affronter Ségolène Royal au second tour, il doit aussi séduire l’électorat centriste en se montrant moins libéral, en faisant preuve d’une plus grande sensibilité sociale.
Il lui faut servir la France avant de se servir lui-même
Il faut reconnaître à l’actif de Sarkozy qu’il a déjà proposé un véritable programme politique, contrairement à Mme Royal. Celle-ci, jouant sur son style avenant, s’est bien gardée d’évoquer des sujets qui fâchent : elle préfère garder le silence. Autant dire que le candidat de droite s’expose davantage. Il peut commettre des impairs en parlant trop (son discours à Washington, dans lequel il déplorait l’“arrogance” de la politique extérieure française, a été très mal perçu en France), tandis que Mme Royal parle trop peu. Mais il en est un autre dont le silence fait du tort à sa propre famille politique : il s’agit de Jacques Chirac. A trop vouloir laisser les Français deviner s’il va finalement se présenter ou non, il nuit aussi bien aux gaullistes qu’à la France. Et pourtant, l’actuel président est fatigué et impopulaire. Il est surtout à court d’idées. S’il se représentait, nul doute qu’il essuierait une défaite humiliante. Quant à Sarkozy, il doit maintenant prouver sa capacité à être un responsable politique cohérent, et pas simplement un brillant populiste ayant le sens de l’autopromotion. Au lieu d’entretenir les Français dans leur peur de l’immigration et de la mondialisation, il devrait montrer qu’il est animé d’un projet mobilisateur et cohérent, qui permette à la France de retrouver confiance en elle et de réaffirmer les valeurs d’ouverture et de liberté sur lesquelles la République a été fondée. Il doit convaincre les électeurs qu’il est autre chose qu’un personnage inquiétant, assoiffé de pouvoir. Il doit faire la preuve qu’il veut être président pour le bien de la France – et pas seulement pour son bien personnel.
Financial Times
Courrier International
18/01/2007
lundi, janvier 22, 2007
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