jeudi, janvier 08, 2009
***L'Union européenne entre dans la guerre du gaz***
***Les dirigeants du géant russe Gazprom et du transporteur ukrainien Naftogaz doivent se rencontrer aujourd'hui à Bruxelles.
Les scénarios de crise rattrapent Prague encore plus vite que Paris. Dès le lancement officiel de sa présidence européenne, la République tchèque a pris hier à bras-le-corps le casse-tête russo-ukrainien de la rupture des livraisons de gaz pour éviter à 450 millions d'Européens de grelotter plus encore. Une «petite lumière s'est allumée (hier) au bout du tunnel», selon les mots du premier ministre Mirek Topolanek : l'Union européenne propose l'envoi «d'observateurs» internationaux chargés de faire la part du vrai et du faux dans les accusations qu'échangent Kiev et Moscou pour expliquer le tarissement - à peu près complet hier - des livraisons de gaz au reste de l'Europe. Kiev affirme que le robinet a été coupé du côté russe, dès le départ. Moscou a prétendu que le gaz destiné aux Vingt-Sept était siphonné sur son parcours ukrainien, avant d'annoncer officiellement hier l'arrêt de ses livraisons. Les dirigeants du monopole russe Gazprom et du transporteur ukrainien Naftogaz doivent se retrouver aujourd'hui à Bruxelles pour concrétiser un accord avec la présidence tchèque et la Commission européenne. En théorie, il s'agira de vérifier sous contrôle international que la Russie achemine bien le gaz promis aux compagnies européennes jusqu'à l'Ukraine, puis que cette dernière en répercute intégralement le volume jusqu'à sa frontière occidentale.
Plus vulnérable
Vladimir Poutine et son homologue ukrainienne Ioulia Timochenko ont personnellement donné hier un feu vert de principe à Bruxelles, tout en continuant à s'accuser mutuellement de tromperie. «Rien ne fait encore l'objet d'un accord», insistait hier le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, venu à Prague pour lancer officiellement les six mois de présidence tchèque.
La vérification des volumes en transit pourrait aider à réamorcer la pompe à destination de l'Union européenne. Mais cela ne réglerait en rien le problème initial : un différend russo-ukrainien aussi ancien qu'intraitable sur le prix du gaz et dont l'Europe se retrouve «l'otage» d'après Bruxelles. Le déblocage proposé par Prague et par la Commission n'est pas non plus exempt d'ambiguïtés. Mirek Topolanek expliquait hier que «la Russie reprendra l'acheminement du gaz quand les groupes d'observateurs seront en place». À la même tribune, José Manuel Barroso souhaitait que les livraisons russes «reprennent immédiatement». Hier encore, le président russe Dmitri Medvedev a prévenu que Moscou reprendra les livraisons seulement si l'Ukraine paye le prix du marché et si des observateurs européens sont impliqués dans le processus.
À défaut d'arracher un accord en bonne et due forme, l'Europe a décidé hier de s'impliquer davantage et de jouer les arbitres dans le bras de fer Moscou-Kiev, ce qu'elle refusait jusqu'à ces derniers jours. Pour la Commission comme pour Prague, il devenait de plus en plus difficile de soutenir que le conflit Gazprom-Naftogaz, deux compagnies d'État directement gérées par le pouvoir, restait un différend «commercial». Comme toujours dans les crises, la dimension politique finit par reprendre le dessus.
Pour l'Europe elle-même, la facture des retombées s'allonge dangereusement. Dans sa version 2009, la rupture des approvisionnements en gaz russe «est infiniment plus sérieuse» que celle qui a précédé en janvier 2006, expliquait hier le premier ministre tchèque. Les deux protagonistes russe et ukrainien se montrent «plus agressifs» dans leur comportement, dit Mirek Topolanek, en laissant craindre une crise à la fois plus durable et plus profonde.
L'Europe, si elle aborde un scénario connu avec des stocks de gaz bien mieux remplis, est aussi plus vulnérable à sa périphérie : la Roumanie et la Bulgarie, les plus durement touchées par la fermeture du robinet russe, n'étaient pas membres de l'Union européenne il y a trois ans. En cas de pénurie, ils sont en droit d'attendre aujourd'hui une solidarité qui ne s'appliquait pas avant leur adhésion.
De notre envoyé spécial à Prague
Jean-Jacques Mével
08/01/2009
Le Monde
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