***Une nette poussée d'inflation est en cours en Europe. Les prix à la consommation de la zone euro avaient progressé de 1,7 % sur un an en août, puis de 2,1 % en septembre ; voilà que l'institut Eurostat annonce le 15 novembre, une hausse de 2,6 % en octobre, bien au-delà des 2 % fixés par la Banque centrale européenne (BCE). L'ensemble de l'Union européenne connaît un taux de + 2,7 %, contre 2,2 % en septembre.
Quasiment aucun pays n'y échappe. Ainsi, l'éditorial du dernier bulletin de la Banque de France juge que "la situation s'est singulièrement dégradée en octobre en France" où la hausse des prix a atteint 2,1 %, tout comme en Grande-Bretagne.
L'Italie est à + 2,3 % et l'Allemagne à + 2,7 %. En un mois, l'Espagne - qui n'a jamais été un exemple de modération - saute de + 2,7 % à + 3,6 %.
Hors zone euro, l'évolution est comparable à l'image de la Pologne dont l'inflation passe en un mois de + 2,7 % à + 3,1 %. La Lettonie décroche le bonnet d'âne avec + 13,2 %. Seule la Bulgarie ralentit de + 11 % à + 10,6 %.
Par la voix du commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Joaquin Almunia, la Commission européenne avait raison, le 9 novembre, de se dire "plus préoccupée qu'il y a deux mois" par les dangers d'une telle accélération.
Il n'y a aucun doute sur les causes de cette poussée qui doivent être cherchées du côté des prix de l'énergie (+ 5,5 % en octobre) et des produits alimentaires (+ 3,8 %). Les prix de carburants ont progressé de 8,9 %, ceux du lait, du fromage et des oeufs de 7,6 %, ceux du pain et des céréales de 5,4 %.
Le fort renchérissement de ces produits de grande consommation explique "la très forte remontée des craintes inflationnistes des ménages sur les trois ou quatre derniers mois", soulignée par Bruno Cavalier, économiste chez Oddo Securities. Il éclaire le débat récent sur le pouvoir d'achat en France où le moral des ménages se dégrade fortement, tout comme en Allemagne.
Une autre explication du regain d'inflation repose sur l'épuisement progressif des effets bénéfiques de la mondialisation qui permettait d'importer des produits toujours moins chers. "Les prix des produits manufacturés importés sont désormais en hausse eux aussi, souligne Nicolas Bouzou, gérant du cabinet Asterès, car les pays émergents, notamment d'Europe orientale, sont contraints de répercuter sur leurs clients leurs fortes hausses des prix." Son taux d'inflation de + 6,5 % oblige la Chine elle-même à revoir à la hausse ses prix à l'exportation.
LES EFFETS DE "SECOND TOUR"
L'Europe se trouve-t-elle au début d'un processus alarmant ? Non, répond le panel d'experts européens consultés par la BCE tous les trimestres. Ceux-ci estiment que le ralentissement de la croissance mondiale, le coup de frein donné aux investissements par le crédit plus rare en raison de la crise des subprimes et la forte appréciation de l'euro conjugueront leurs effets sédatifs pour calmer les prix en 2008 et 2009.
Leur pronostic justifie l'analyse de Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, qui, à propos de la courbe de l'inflation européenne, parle d'une "bosse". A la hausse actuelle devrait donc succéder un ralentissement du taux d'inflation. Mais quand ?
"Le pic de l'inflation devrait être atteint en novembre à 2,7 % dans la zone euro, prédisent Sylvain Broyer et Cédric Thellier, économistes chez Natixis. Compte tenu des évolutions du prix du pétrole, il est peu probable que la décrue s'amorce avant le mois d'avril 2008." Même horizon pour Nicolas Bouzou : "Les pressions à la hausse continueront à se faire sentir pendant les six prochains mois", prédit-il.
Le risque porte, désormais, sur ce que les spécialistes appellent les phénomènes du "second tour". La perception d'une hausse des prix à la consommation commence à déclencher des demandes salariales, l'exemple le plus flagrant étant la grève des cheminots allemands pour obtenir une revalorisation de 30 % de leurs rémunérations.
La Banque de France observe également "une transmission plus rapide des hausses de coûts dans les prix de détail, la distribution n'ayant plus la capacité d'absorber une partie des hausses".
Cette situation à la fois dégradée à court terme et relativement rassurante à moyen terme place les banques centrales (BCE, Bank of England) devant un dilemme, et ce des deux côtés de l'Atlantique, car la Réserve fédérale américaine (Fed) est confrontée, elle aussi, à une inflation en accélération (+ 3,5 % en un an et + 0,1 % en un mois).
Doivent-elles remonter leurs taux pour calmer les tensions inflationnistes en rendant le crédit plus cher ? Ce durcissement pourrait aggraver le ralentissement économique en cours au niveau mondial.
Doivent-elles, comme elles le font depuis l'été, se contenter de laisser agir ce ralentissement dû notamment à une meilleure appréciation des risques par les investisseurs et le système bancaire ? Mais cette abstention pourrait les empêcher de contrer les effets de "second tour", faciliter la diffusion des hausses et les anticipations des acteurs économiques.
Ironie de la situation : c'est au moment où les statistiques donnent raison à leurs craintes d'un retour de l'inflation que les autorités monétaires se trouvent condamnées à l'immobilité car, dans ce contexte incertain, on voit mal la Fed continuer à abaisser ses taux et la BCE décider d'augmenter les siens d'ici à la fin de l'année.
Alain Faujas
Article paru dans l'édition du 17.11.07.
Le Monde
vendredi, novembre 16, 2007
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