***A un mois des élections, le ministre des Affaires étrangères regrette que ses anciens amis du PS réduisent la campagne à un vote sanction contre Nicolas Sarkozy.
C’est aujourd’hui la Journée de l’Europe, 59 ans après « la déclaration Schuman », considérée comme l’acte de naissance de l’Union européenne. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, a été député européen de 1994 à 1997.
Craignez-vous une forte abstention aux européennes du 7 juin ?
Bernard Kouchner. Les gens ne semblent pas passionnés, et c’est dommage.
Une Europe unie, une Europe qui marche et qui rassure, c’est un atout essentiel pour nous tous. Que se passerait-il s’il n’y avait plus l’Europe ? Le programme Erasmus concerne 1,8 million d’échanges d’étudiants. Veut-on y renoncer ? A-t-on envie de changer à nouveau notre argent dès qu’on franchit une frontière, de payer des droits de douane ? Evidemment non !
L’Europe s’est-elle montrée à la hauteur face à la crise économique ?
Oui. Avec cette crise, on s’aperçoit que l’Union européenne est une vraie protection. Que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu la zone euro, cet espace très puissant et protégé ? Il y aurait certainement eu des dévaluations. C’est l’UE qui a fourni des aides massives en faveur de certains pays en difficulté comme la Hongrie ou la Grèce. C’est elle qui a imposé le G20 : une mondialisation plus honnête, un nouveau système financier plus juste.
Ne faut-il pas une dose de protectionnisme pour l’emploi en Europe ?
Non, et les Vingt-sept sont unanimes sur ce sujet. En revanche, ce que Nicolas Sarkozy a proposé, c’est une taxe carbone, une taxe « pollution » sur les produits venant de pays qui ne respecteraient pas l’environnement. Il faut que tout le monde joue le jeu et acceptent de lutter avec nous contre le réchauffement climatique.
La crise risque-t-elle d’encourager les extrêmes ?
La détresse sociale est grande,moins grande en France que dans d’autres pays de l’Union. Elle prend chez nous des formes inquiétantes, les réactions sont plus vives ici. Certains veulent faire croire aux Français qu’il s’agit d’un problème national, alors que la tempête est internationale. En Allemagne, en Angleterre, tout le monde tire dans le même sens pour la surmonter alors que chez nous, l’exacerbation des tensions ne contribue pas à résoudre la crise. Celle-ci ne vient pas d’Europe, je le rappelle. L’Europe nous protège.
Pour quelle liste voterez-vous ?
J’attends de voir les programmes !
Que pensez-vous de l’appel au vote sanction lancé par le PS ?
Je pense surtout que l’Europe mérite mieux ! Je regrette deux choses chez mes amis de la gauche : qu’ils n’aient pas de réflexe d’unité nationale et qu’ils profitent de chaque occasion pour affirmer qu’avec eux ce serait obligatoirement mieux. C’est le jeu politique réduit à l’élémentaire, presque enfantin et cela me navre. De temps en temps, contre l’adversité qui nous frappe tous, il faut se réunir. Et lorsqu’on parle d’Europe sociale, il faut distinguer le soutien à l’emploi, les grands travaux proposés par la Commission et le soutien aux systèmes sociaux afin d’élever les autres à notre niveau de protection et non de rabaisser le nôtre.Nous le faisons en renforçant en Europe la protection des travailleurs intérimaires et celle des travailleurs dans les milieux difficiles. Et je travaille depuis longtemps sur l’Europe de la santé.
Avez-vous un autre regret ?
Qu’il n’y ait pas en France un socle commun sur l’Europe. J’ai été député européen : c’est un exercice et une aventure formidables ! Au Parlement européen, il n’y a pas ce clivage droite-gauche automatique. Les majorités se construisent sujet par sujet, de façon parfois très étonnante. C’est un exercice démocratique unique au monde.
Vous avez la nostalgie du PS de Delors ?
Je regrette les idées de Jacques Delors, qui étaient des idées de rassemblement quand il présidait la Commission européenne. Je regrette qu’il n’y ait pas d’unité nationale, de rêve commun, d’ambition commune.
Etes-vous toujours favorable à l’entrée de la Turquie dans l’UE ?
Je trouve pertinente la proposition du président de la République de bâtir une grande zone économique et de sécurité qui comprendrait, à des degrés divers, la Russie, la Turquie, l’Ukraine ou d’autres pays. J’ai toujours beaucoup d’intérêt pour la démarche de la Turquie vers l’Union européenne, un pont nécessaire entre l’Europe et le Moyen-Orient. Mais j’ai été choqué par les déclarations du Premier ministre turc sur la liberté de la presse. Je réfléchis.
Nicolas Sarkozy a-t-il raison de s’engager dans la campagne ?
Je n’ai pas vu dans son discours la moindre attaque contre la gauche. Le président a raison de lancer la campagne européenne. J’ai souvent rêvé d’un meeting unitaire où le président de la République et le chef de l’opposition seraient ensemble pour l’Europe, au moins en accord sur certains sujets, élevant le débat, rassurant les Français. L’enjeu en vaut la peine : avec 400 millions d’électeurs appelés à voter en même temps, l’Europe est la deuxième démocratie du monde, après l’Inde, mais devant l’Amérique ! Et nous comptons de plus en plus dans ce monde globalisé. Tout le monde regarde vers l’Europe.
Le Parisien
par Henri Vernet et Frédéric Gerschel
09.05.2009
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