***La Turquie ne veut pas devenir l'otage des échéances électorales en Europe. Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, est revenu, jeudi 14 mai, à Varsovie, sur les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy et d'Angela Merkel. Des propos "très regrettables", a-t-il déclaré. "Ne changez pas les règles à la mi-temps du match", a-t-il ajouté.
Dans un meeting commun, dimanche soir à Berlin, les dirigeants français et allemand ont plaidé en faveur de l'ouverture "dès maintenant" de négociations en vue d'un "partenariat privilégié" avec la Turquie. Un peu plus tôt à Nîmes, M. Sarkozy avait répété que l'Europe devait avoir des "frontières", et que la Turquie n'avait pas "vocation" à rejoindre l'Union européenne (UE).
En Turquie, ces prises de position "malheureuses" selon M. Erdogan, sont perçues comme dictées par des intérêts électoraux à court terme. Mardi, le président Abdullah Gül a vivement critiqué les propos de dirigeants "sans vision politique", après une rencontre avec son homologue portugais à Ankara. En pleine campagne pour les élections européennes, "la France et l'Allemagne s'accrochent à la bouée de sauvetage turque" pour détourner l'attention de la crise économique, estime Cengiz Aktar, directeur du département d'études européennes de l'université Bahçesehir d'Istanbul.
"COALITION"
De quoi irriter un peu plus une opinion turque déjà passablement lassée par cette opposition systématique. "Au moment où il est question d'un redémarrage des affaires européennes, cela met le gouvernement en difficulté vis-à-vis de l'opinion publique", estime M. Aktar. Au sein de l'UE et en Turquie, converge, selon lui, "une coalition des non-enthousiastes".
Entamées en 2005, les négociations sont déjà sérieusement ralenties. Dix chapitres sur trente-cinq ont été ouverts, un seul refermé. Sous la présidence tchèque, aucun chapitre ne devrait être débloqué : les volets "fiscalité" et "politique sociale" risquent de ne pas être prêts d'ici à la fin juin. Ils pourraient l'être au second semestre, pendant la présidence suédoise, l'un des plus fidèles soutiens de la Turquie, qui veut ouvrir au moins deux nouveaux chapitres.
Les relations entre Paris, Berlin et Ankara se sont tendues dans la foulée du sommet de l'OTAN, début avril, à Strasbourg. M. Sarkozy et Mme Merkel n'ont pas apprécié que la Turquie résiste, avant de céder sous pression américaine, à la nomination du Danois Anders Fogh Rasmussen à la tête de l'organisation. Ils ont aussitôt répliqué à Barack Obama lorsque celui-ci a apporté son soutien à l'adhésion turque. "Le climat actuel ne favorise pas les réformes, et rogne notre influence sur la classe dirigeante turque, car la perspective d'adhésion est de moins en moins crédible", regrette un diplomate d'un pays favorable à l'intégration turque dans l'UE.
Stockholm espère que les négociations en cours en vue d'une réunification de Chypre, dont la Turquie occupe la partie nord, pourront détendre l'atmosphère, en particulier au moment d'évaluer, fin 2009, la mise en oeuvre du "protocole d'Ankara". Signé en juillet 2005, ce document prévoit l'extension de l'union douanière en vigueur entre l'UE et la Turquie, aux nouveaux membres, dont Chypre, que la Turquie ne reconnaît toujours pas.
Pour contrebalancer l'opposition franco-allemande, le gouvernement turc multiplie les rencontres avec les dirigeants européens favorables à l'adhésion. Sur les 27, 22 sont plutôt en faveur de son entrée dans l'UE ou restent discrets, deux hésitent (le Danemark et les Pays-Bas). Deux sont ouvertement contre (France et Autriche), tandis que l'Allemagne est partagée. La chancelière et les chrétiens-démocrates plaident en faveur d'un partenariat privilégié, tandis que son rival pour les élections législatives de septembre, Frank-Walter Steinmeier, et les sociaux-démocrates, restent favorables à l'entrée de la Turquie dans l'UE.
La Pologne et le Portugal ont réaffirmé, ces derniers jours, leur soutien à "une adhésion pleine et entière de la Turquie". Tout comme l'Espagne, où se trouvait cette semaine Egemen Bagis, le ministre chargé des affaires européennes et négociateur en chef. Le nouveau ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, était, lui, en Suède. Il a rappelé jeudi l'objectif d'Ankara : "Devenir membre à part entière ou pas membre du tout." A ses côtés, le chef de la diplomatie suédoise, Carl Bildt, a assuré que le projet européen de la Turquie restait "une priorité stratégique de l'Union". Une manière de rejeter, à moins de deux mois du début de la présidence suédoise de l'Union, les appels franco-allemands en faveur d'"un partenariat privilégié".
Guillaume Perrier et Philippe Ricard
Le Monde
16.05.09.
vendredi, mai 15, 2009
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