***On lui aura reproché jusqu'à son départ. Stigmatisé pour son rôle dans le scandale des notes de frais des députés, Michael Martin, président de la Chambre des communes britannique, a annoncé mardi – de manière lapidaire – qu'il quitterait ses fonctions le 21 juin. "Afin que l'unité des Communes puisse être maintenue, j'ai décidé que je renoncerai au poste de speaker", a-t-il lancé à ses collègues dans un silence religieux, tranchant avec l'ambiance tendue de la veille.
Pas impliqué directement dans le scandale – qui a vu des parlementaires travaillistes et de l'opposition faire passer des dépenses personnelles comme notes de frais –, M. Martin a joué le rôle de victime expiatoire. En vain. "Même dans le rôle du bouc émissaire, Michael Martin se rate", tranche Anthony King, professeur de l'université d'Essex, dans une tribune au Daily Telegraph. "Contrairement au bouc émissaire de la Bible, il n'a pas endossé 'toutes les transgressions des enfants des enfants d'Israël'. Les transgresseurs restent présents, en retrait, avec leurs péchés."
Car M. Martin est bien un bouc émissaire. L'ensemble de la presse d'outre-Manche s'accorde à le reconnaître. "Le bureau du speaker est censé symboliser l'intégrité parlementaire, la probité et la loyauté à travers les siècles", estime The Irish Times, qui constate que l'occupant du poste n'avait d'autre choix que de s'effacer. Pour le Times, M. Martin est plus encore qu'un bouc émissaire : il est l'homme qui incarne "des années, des décennies de désillusion croissante vis-à-vis de la politique". L'affaire des notes de frais est le signe d'un malaise bien plus profond que le seul scandale financier qui agite le royaume, estime le quotidien conservateur : "Bien sûr, il y a de la colère de voir qu'Untel s'est sauvé en volant un grille-pain, mais la férocité de la réaction vient d'abord d'une frustration longtemps réfrénée, d'un sentiment que la politique de ce pays est en miettes et que personne ne s'en préoccupe."
"VERY BRITISH REVOLUTION"
Le constat est largement partagé. Cela posé, What next ?, s'interrogent les journaux britanniques. Il y a d'abord les réponses à court terme : la carrière de Michael Martin, qui devrait, selon le Guardian, éviter le triste sort de nombre de ses prédecesseurs et échapper à la décapitation ; la course à sa succession, qui met en scène une petite dizaine de protagonistes ; les appels à des élections anticipées, relayés par le Sun et qui, comme par miracle, laveraient plus blanc que blanc tout le linge sale déballé (le tabloïd a déjà lancé une pétition).
Quant à l'avenir du parlementarisme britannique, il s'annonce sombre, à lire les analystes. Pour le Daily Telegraph, le départ du "catastrophique" Michael Martin marque une "very British revolution" : le système parlementaire "qui fit jadis envie au monde entier" est "en train de pourrir".
Le Royaume-Uni va donc devoir négocier un tournant délicat de son histoire politique. A l'image de The Independent, qui titre "Un jour noir pour le Parlement, une nouvelle aube pour la démocratie ?", les Britanniques attendent maintenant une nouvelle ère. D'abord, estime un éditorialiste du journal, "ce Parlement a besoin de plus qu'une réforme cosmétique" : il serait dans l'intérêt des deux grands partis – conservateur et travailliste – de se débarrasser des fautifs, sous peine de se faire "massacrer" par les électeurs. Mais l'enjeu pourrait être bien plus grand que de simples échéances électorales : pour The Independent, "les événements de ces deux dernières semaines auront des répercussions à travers les siècles".
Benoît Vitkine
LE MONDE
20.05.09 |
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