mercredi, mai 09, 2007
*COLBERTISME : Non, Sarkozy n'est pas un libéral !*
*** Parce que son modèle économique est en contradiction avec le libéralisme européen, il faut s'attendre à des conflits entre la France et l'Union européenne, estime un éditorialiste du Financial Times.
Que signifie l'élection de Nicolas Sarkozy pour la France, l'Union européenne et le monde ? Aurons-nous une France européenne, une Europe française ou une France contre l'Europe ? Les trois cas de figure sont possibles. Seul le premier serait souhaitable. L'issue dépendra de la véritable identité de M. Sarkozy. Se révélera-t-il un adepte du libéralisme économique ou de l'interventionnisme populiste ? Probablement un mélange des deux. Si c'est le cas, nous risquons fort de voir se réaliser la dernière possibilité : une France contre l'Europe.
Les Français sont d'accord sur peu de choses. Mais il y en a une sur laquelle ils approchent du consensus national : l'économie de marché et le libre-échange font partie d'un complot diabolique des Anglo-Saxons. D'instinct et par opportunisme politique, M. Sarkozy va vers le mercantilisme colbertien. La politique de Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV entre 1647 et 1669, reposait sur trois piliers : l'élimination des barrières commerciales intérieures, la protection contre la concurrence étrangère et la promotion de l'industrie nationale. Si à ce mercantilisme colbertien on ajoute la soif de pouvoir dans un pays où les traditions populiste et bonapartiste sont étroitement mêlées, on obtient un Nicolas Sarkozy.
La France a besoin de réformes internes. C'est encore un pays riche, avec d'excellents services publics et un mode de vie enviable. Mais, depuis le début des années 1990, son PIB par habitant est en recul par rapport à celui de la Grande-Bretagne ou des Etats-Unis, tout comme sa productivité horaire, même si cette dernière reste très élevée. Et son taux de chômage est aujourd'hui supérieur à celui de tous les autres grands pays d'Europe occidentale.
Les arguments en faveur de la libéralisation, en matière notamment de marché du travail et de politique fiscale, et en faveur de la réforme, en particulier celle du secteur public, sont écrasants. Mais, en s'engageant dans cette voie, M. Sarkozy va provoquer des groupes d'intérêt bien organisés, avant tout ceux qui ont des emplois sûrs et ceux qui espèrent en décrocher. En France, la rue a souvent eu raison de l'Etat tout-puissant. L'histoire pourrait bien se répéter.
Lorsqu'un gouvernement subit une pression interne, il cherche un ennemi extérieur pour rassembler le pays. La France a le choix des candidats à ce rôle : il y a la Commission européenne, la Banque centrale européenne, les Anglo-Saxons fanatiques de l'économie de marché, les Asiatiques adeptes du "dumping social" et les étrangers désespérés qui veulent immigrer. M. Sarkozy les a déjà tous auditionnés pendant sa campagne pour jouer ce rôle.
L'intégration économique européenne, pour d'excellentes raisons, se fonde sur l'égalité des chances pour tous, et l'union monétaire sur l'indépendance de la Banque centrale et un contrôle strict de l'inflation. L'Union européenne est également liée par des accords internationaux qui garantissent aux producteurs étrangers un libre accès au marché européen et un traitement national pour ses propres producteurs.
Alors, comment la France "relancée" de M. Sarkozy va-t-elle s'insérer dans ce tableau ? Une possibilité - la plus souhaitable - serait qu'elle devienne ce que j'ai appelé une France européenne. Elle devrait reconnaître, en résumé, que "l'exception française" n'est pas compatible avec les principes d'égalité entre les membres de l'Union européenne.
Mais ce que M. Sarkozy a dit pendant sa campagne laisse fortement penser qu'il n'accepte pas cette idée, et même qu'il ne la comprend pas. Il veut plutôt une Europe française, une Europe où son approche dirigiste s'appliquerait au niveau continental, c'est-à-dire une Banque centrale européenne sous contrôle politique, une politique industrielle européenne et une préférence européenne, sous-entendu une protection accrue contre ces éléments pernicieux que sont les étrangers.
Pourtant, ce rêve d'une Europe française est impossible à réaliser, et peut-être plus encore aujourd'hui que par le passé. Si M. Sarkozy refuse d'avoir une France européenne et ne peut pas obtenir une Europe française, ce qui nous attend est donc un conflit entre la France et l'Europe.
Bien entendu, cette issue peut être évitée. Sous le gouvernement de M. Sarkozy, l'économie française pourrait retrouver son élan, la France pourrait regagner sa confiance en elle, et les Français pourraient même accepter la mondialisation économique. Le pays pourrait alors se réconcilier avec une Union européenne axée sur l'économie. Il faut croire aux miracles.
Mais il y a peu de chances que cela se termine aussi bien. Dans le passé, M. Sarkozy a déjà fâché beaucoup de partenaires de son pays. Il est très facile de l'imaginer faire du conflit son futur mode de vie. Si c'est le cas, les relations entre la France et le reste de l'Europe dans les années à venir risquent d'être agitées, et peut-être même pires que cela.
Martin Wolf
Financial Times
Courrier International
9 mai 2007
* Photo : Jean-Baptiste Colbert (1619-1683)
DR
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