dimanche, avril 18, 2010
*CE QUE VOS VRAIS AMIS ONT À VOUS DIRE, MONSIEUR LE PRÉSIDENT...*
***CE QUE VOS VRAIS AMIS ONT À VOUS DIRE, MONSIEUR LE PRÉSIDENT
par Jacques ROUGEOT, professeur émérite à la Sorbonne
*Voilà un titre qui ne présage rien de très bon, rien, en tout cas, de suave et d’apaisant. Quand on prend soin de se ranger parmi les «vrais» amis, c’est qu’on s’apprête à ne pas faire grand usage du baume qui adoucit les plaies, mais plutôt à présenter de la réalité un tableau qui n’en atténue pas les aspérités. Et en effet, tel est bien l’objet de ces quelques propos.
A QUOI RECONNAÎT-ON DE VRAIS AMIS ?
Pour autant, ce titre n’est pas une expression rhétorique et plus ou moins hypocrite destinée à couvrir une critique en règle de l’action que vous avez menée ou inspirée. C’est bien en tant qu’amis sincères, attachés à la réussite de votre présidence, que nous avons le droit, et même le devoir, de nous adresser à vous en toute liberté. Nous devons donc répondre à cette question préalable : à quoi reconnaît-on de vrais amis ?
De vrais amis, ce sont d’abord des amis loyaux. Le moins qu’on puisse dire, c’est que, dans toutes nos prises de position, nous annonçons clairement la couleur. Il suffit donc de reprendre toutes nos publications et nos campagnes d’affichage : on ne peut que souhaiter bonne chance à ceux qui voudraient y chercher quelques traces de malveillance.
De vrais amis, ce sont aussi des amis désintéressés. A vrai dire, nous poussons peut-être un peu loin le souci de la pureté dans ce domaine. A force de ne pas rechercher des avantages de boutique ou de personnes, nous sommes sans doute absents des cercles où se distribuent ces avantages. Il est vrai que ceux qui en font partie ne mettent pas d’empressement particulier à nous y faire place ni, sans doute, à y faire valoir nos mérites et nos actions.
De vrais amis, ce sont également des amis lucides. Il y a quelques mois encore, presque tous les commentateurs et autres experts prévoyaient pour vous-même et pour votre majorité un avenir électoral serein, voire brillant. Surtout après le congrès de Reims, le Parti socialiste était présenté comme moribond et hors compétition pour un avenir indéterminé. Nous avons été à peu près les seuls à sonner l’alarme et à annoncer le grave danger électoral représenté par la gauche, même à court terme. Il ne fait pas bon être le messager de mauvaises nouvelles, même et surtout si elles sont fondées. On ne nous a pas tout à fait coupé la tête, comme faisaient les anciens rois de Perse, mais on ne nous a vraiment pas su gré de nos avertissements. On serait bien inspiré d’en tenir compte à l’avenir.
De vrais amis, ce sont enfin des amis utiles. L’histoire a souvent montré que l’homme d’Etat n’était pas forcément tenu à la reconnaissance. Au moins doit-il utiliser au mieux les forces et les compétences qu’il peut avoir à sa disposition. Nous détenons, pour notre part, un avantage que ne peut pas avoir la classe politique, et qu’elle a de moins en moins à mesure qu’on monte dans la hiérarchie, c’est que nous sommes en symbiose avec une certaine France des réalités, celle de vos électeurs potentiels qui se sont transformés en abstentionnistes de fait, celle qu’il ne faut pas appréhender par l’intermédiaire des sondages, mais dont il faut sentir presque instinctivement les réactions et les aspirations.
Nous n’avons certes pas la prétention de représenter toute la population. Par exemple, nous n’avons pas d’affinités particulières avec les «bobos». Mais, dans la tradition gaulliste, notre terrain, ce sont les usagers du métro à six heures du soir et leurs équivalents en province, à quoi s’ajoutent les automobilistes exaspérés d’être dénoncés par les écolo-fanatiques comme les empoisonneurs de notre vie quotidienne, tout en étant traités par les gouvernements comme des vaches à lait et appelés au secours lorsque l’industrie automobile périclite. En somme, ceux que nous touchons ce sont les forces vives du pays, anonymes certes, souvent silencieuses et dédaignées par les médias bien pensants, mais qui ne sont pas amorphes et qui le montrent au moment des élections.
ÉLÉCTIONS RÉGIONALES :
D’ABORD, SOYONS LUCIDES
Ne nous attardons pas trop sur l’interprétation des résultats des dernières élections régionales. La déroute de la majorité qui détient à présent le pouvoir central fait partie des évidences reconnues, souvent avec un malin plaisir, par tous les commentateurs. Pourquoi faut-il donc que les vaincus aient d’abord nié cette évidence en tirant argument de l’importance de l’abstention pour dire que la grande perdante était la Démocratie (avec un D majuscule, évidemment) et que, par conséquent, tout le monde était dans le même bain, si bien qu’il n’y avait pas de vainqueur et que la gauche devait prendre sa part de la défaite globale ? On a même entendu dire que les grands responsables et coupables de cette situation étaient les présidents de conseils régionaux socialistes. Soyons réalistes, et même cyniques : si la droite détenait le pouvoir médiatique, elle pourrait être tentée de pratiquer la méthode Coué en imposant à l’opinion une interprétation avantageuse de l’événement. Mais comme il n’en est rien, elle s’exposait forcément à battre en retraite sous les ricanements goguenards de ses adversaires et des médias.
Quand on ne nie pas la défaite, on tente d’en relativiser la portée en minimisant l’enjeu. Les institutions régionales, dit-on, n’ont que peu de pouvoirs réels. Elles sont condamnées à s’engluer dans la gestion ingrate de problèmes matériels quotidiens en disposant de fort peu de ressources financières. C’est en partie vrai et l’on pourrait garder l’esprit léger si le pouvoir régional n’était qu’un os donné à ronger à la gauche tandis que la droite se gobergerait avec les bons morceaux du festin. La réalité est bien différente. En fait, la gauche détient la quasi totalité des pouvoirs locaux, des communes aux régions en passant par les départements. L’accumulation de tous ces pouvoirs partiels finit par composer un pouvoir global qui pèse de plus en plus lourd. Qui plus est, les conséquences sur le pouvoir national se feront sentir dans les élections sénatoriales, qui sont la résultante de tous les pouvoirs locaux, si bien que la majorité au Sénat passera inéluctablement à gauche, sans doute dès 2011. Seules surnagent donc dans cet océan rose la présidence de la République et l’Assemblée nationale : pouvoirs essentiels, certes, mais déjà entravés et toujours à la merci d’un coup de dés électoral et même ex posés à tomber comme des fruits mûrs dans le panier de la gauche.
Et vous-même, Monsieur le Président, avez-vous été atteint par cette défaite de votre majorité ? La réponse est oui, sans aucun doute. Il suffit d’être à l’écoute des conversa tions particulières et de consulter les sondages pour être édifié. C’est la conséquence logique de la conception que vous avez de l’exercice de votre fonction. Vous vous êtes toujours exposé en première ligne, dédaignant tous para vents et autres fusibles. Vous n’avez d’ailleurs pas cherché de boucs émissaires pour leur faire porter la responsabilité de la défaite électorale. C’est non seulement une attitude de dignité, mais une conduite réaliste, car vous auriez tout perdu à paraître vous retirer du jeu au moment où celui-ci devient dangereux.
UNE DÉFAITE SANS DOUTE TROP CUISANTE MAIS NON SANS CAUSES
Même si vous ne l’avez pas dit - et vous avez eu raison de ne pas le dire - , vous avez sans doute le sentiment d’une certaine injustice et vous en éprouvez quelque amertume. En essayant de se détacher de tout parti pris, on peut dire que, objectivement, vous avez raison. Vous avez engagé maintes réformes qui vont dans le bon sens. Sur la scène inter nationale, vous avez agi avec un brio et une efficacité remarquables, entre autres dans le conflit russo-géorgien et dans les initiatives prises pour parer au plus pressé lors de la révélation de la crise financière dont nous ne sommes pas encore sortis. Grâce à votre sens de la manœuvre et à votre rapidité d’exécution dans la tradition napoléonienne, vous avez permis à la France de prendre la tête de la colonne des nations et de déclencher le mouvement de réaction. On sait malheureusement que, en France comme ailleurs, les actions internationales les plus brillantes ne rapportent que très peu de bénéfices électoraux. Dans l’ensemble, vous pouvez donc faire état d’un bilan positif, en tout cas beaucoup plus favorable qu’eût été celui d’une gestion socialiste. Combien de Français, même parmi ceux qui n’avaient pas voté pour vous, étaient parcourus de sueurs froides, au moment crucial de la crise, à la pensée que les rênes de l’Etat eus sent pu être tenues par votre concurrente à l’élection présidentielle !
Et pourtant, vous avez été victime d’un vote sanction allant, chez certains électeurs, jusqu’à une volonté de punition. Cette mésaventure, à la fois rude et paradoxale, mérite qu’on en recherche les causes.
Ce qui, d’une manière générale, ne vous permet pas d’engranger les bénéfices de vos réformes, c’est la distance qui existe entre les attentes, qui étaient puissantes et qui vous ont porté à la victoire, et les réalisations, qui paraissent bien insuffisantes. Que cette distance vienne d’un manque d’efficacité dans l’action ou, tout simplement, de la terrible force d’inertie que la réalité quotidienne oppose aux plans les plus ambitieux, la déception est là. Ne prenons que deux exemples, d’inégale importance. Nombreux étaient ceux qui attendaient l’instauration, par voie législative, d’un véritable service minimum dans les transports : ils doivent se contenter d’un simple aménagement de la situation antérieure. La création d’un ministère chargé de l’identité nationale avait fait espérer que cette notion se rait un principe d’inspiration essentiel pour diverses actions politiques, en particulier en matière d’immigration. Or, on n’a eu droit qu’à un débat confus, sommairement organisé, vite refermé et sans doute enterré. On a souvent l’impression que les initiatives les plus hardies et les plus salutaires sont conduites jusqu’au milieu du gué seulement, ce qui renforce les aspirations et les attentes des électeurs sans les satisfaire et engendre une sensation de frustration.
Pour remporter une victoire électorale, il faut remplir certaines conditions techniques, presque mécaniques. Il faut d’abord disposer d’un bon outil. L’outil de la majorité présidentielle, c’est l’UMP. Il s’est manifestement révélé défaillant. Défaillant d’abord dans sa conception. Un outil doit être adapté à une certaine fonction, à une certaine tâche. Celui-ci, comme l’indique son nom initial (Union pour une majorité présidentielle devenue ensuite seulement Union pour un mouvement popu laire) s’est montré utile pour servir de tremplin dans cette compétition personnalisée à l’extrême qu’est un scrutin présidentiel entraînant dans son sillage des élections législatives. Dans des élections à deux tours, aux contours fuyants, aux aspects multiples, presque kaléidoscopiques, il est quasiment suicidaire d’engager toutes ses for ces dans une seule structure, théoriquement unitaire et en réalité souvent hétéroclite et factice, sans disposer de réserves et de relais pour le second tour. Cette remarque a été souvent faite, mais elle n’en est pas moins juste et fondée sur le bon sens. On comptait sur une mystérieuse dynamique pour servir de force d’entraînement à l’issue du premier tour. Mais pour entraîner qui, alors que, par défini tion, on a déjà fait le plein ? Si dynamique il y a, c’est celle, tradi tionnelle, qui consiste à per mettre aux électeurs d’abord de s’exprimer, voire de se défouler, puis de se rassembler, fût-ce en se résignant au moindre mal. C’est le jeu qui se jouait habituellement entre un parti de type RPR et un centre droit de type UDF. L’absorption mal réussie d’une partie de cette force dans l’UMP et la rupture avec la droite d’une autre partie pour servir la folle ambition de ce personnage hautement nuisible qu’est François Bayrou ont rendu ce jeu impraticable.
Quels que soient les défauts de conception de l’instrument UMP, celui-ci aurait pu en partie les atténuer ou les compenser s’il avait fonctionné comme une belle mécanique électorale capable de mobiliser et de galvaniser son potentiel humain. Force est de constater que, cette fois-ci, il n’en a rien été et que, au contraire, la démobilisation, le découragement et même la contestation interne ont atteint des proportions inquiétantes.
En face, il y a quelques mois encore, la gauche dans son ensemble était censée être éclatée et le PS en particulier moribond. On le voyait même disparaître en tant que tel de la scène politique. Vieille chanson, vieille illusion qu’on avait déjà connues, par exemple, en 1993, voire en 2002. Aujourd’hui, les optimistes béats d’hier sont saisis par la panique et s’affolent comme des volailles sur une route de campagne voyant arriver sur elles une voiture prête à les écraser. Ce changement de situation n’était pourtant pas imprévisible. Le titre du numéro de décembre 2008 de Vigilance et Action était très explicite : «Malgré le psychodrame du congrès socialiste, la gauche regonflée et offensive». Nous précisions aussi que la droite n’avait «vraiment pas un boulevard électoral devant elle» et que la gauche avait « un champ de manœuvre qui, si elle jouait bien, pouvait lui permettre de marquer des points importants, voire de remporter des succès décisifs ».
Erreur d’analyse, donc, à propos de la gauche, erreur d’analyse aussi à propos du vote écologique. L’événement décisif se situe l’an dernier, à l’occasion des élections euro péennes. La surprise, c’est le succès des listes écologiques qui, avec 16 % des suffrages, accèdent tout d’un coup à un statut fort enviable dans la vie politique française. Aussitôt, celle-ci prend un cours nouveau. Il semble que la France entière se soit convertie à l’écologisme. Chacun se proclame plus écologiste que son adversaire. Nous sommes à l’aube d’une civilisation nouvelle, éclairée par une religion unanimiste à laquelle il faut faire allégeance en sacrifiant tout au bien de la planète et surtout pour conjurer le nouveau dé luge annoncé par les prophètes du GIEC et provoqué par notre coupable incurie.
La droite, il faut bien l’avouer, n’est pas en reste et se lance dans le mouvement avec l’ardeur des néophytes. Bien entendu, si purs que soient les cœurs et si sincères les proclamations, les calculs électoraux ne sont jamais bien loin. Celui-ci semble assez clair et d’une simplicité biblique : puisqu’il existe de gros bataillons d’électeurs verts, tâchons de les capter. Si nous leur montrons que nous sommes les meilleurs défenseurs de leurs idées, ils voteront tout naturellement pour nous. Ce raisonnement repose sur une vision idyllique des électeurs verts, considérés comme de nouveaux bergers d’Arcadie politiquement vierges et disponibles. Dès le début, nous avons estimé que l’électorat écologiste était une va riante actuelle d’une gauche indistincte qui avait trouvé là un point de fixation au moins provisoire. C’est ce que nous écrivions dans le numéro de Vigilance et Action de juin 2009 : «Les électeurs dotés de ce qu’on pour rait appeler un tempérament de gauche se sont donc tournés vers cette nébuleuse qu’est l’écologie. […] Les électeurs écologistes ne sont donc ni les pionniers prophétiques du monde de de main ni un réservoir de ralliés potentiels à la majorité présidentielle. Ce sont seulement des gens de gauche déboussolés attirés par un nuage idéologique flottant dans l’air du temps».
Les dernières élections régionales ont bien confirmé cette interprétation, puisque le parti de M. Cohn-Bendit et de Mme Duflot ont passé alliance avec la gauche, toute la gauche et seulement la gauche. Dire que l’écologie n’est ni à droite, ni à gauche est une affirmation purement fictive qui ne tient pas compte des réalités de la vie politique française.
Arrivons enfin, pour expliquer notre dé faite, au dernier type d’erreur, qui met en cause les rapports du pouvoir et de ses électeurs. Nous en venons fatalement à parler d’un sujet qui doit vous irriter au plus haut point, Monsieur le Président, mais qu’on ne saurait éluder, c’est celui de l’ouverture. Nous comprenons fort bien que votre politique d’ouverture répond à des mobiles louables : il s’agit pour vous, président de tous les Français, de faire appel à tous les talents, quelle que soit leur origine politique, et de montrer ostensiblement que nous sommes une société de conciliation et non d’affrontement.
Mais le message que vous voulez ainsi envoyer n’est pas reçu par de purs esprits évoluant dans un monde abstrait. Il est reçu par des Français qui sont aussi des électeurs, dont certains peuvent voter pour vous et vos amis, et d’autres non. Vous êtes un président, pièce maîtresse d’un système électif dont vous ne sauriez éluder les règles, écrites ou non écrites. Vos électeurs potentiels sont prêts à donner leur adhésion et leurs suffrages à un homme, à condition qu’ils se sentent compris et appréciés par lui, on pourrait dire en symbiose avec lui. Or, à travers certaines de vos nominations, nombre de vos électeurs se sentent déconsidérés, comme s’ils apparte naient à une catégorie de Français de seconde zone, dépourvue de talents éminents. Ils ont compris (du moins certains d’entre eux) vos premiers gestes d’ouverture, considérant qu’ils comportaient une bonne part de tactique destinée à semer la perturbation dans le camp d’en face, ce qui s’est en effet produit. Mais la tactique est par essence ponctuelle et évolutive. Elle ne saurait se prolonger indéfiniment pour tenir lieu de stratégie, et encore moins se figer en doctrine de gouvernement. Nombre de vos électeurs sont bien persuadés d’assister à une telle dérive. A cet égard, vos deux nominations, au Conseil constitutionnel et à la présidence de la Cour des comptes, intervenant quelques jours avant les élections, ont été totalement incomprises et même perçues comme des banderilles supplémentaires plantées délibérément dans la chair d’un animal politique déjà sensibilisé par bien des meurtrissures. Vous pouvez considérer ces ré actions comme frustes, mais vous ne sauriez ni les ignorer, ni les changer, et encore moins les abolir. Le sentiment et la sensibilité sont des mobiles plus déterminants pour l’action humaine que la raison impassible ou même que l’intérêt.
Evoquons enfin un domaine où la raison, la passion et l’arithmétique électorale entre tiennent des relations compliquées, c’est celui de l’identité nationale, en rapport avec l’immigration et la sécurité. Vous avez tenu, pendant la campagne présidentielle, des propos qui ont fait espérer à beaucoup de Français un infléchissement et un affermissement de la politique menée dans ce domaine. Cet espoir s’est manifesté spectaculairement par le ralliement à votre candidature de nombreux électeurs traditionnels du Front national. Mais il faut bien avouer que l’action n’a pas été à la hauteur de l’énergie des paroles. Rétrospectivement, les propos de campagne ont paru avoir une visée principalement électoraliste et les ralliés provisoires se sont sentis bernés. Lors du dernier scrutin, ils se sont abstenus ou sont revenus sous leur ancien drapeau et il sera bien difficile de les attirer de nouveau.
Voilà, Monsieur le Président, quelques rai sons qui, nous semble-t-il, expliquent pour l’essentiel les mauvais résultats des élections régionales. C’est bien l’abstention qui est le fait marquant de se scrutin. Encore faut-il ajouter que, si elle a été déterminante, c’est qu’elle a frappé surtout notre camp. Elle est un signal d’alarme qui révèle le profond désenchantement et la spectaculaire démobilisation des électeurs de droite. Après le diagnostic et au-delà des gémissements, la question qui se pose est simple : comment, d’ici deux ans, remobiliser ceux qui se sont éloignés ?
IL FAUT TIRER LA LEÇON DES FAITS
Comme toujours, les leçons qu’on peut tirer des faits sont celles qu’inspire le bon sens adaptées aux circonstances présentes.
Il est d’abord très utile de voir ce qu’il ne faut pas faire. On dit qu’il y a un divorce entre la classe politique et le peuple. Et en effet, ce qui produit un effet profondément répulsif, c’est tout ce qui présente un caractère visiblement électoraliste, péjorativement politi cien, toutes ces astuces, tous ces « trucs » techniques qui sont censés produire des victoi res comme une machine bien réglée produit des objets calibrés. Un sociologue subtil et de bon sens (il en existe), qui s’appelait Jules Monnerot, avait judicieusement remarqué que les mesures de ce genre se retournaient sou vent, par une malice du destin, contre les objectifs qu’elles visaient. Il désignait ce phénomène par le beau nom d’hétérotélie. Plus prosaïquement, on se prend souvent les pieds dans les ficelles qu’on a tendues. Ainsi, en 2002, les socialistes avaient interverti l’élection présidentielle et les législatives en estimant qu’il leur serait plus facile de tuer Jacques Chirac d’abord et de remporter dans la foulée les législatives. C’est précisément cette interversion qui a provoqué la catastrophe absolue de l’élimination de Jospin au premier tour.
On peut ranger dans la même catégorie les idées géniales qui circulent aujourd’hui, vi sant à modifier les règles électorales : scrutin majoritaire à un tour ou maintien de deux candidats seulement au second tour dans un système à deux tours. La première solution suppose que l’UMP monolithique arriverait for cément en tête devant une gauche morcelée. Le calcul est puéril car chacun des deux postulats peut être démenti à tout moment : une UMP en baisse de régime, une gauche regroupée selon les besoins tactiques. Les élections régionales ont déjà donné un avant-goût de ces fluctuations. Quant à la deuxième solution, elle favorise la bipolarisation, mais rien ne dit que ce serait au profit de l’UMP.
Cette deuxième solution, d’ailleurs, pose une question plus substantielle. Elle est évidemment destinée, en fait, à éliminer le Front national qui, en général, ne pourrait pas se maintenir au deuxième tour. Mais c’est traiter le problème de la façon la plus réductrice. C’est casser le thermomètre pour éviter de voir qu’on a de la fièvre. Priver de représentation le Front national (ou toute autre formation) est à la fois malvenu et vain. Le vote FN est un indice de la température politique. La vraie solution consiste à prendre en compte les préoccupations et les inquiétudes des électeurs, dont certaines sont loin d’être déraisonnables, et de les intégrer à une politique d’ensemble viable. L’expérience de 2007 a montré qu’amener à nous des électeurs traditionnellement FN était réalisable. L’expérience de 2007-2010 montre qu’il faut que les actes suivent les paroles pour garder les voix qu’on a pré alablement gagnées.
Donc, pour gagner, pas de manœuvres subalternes. Mais il ne faut pas non plus se laisser aller à l’illusion, inspirée par un angélisme simpliste ou plutôt par un machiavélisme naïf, selon laquelle on doit s’efforcer de séduire ses adversaires, ses amis étant supposés acquis. Ce prurit typique de la classe poli tique de droite a si souvent exercé ses ravages et si constamment conduit à la défaite qu’on a scrupule à en parler une fois de plus. Mais ce qui devrait aller sans dire va encore mieux quand on le répète.
D’une façon générale, il faut fuir ce qui est léger, changeant, fragile, fugace pour s’appuyer sur ce qui est solide et constant, et même sur ce qui résiste. Ces Français qu’il faut comprendre en profondeur et tâcher de satisfaire, on ne les trouve pas à travers les médias. Ils sont l’âme et le moteur de la nation et le foyer vivace de la droite. Ils travaillent, mais ne sont pas les matérialistes égoïstes que l’on veut caricaturer. Ils n’ont peut-être pas toujours la France à la bouche, mais ils l’ont au cœur. Ce sont eux qui ont vibré aux accents de votre campagne présidentielle. Ce sont eux qui vous ont élu.
Et en effet, contrairement à ce que croient les politiciens à courte vue, les cyniques bas de gamme, les calculateurs myopes, les ma quignons du champ de foire électoral, vous n’avez pas à choisir entre l’intérêt électoral et l’intérêt du pays. Il n’y a pas d’un côté les entrepreneurs, les producteurs, les travailleurs et de l’autre les amoureux de la grandeur française. Ce sont les mêmes. Ce sont eux qu’il faut convaincre, c’est sur eux qu’il faut vous appuyer, non seulement parce qu’ils sont les meilleurs, mais parce que, Dieu merci, ils sont la majorité.
MILITANTS ET COMMUNICANTS
Après toutes ces généralités, nous souhaitons, Monsieur le Président, apporter notre contribution personnalisée au combat commun.
Pour l’emporter dans les prochains scrutins, nous sommes incapables de vous fournir des procédés magiques, des ruses à multiples détentes, des recettes infaillibles, car nous savons que tout cela se résout toujours en poudre de perlimpinpin. Et puis, pour le cas où, saisi par un désespoir qu’on espère passager, vous seriez en quête de ces produits, vous ne manqueriez pas de fournisseurs empressés.
En revanche, ce que nous pouvons vous proposer, c’est le recours à une force qui, à défaut d’être une panacée, a fait la preuve de son efficacité. Nous pouvons même vous la garantir en nous fondant non seulement sur des exemples généraux, mais surtout sur notre expérience propre. C’est même devenu pour nous une spécialité qui, si la raréfaction en cours du produit s’aggrave encore à l‘UMP, pourrait aller jusqu’à un quasi monopole. Cette force efficace, mais aujourd’hui dédaignée et inemployée, ce sont les militants.
Les militants, vous les connaissez, et pour cause : vous l’avez été, mais c’est pour beaucoup, surtout à droite, une sorte de gros mot qui désigne une race un peu mystérieuse, presque inquiétante, qu’il faut apaiser, voire neutraliser. En fait, ce sont des Français qui ont les mêmes opinions que beaucoup de Français, mais plus affirmées, et qui sont plus engagés dans leurs convictions. Il est vrai qu’ils peuvent être quelque peu rugueux, aussi rugueux lorsqu’ils sont déçus qu’ils sont dé voués lorsqu’on sait toucher leur cœur et les mobiliser au service d’une cause grande et forte : la France. Tant qu’on sait conserver leur confiance, on peut totalement compter sur eux.
Par opposition avec cette peuplade un peu farouche, les communicants se présentent comme une société beaucoup plus avenante. A la fois gourous infaillibles et ronronneurs séduisants, ils possèdent un art merveilleux pour croquer et escroquer la pécune des partis politiques, qui pleurent misère auprès de leurs sympathisants et de leurs adhérents, mais qui débloquent des sommes inconcevables pour rémunérer des prestations insignifiantes. Si bien que, par un paradoxe assez amer, ces parasites sont nourris en partie par les militants qu’ils s’appliquent assidument à faire disparaître en tant que tels.
Pourtant, lorsqu’on repose les pieds sur terre et qu’on fait le bilan objectif de la comparaison entre les deux rivaux, la balance penche nettement en faveur des militants. Les communicants vendent fort cher à n’importe qui, avec indifférence, des produits stéréotypés au contenu aseptisé qui se neutralisent les uns les autres. Ce qui fait l’efficacité in comparable des militants, c’est que, grâce à la force de conviction de leur engagement, ce sont des multiplicateurs d’influence. Un militant n’apporte pas seulement sa propre voix, il en entraîne d’autres qui, à leur tour, prolongent le mouvement. Des sections militantes bien formées sont même capables, et seules capables, de créer cette fameuse dynamique à laquelle tout le monde aspire, mais qui se dérobe.
* * * *
La mythologie antique aime à représenter Hercule ayant à choisir entre les chemins du vice et de la vertu. Cette allégorie s’applique très bien aux choix politiques. Sur l’un de ces chemins, vous êtes convié par des êtres aux échines arrondies et au sourire charmeur. Ce sont les communicants, que leur rémunération met en bonne humeur, et les courtisans, qui récitent leurs flagorneries tout en s’assurant qu’ils ont bien leur poignard dissimulé sous leur veste, au cas où… Tous vous promettent un chemin facile en pente douce, en oubliant de préciser qu’il conduit au précipice. Au départ de l’autre chemin, vous voyez des nuques raides et des visages soucieux. Ce sont les militants et les vrais amis. Ils vous disent que le parcours est ardu et qu’il a de bonnes chances de conduire à la victoire, sans toutefois vous garantir le résultat.
Nous savons quel chemin vous choisirez. Vous savez sur quel chemin nous rencontrer.
*Lire la suite de l'analyse de Jacques Rougeot :
http://www.lemil.org/documents/va/2010/va2010_251.pdf
JACQUES ROUGEOT
"Mouvement Initiative & Liberté (MIL)"
Bien à vous,
Morgane BRAVO
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