samedi, avril 24, 2010
*Google va-t-il quitter l'Europe? *
***Après s'être retirés de la Chine pour dénoncer les politiques de censure du régime communiste, les dirigeants de Google décideront-ils de «quitter l'Europe» ?
La question, volontairement provocatrice, a été posée il y a quelques semaines par une revue en ligne française qui a exploré les multiples points de friction existant entre le géant américain et les gouvernements du Vieux Continent.
Nombre de ces différends portent sur la protection de la vie privée, qui demeure un point très sensible pour plusieurs États de la région.
L'introduction projetée en Allemagne de Google Street View, qui permet de contempler de son ordinateur les rues d'une ville donnée, vient encore une fois de le démontrer.
À la fin du mois de mars, un critique du système de navigation virtuel a vandalisé l'un des véhicules utilisés pour capter les images, crevant ses pneus et coupant les câbles des caméras.
Bien que Google nie que son système puisse constituer une «super caméra espionne», nombre d'Allemands n'apprécient pas l'idée de voir des images de leur résidence, voire de leur personne, apparaître à leur insu sur le web. L'entreprise, qui brouille systématiquement les visages, a exceptionnellement accepté de retirer sur demande de ses serveurs toute image controversée pour tenter d'apaiser les esprits.
Le réseau social Facebook a aussi été pris à partie récemment après que ses dirigeants eurent annoncé qu'ils pourraient, à l'avenir, partager les données colligées avec des tiers sans l'accord des usagers concernés.
La question du stockage et de l'utilisation des données informatiques stockées par les sociétés téléphoniques et les fournisseurs d'accès à l'internet fait aussi l'objet de contestations juridiques en Allemagne. Au début du mois de mars, le Tribunal constitutionnel fédéral a jugé que la loi imposant ce stockage constituait une «grave atteinte» à la vie privée.
Ansgar Ohly, professeur de droit rattaché à l'Université de Bayreuth, note que des dispositifs juridiques détaillés ont été mis en place après la Seconde Guerre mondiale pour protéger les Allemands de toute intrusion indésirable dans leur intimité.
L'importance accordée à ces questions reflète le traumatisme causé par les exactions de la Gestapo, à l'époque nazie, et de la Stasi en Allemagne de l'Est. «Nous avons connu le totalitarisme sous deux formes différentes. C'est certain que ça nous donne une plus grande sensibilité aux questions de vie privée que d'autres pays où la population n'a pas subi de système monstrueux de ce type», dit-il.
L'Allemagne n'est pas le seul pays européen à se montrer pointilleux sur le traitement des données informatiques, relève Joe McNamee, qui fait du lobbyisme à Bruxelles pour European Digital Rights, organisation de défense des droits des internautes.
Les pays soumis dans un passé récent à des régimes répressifs - que ce soit en Italie, en Espagne ou en Allemagne - se montrent normalement plus sensibles.
Ce n'est pas le seul facteur en jeu, précise-t-il, puisque plusieurs anciens pays de l'Est, encore sous le joug soviétique il y a quelques décennies, défendent une approche libérale en la matière.
De manière plus générale, l'approche européenne, dans laquelle l'État est plus interventionniste, contraste fortement avec l'approche américaine, juge M. McNamee.
«Il y a très, très peu de contrôles là-bas sur le stockage et le traitement des données informatiques. On parle de légiférer seulement s'il n'y a pas d'autre option... Certaines entreprises américaines font d'ailleurs valoir sur leur site que leurs normes dans ce domaine sont conformes aux exigences européennes pour illustrer leur rigueur», dit-il.
«Dans les cultures, qu'on le veuille ou non, on hiérarchise les droits. Des valeurs sont plus importantes que d'autres. Aux États-Unis, la liberté d'expression, les valeurs liées aux droits fondamentaux contre l'État prennent beaucoup de place. Alors qu'en Europe, la liberté d'expression tient une place beaucoup moins grande», souligne Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal.
Selon lui, le Canada est un peu «schizophrène», tirant son inspiration tant de l'Europe que des États-Unis en matière de protection de la vie privée.
Bien que de grandes lignes se dessinent entre les deux continents, il existe dans chaque ensemble des variations non négligeables. «Quand les Allemands vont aux Pays-Bas, ils sont toujours surpris que les gens ne mettent pas de rideaux à leurs fenêtres», illustre M. Ohly.
Ces sensibilités parfois contradictoires se reflètent par des tiraillements constants au sein de l'Union européenne, que ce soit sur la question du piratage, du filtrage de l'internet ou du stockage de données de communication.
L'opposition récente du Parlement européen à l'accord SWIFT relatif au transfert de données de passagers aériens aux autorités américaines démontre bien «qu'il existe aujourd'hui des forces politiques acquises à un renforcement de la protection de la vie privée», souligne Ralf Bendrath, chercheur spécialisé qui agit à titre de conseiller politique à Bruxelles pour une formation allemande.
Ultimement, la meilleure façon d'éviter les risques d'atteinte à la vie privée est d'empêcher la concentration des données dans les mains de grands groupes commerciaux ou d'États, dit-il.
En Allemagne, illustre l'ancien universitaire, plusieurs personnes utilisent un logiciel de «microblogage» libre, Statusnet, qui leur permet d'échanger des messages avec des proches comme sur Twitter tout en conservant le contrôle sur les données générées.
«Le philosophe Karl Popper disait qu'il fallait construire les institutions politiques de manière à ce que les dirigeants les plus stupides ou les plus vils ne puissent pas faire trop de dommages. Les Allemands appliquent cette philosophie aux technologies. Je pense qu'ils ont compris plus tôt que les autres ce qu'il faut faire», conclut M. Bendrath.
Marc Thibodeau,
Avec la collaboration de Judith Lachapelle
La Presse
24 avril 2010
Bien à vous,
Morgane BRAVO
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