*** Les investissements étrangers sont accueillis avec de plus en plus de méfiance, voire d'hostilité, en Chine. Les groupes occidentaux craignent un durcissement de la législation et déplorent de ne pouvoir lutter à armes égales avec leurs concurrents chinois.
« Il est dangereux d'autoriser les participations malveillantes d'entreprises étrangères dans des sociétés chinoises ». La phrase est signée Li Deshui, président de l'Office national de statistique. Elle illustre un phénomène en plein essor en Chine : la montée d'un vrai patriotisme économique. En question, la place que les Chinois doivent laisser aux investisseurs occidentaux. Certains conservateurs, à Pékin, estiment en effet que les « waiguo ren », les étrangers, prennent une trop grande importance dans l'économie chinoise.
Les chiffres sont éloquents : les entreprises à « capitaux étrangers » représentent 22% du PIB chinois, 59% du commerce extérieur, 1/4 des nouveaux investissements et 2/3 des brevets déposés en Chine. Place Tien an Men, les détracteurs ont su se faire entendre : de nombreuses mesures, coercitives pour les investisseurs étrangers, ont été prises depuis l'été. Parmi elles, le décret du 8 septembre 2006, qui remet en cause les acquisitions de sociétés chinoises par des étrangers. Désormais, un rachat peut être interdit s'il a des répercussions sur « la sécurité économique nationale » ou s'il fait passer sous pavillon étranger une « marque célèbre ». Du coup, de nombreuses acquisitions se retrouvent bloquées par l'administration chinoise. Quand elles ne sont pas annulées.
Seb, Alstom Power, Schneider Electric, Carlyle… De nombreuses multinationales se retrouvent ainsi prises dans les filets de l'administration chinoise (lire notre dossier dans le numéro 717 de l'Expansion, paru ce mercredi). A Pékin, on tempère toutefois l'ampleur du problème. « Vous aussi, en occident, vous prenez des mesures protectionnistes », se défendent les Chinois, qui soulignent que leur économie est « plus ouverte que celle des Japonais ou des Coréens ». Il n'empêche. Ce raidissement dans la vie des affaires inquiète les diplomates français et américains, qui craignent que le ton se durcisse encore jusqu'au 17ème Congrès du parti, en octobre prochain.
On ouvre d'une main, on ferme de l'autre
« L'ouverture n'est pas vraiment remise en cause, mais elle se fait « à la chinoise », commente un consultant qui tient à rester anonyme. On donne d'une main, on reprend de l'autre… ». Illustration, le secteur bancaire. Depuis 2003, les banques étrangères sont autorisées à prendre 20% du capital d'une banque chinoise. Tout le monde s'est engouffré dans la brèche – les étrangers mais aussi les Chinois. "Au-delà des participations financières, c'est surtout le savoir-faire en gestion et les méthodes de gouvernance modernes des banques occidentales qui intéressent les pouvoirs publics chinois", explique Philippe Chan, directeur général de BNP Paribas China limited. Comme l'adoption de critères de gestion et de rentabilité performants.
Le 11 décembre 2006, Pékin a officiellement autorisé les banques étrangères à ouvrir des agences pour toucher les épargnants chinois. Sauf que… « Dans la pratique, tout est fait pour que nous ne puissions pas lutter à armes égales avec nos concurrents locaux, explique un banquier français. Nous ne pouvons par exemple pas prêter à un même client plus de 10% du capital de notre filiale chinoise. Même si nous disposons de 500 millions d'euros, nous nous retrouvons devant des mastodontes qui pèsent plusieurs milliards d'euros… »
Idem pour les prêts aux particuliers. Une règle chinoise stipule qu'une banque occidentale ne peut pas prêter plus de 75% des dépôts qu'elle a collectés, « ce qui bride très largement notre capacité d'emprunt, poursuit ce banquier, car nous n'avons plus le droit de nous financer auprès du marché interbancaire. Cette contrainte crée un vrai désavantage, dans la mesure où nous n'avons pas de réseau d'agences étoffé par rapport aux milliers d'agences que possèdent nos concurrents chinois ». Il aura fallu des protestations vigoureuses pour assouplir –provisoirement - ces mesures.
Des avocats hors-la-loi
Même les avocats étrangers risquent de faire les frais du protectionnisme ambiant. Juridiquement, en effet, ils ne sont pas autorisés à délivrer d'opinions légales officielles sur le droit chinois. Dans la pratique, les quelques 200 officines étrangères installées en Chine donnent des avis « officieux ». « Le ministère de la Justice le sait, mais il ferme les yeux », reconnaît un avocat. Pour combien de temps ? En 2006, le barreau de Shanghai a discrètement rappelé la profession à l'ordre. « Nous avons une épée de Damoclès au-dessus de la tête, avoue un autre. Du jour au lendemain, les autorités chinoises peuvent décréter que nous officions dans l'illégalité. » Invités à s'implanter lorsqu'il fallait encourager l'investissement, les avocats étrangers pourraient, à l'avenir, être jugés indésirables, alors même que des cabinets chinois aux consonances anglo-saxonnes voient le jour, tels King & Wood, Haiwen & Partners, Boss & Young, Jun He ou Broad & Bright…
Une population très remontée
La flambée de nationalisme trouve une forte résonance dans la population. La présence d'un café Starbucks dans la Cité interdite provoque un véritable tollé à Pékin. Tout commence en janvier 2007, lorsqu'un journaliste-vedette de la CCTV 9, Rui Changgang, s'interroge sur son blog sur la présence d'un café Starbucks dans l'enceinte de la Cité interdite. Dans les jours qui suivent, des milliers de Chinois se connectent sur son site. Les débats font rage, le sujet prend une ampleur démesurée. « Ce qui est étonnant, c'est qu'il existe depuis quatre ans, ce café », commente un consultant français, qui s'étonne que ce procès ait eu lieu « quelques semaines après que Starbucks ait gagné un procès pour contrefaçon contre une enseigne shanghaïenne… ».
Quoi qu'il en soit, beaucoup voient dans cette campagne, et dans le succès qu'elle a rencontrée, une confirmation de cette poussée patriotique. Révélateur, également, « l'affaire Baidu ». Que penser en effet de cette publicité du Google chinois, Baidu, visible sur YouTube, dans laquelle un Chinois vient perturber le mariage d'un occidental et d'une Chinoise, pour finalement ravir la promise et terrasser le méchant étranger, qui se retrouve à terre, ensanglanté ? Crispation passagère ? Crise plus profonde ? Quoi qu'il en soit, les prochains mois seront très instructifs. Et suivis de près par les industriels occidentaux qui tentent depuis tant d'années d'être « Chinois en Chine ».
L'Expansion
01/03/2007
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