***La levée des restrictions à la libre circulation dans la zone Schengen, accordée par Bruxelles à plus de 10 millions de Serbes, de Macédoniens et de Monténégrins, samedi 19 décembre, a irrité la Turquie. Ankara s'estime victime d'une politique du "deux poids, deux mesures" de la part de l'Union européenne (UE) et réclame à son tour un assouplissement de la politique de visas pour ses ressortissants. "Il est inacceptable que certains pays des Balkans qui en sont à l'étape initiale du processus d'adhésion et qui n'ont pas entamé leurs négociations, se voient accorder le privilège de Schengen et pas la Turquie", a réagi le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu.
Ankara et Bruxelles négocient déjà depuis plusieurs mois un accord sur cette question sensible des visas, véritable casse-tête bureaucratique pour les milliers de Turcs qui voyagent chaque année dans les pays de la zone Schengen. En contrepartie d'une ouverture partielle, "la Turquie doit d'abord signer avec l'UE un accord de réadmission pour les migrants clandestins, comme l'ont fait la Serbie ou la Macédoine", note Cengiz Aktar, directeur du Centre d'études européennes à l'université Bahçesehir d'Istanbul.
"Les négociations devraient aboutir. Mais il n'est pas question d'une abolition totale des visas. Plutôt d'un aménagement pour certaines catégories de voyageurs : les hommes d'affaires, les étudiants et les partenaires de projets européens", précise M. Aktar. Des visas de longue durée, gratuits, pourraient être délivrés pour ces cas-là. "Cela aura un effet positif sur l'image de l'Europe et des relations euro-turques", ajoute l'universitaire.
La Turquie a beau être membre de l'union douanière et du programme Erasmus pour les échanges universitaires européens, les difficultés restent nombreuses. Les acteurs économiques sont les principaux mécontents. Le système actuel leur permet de faire circuler librement leurs marchandises en Europe, mais eux doivent être titulaires d'un visa Schengen pour leurs voyages d'affaires.
Les réclamations turques contre cette procédure ont été renforcées début 2009 par un arrêt de la Cour européenne de justice qui estime le système de visas parfois contraire aux principes de l'union douanière. Elle a ainsi jugé qu'un visa n'était pas nécessaire pour deux chauffeurs routiers turcs travaillant entre la Turquie et l'Allemagne. La réglementation n'a pas suivi.
La Fondation pour le développement économique (IKV) et l'Union des chambres de commerce de Turquie ont mis en place depuis le 17 novembre une "hotline" où les Turcs peuvent exposer leurs problèmes pour obtenir le visa Schengen. Environ 320 appels ont déjà été traités. "Il y a des plaintes d'hommes d'affaires et d'étudiants, rapporte Cigdem Nas, secrétaire générale de l'IKV. Par exemple le consulat néerlandais demande plus de 300 euros aux étudiants, sans tenir compte du programme Erasmus", accuse-t-elle.
Réadmission des migrants
Outre la Turquie, d'autres pays manifestent leur désappointement à l'égard de Bruxelles après l'exemption de visas pour les Serbes, les Macédoniens et les Monténégrins. Il s'agit de l'Albanie, du Kosovo et de la Bosnie-Herzégovine. Leurs ressortissants, eux, doivent toujours obtenir un visa pour se rendre dans un Etat de l'espace Schengen, parce que leurs pays ne remplissent pas les conditions fixées par la Commission européenne et sont considérés comme présentant des risques au plan de l'immigration.
Parmi les conditions fixées par Bruxelles, il y a l'introduction d'un passeport biométrique, la création d'un système intégré de contrôle aux frontières, la signature de conventions de réadmission des immigrants qui viennent de pays tiers et transitant par des Etats balkaniques, ou encore une lutte renforcée contre le crime organisé et la corruption.
Dans les capitales concernées, on réagit mal à l'instauration d'un système qu'on estime être celui du deux poids, deux mesures. On évoque parfois l'idée que l'UE s'oppose, en fait, à un rapprochement avec des pays musulmans. Olli Rehn, l'actuel commissaire à l'élargissement, a évoqué un réexamen de la situation au printemps 2010.
Istanbul, Bruxelles, correspondants
Guillaume Perrier et Jean-Pierre Stroobants
LE MONDE
25.12.09
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