*** De Jean-Paul Sartre à François Bayrou
* La campagne électorale ressemble de plus en plus à ce qui se fait ailleurs, et notamment dans les pays anglo-saxons, estime un journal australien. Est-ce la fin d'une certaine exception française ?
L'article le plus surprenant de la semaine a été publié dans les colonnes du quotidien australien The Age. D'abord, il est intitulé "Adieu Jean-Paul, adieu", en français dans le texte. Ensuite, le Jean-Paul auquel il est fait allusion n'est autre que… Jean-Paul Sartre, vu comme le symbole d'une certaine France : rebelle, gauchiste, antiaméricaine et fumeuse invétérée de cigarettes brunes.
S'il est temps de dire adieu à Jean-Paul Sartre, explique le quotidien de Melbourne, ce n'est pas seulement parce que notre pays – à l'instar de beaucoup d'autres – a récemment interdit la cigarette dans les lieux publics, mais c'est parce que "le monde est en train de changer un pays, la France, qui se croyait seul au monde".
Ce constat est à la fois sociétal, (les Français s'habillent "international"), culturel (de plus en plus d'anglicismes se glissent dans une langue pourtant jalousement gardée par la loi et l'Académie), mais surtout politique. The Age explique en effet que la campagne électorale en cours reprend non seulement l'apparence des campagnes anglo-saxonnes mais aussi, et plus profondément, les thèmes. Ainsi, le fait de chiffrer les programmes des candidats est-il un classique en Australie et ailleurs, alors qu'il fait figure de grande nouveauté en France.
De la même façon, The Age a cru reconnaître dans les programmes des candidats les traces de ce qui a fait le succès de George Bush, Ronald Reagan ou Tony Blair. Nicolas Sarkozy, par exemple, veut massivement baisser les impôts, comme George Bush père (et fils) en son temps. Il veut faire "travailler plus" les Français et "restaurer la valeur travail", à l'américaine en somme.
Quant à Ségolène Royal, en insistant sur l'importance de la famille, elle trouve des accents qui appartiennent à la première campagne électorale de George Bush (fils). Et lorsqu'elle met en avant un certain pragmatisme (politique de la preuve) ou met au cœur de sa campagne l'éducation, le quotidien fait remarquer que Tony Blair avait joué sur ces thèmes en 2001. Autrement dit, la France "se normalise" insidieusement, pour le plus grand bonheur de The Age. Adieu donc Jean-Paul Sartre.
Au-delà de ses commentaires, il est aussi temps pour beaucoup de journaux d'opinion de prendre position. En clair, après avoir planté pour leurs lecteurs le paysage de la présidentielle française, ils expliquent maintenant… pour qui ils voteraient.
C'est le cas – notamment – du quotidien conservateur espagnol ABC. Profitant du passage de Nicolas Sarkozy par Madrid, ABC publie un long éditorial intitulé "De Blair à Sarkozy". Pourquoi ce glissement de l'un à l'autre ? Parce que, selon ABC, le Premier ministre britannique est sur le départ (il devrait être remplacé par Gordon Brown) et que la place de leader charismatique européen est donc à prendre. Pour ABC, cette place appartient à Nicolas Sarkozy, "le leader que l'Europe réclame".
Même si le quotidien madrilène reste prudent quant à l'issue de la campagne, il se prend tout de même à rêver d'une France dirigée "par le premier candidat à la présidence de la République à se démarquer de la caste politique française, tant par ses origines étrangères que par son parcours personnel". Un homme si différent "de l'aristocratique M. de Villepin et du si conventionnel Jacques Chirac". Pour ABC, Nicolas Sarkozy est "le seul capable de donner un peu d'air à l'Etat français tout en conservant l'équilibre napoléonien imposé par de Gaulle et en empêchant le pays de sombrer dans des troubles du calibre de mai 68". Rien de moins.
De l'autre côté de l'échiquier, on n'est pas non plus en reste. En Inde, le dernier-né des grands quotidiens, DNA, prend, lui, fait et cause pour Ségolène Royal. "Un frisson d'excitation parcourt l'Europe, écrit le quotidien de Bombay, à l'idée que Ségolène Royal emporte la présidentielle française." Et pas seulement parce que les deux pays les plus importants du continent seraient dirigés par des femmes, mais aussi parce que ces femmes-là ne ressemblent pas à leurs aînées.
Enfin, François Bayrou aussi commence à récolter les fruits internationaux de sa longue bataille pour crédibiliser sa candidature. Le Wall Street Journal lui consacre en effet un long éditorial intitulé "Le troisième homme". Un éditorial qui prend d'abord le temps de répondre à une question simple : Qui est cet homme ? Mais qui devrait tout de même faire rougir de plaisir le candidat de l'UDF. Il y est en effet qualifié de "modéré, intelligent et cultivé" avant de lui donner un brevet d'europhilie. "M. Bayrou est un Européen exquis qui ne rêve ni d'un 'paradis social' pour l'Europe unie, ni d'un territoire laissé entre les mains du marché, mais d'une Europe démocratique, responsable devant ses citoyens."
Bref, François Bayrou représente le juste équilibre "entre la dureté façon Sarkozy et les promesses inconsidérées de Ségolène Royal. Aussi étrange que cela puisse paraître, M. Bayrou est en train de séduire les Français de la même façon que Jean-Marie le Pen les avait séduits en 2002." Mais à la différence du candidat du Front national, "François Bayrou propose de bonnes solutions" pour la France.
Anthony Bellanger
Courrier International
2 mars 2007
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