vendredi, avril 20, 2007
*Croissance, innovation et équité : Le défi stratégique mondial : OCDE*
*** Conférence d'Angel Gurría, Secrétaire général de l'OCDE, à l'Ecole de commerce de Copenhague
Copenhague, Danemark
23 janvier 2007
* C'est pour moi un grand honneur d'être ici, à l'Ecole de commerce de Copenhague, véritable laboratoire de la modernité.
Je ne vois guère de pays plus approprié que le Danemark pour y parler de croissance, d'innovation et d'équité. Avec l'un des taux d'expansion économique les plus élevés de l'Union européenne (3 % en 2005), des dépenses de R D en pourcentage du PIB parmi les plus fortes d'Europe et un remarquable filet de protection sociale pour une économie de marché vigoureuse, le Danemark est manifestement un terrain fertile pour les réflexions que je souhaiterais partager aujourd'hui avec vous.
La mondialisation a été une source déterminante de changement, un catalyseur des transformations économiques et sociales. La croissance économique et l'innovation sont à la fois les moteurs stratégiques et les fruits de ce processus. L'énergie combinée de ces forces interdépendantes a induit des gains économiques et sociaux, mais aussi des risques et des coûts d'ajustement non négligeables. Tous les pays ne sont pas préparés au même degré à recueillir des gains et à engager les ajustements nécessaires. La mondialisation ne s'est pas jouée à chances égales. A l'OCDE, nous pensons qu'il faut ajouter une troisième composante à son équation : l'équité. La relation triangulaire entre croissance, innovation et équité peut devenir un nouvel épicentre de progrès humain. L'exploration des avantages potentiels découlant de cette relation est un défi stratégique mondial pour l'OCDE ; c'est aussi le fil conducteur de cette conférence. J'espère que vous la trouverez intéressante.
Croissance
L'économie mondiale est en passe de réaliser une trajectoire de croissance sans précédent. Avec un taux de croissance annuelle de près de 3.2 % depuis 2000, elle a affiché ces cinq dernières années une progression plus forte que durant toute autre période de cinq ans depuis la Deuxième Guerre mondiale. La croissance étant estimée à près de 5 % pour 2006 et 2007, certains groupes de réflexion privés affirment que la production mondiale pourrait connaître l'une des décennies les plus fastes jamais enregistrées.
Cette expansion s'est produite en dépit d'un certain nombre de chocs économiques et politiques : l'éclatement de la bulle boursière en 2000 ; les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ; les guerres en Afghanistan et en Irak ; la flambée des prix du pétrole et des produits de base ; une rupture des négociations commerciales multilatérales du cycle de Doha ; des déséquilibres mondiaux préoccupants et la performance médiocre de certains des moteurs de croissance traditionnels. Malgré tout cela, la machine économique va de l'avant.
Ce qui apparaissait récemment comme un ralentissement de l'activité économique mondiale s'est révélé être un "rééquilibrage". Comme le note l'édition 2006 des Perspectives économiques de l'OCDE, la modération du rythme de l'activité aux Etats Unis et au Japon, qui devrait rester bien maîtrisée, est compensée par une reprise apparemment robuste dans la zone euro. De surcroît, et c'est peut être le plus surprenant, l'économie mondiale est désormais entraînée par une nouvelle et puissante turbine : les économies émergentes.
Selon plusieurs experts, la Chine et l'Inde, comme d'autres pays en développement, sont en mesure de donner à l'économie mondiale sa plus forte impulsion depuis la révolution industrielle. La participation de ces pays aux flux économiques planétaires s'est accrue à un rythme remarquable, si bien qu'ils représentent aujourd'hui plus de la moitié du PIB mondial (mesuré à parité de pouvoir d'achat), 43 % des exportations mondiales et près de la moitié de la consommation mondiale d'énergie.
La Banque mondiale et le FMI estiment qu'en 2006 les pays en développement ont affiché une croissance quasi record de 7 %. En 2007 et en 2008, leur taux d'expansion devrait dépasser 6 % par an, contre une croissance du PIB de 2.7 % dans les économies développées. D'après une analyse récente parue dans The Economist, si ces tendances perdurent, "on estime que dans vingt ans les économies émergentes représenteront près des deux tiers de la production mondiale (toujours à parité de pouvoir d'achat)". Je sais que l'extrapolation est une entreprise risquée, mais il semble bien que les économies "émergentes" finiront par émerger véritablement.
Mais comment l'économie mondiale est elle parvenue à croître si régulièrement dans une période d'incertitude internationale et de menaces économiques récurrentes ? La réponse tient en partie à un unique facteur immatériel : l'innovation, nouvel arbitre du progrès.
Innovation
De fait, l'un des facteurs clés de la croissance a été sans conteste l'innovation. La création, la diffusion et l'application des connaissances sont devenues un moteur essentiel de l'expansion économique. Les entreprises s'appuient de plus en plus sur cet outil précieux. Cette pratique a quitté la périphérie des programmes de nombreuses entreprises pour entrer au cœur même de leurs stratégies d'expansion. La plupart des secteurs et des industries connaissent aujourd'hui ce qu'à l'OCDE nous avons appelé une "renaissance schumpétérienne" : l'innovation est à l'heure actuelle la source cruciale d'une concurrence efficace, du développement économique et de la transformation de la société.
Il est difficile de s'accorder sur une définition unique à cet égard. Toutefois, nous pouvons affirmer sans hésitation que l'innovation s'est révélée être : 1) un stimulant efficace pour la création d'organisations d'envergure mondiale (comme Microsoft, Rolls Royce et Apple) ; 2) une discipline de créativité qui attire les plus grands talents (en témoignent des sociétés telles que Dyson, Egg et Google) ; 3) un message qui renforce une ambition entrepreneuriale (3M, Toyota ou Adidas) ; et 4) un instrument de prépondérance (BP, UPS et H&M). Aussi n'est il pas surprenant que tout PDG désire posséder un peu de cette "poudre magique".
L'innovation a aussi suscité une collaboration féconde entre les universités et les entreprises dans de nombreuses régions du monde. Convertir une idée nouvelle en un produit rentable n'est pas chose aisée. Tout grand inventeur a besoin d'un grand entrepreneur, et réciproquement. L'invention de la xérographie par Chester Carlson n'aurait jamais débouché sur le secteur remarquablement prospère des photocopieurs Xerox sans ce que Charles Ellis appelle l'"esprit d'entreprise porté à l'extrême" de Joe Wilson. Très souvent, cette association entre université et entreprise devient l'espace où est inventé le futur. A l'OCDE, nous consacrons beaucoup de temps et de ressources à sécuriser et amplifier cet espace.
Il existe un grand nombre de pépinières universitaires déjà établies, comme Cambridge ou le MIT, mais de plus en plus d'institutions se pressent sur ce créneau. Ainsi, l'université d'Oxford rivalise avec Cambridge parmi les principaux centres d'entrepreneuriat et d'innovation en Europe. Ici, au Danemark, le nouveau Centre universitaire des technologies appliquées de l'information et des communications (TIC), qui stimulera votre collaboration avec des firmes mondiales telles que Microsoft, IBM ou SAP, est un autre exemple éloquent de cette tendance grandissante. Je vous félicite et vous souhaite bonne chance sur cette voie.
Les économies modernes se construisent avec des idées autant qu'avec du capital et du travail. On estime que près de la moitié du PIB des Etats Unis, par exemple, repose sur la propriété intellectuelle. Dans le cadre de l'"objectif de Barcelone", l'Union européenne entend porter son activité de R D à 3 % du PIB à l'horizon 2010 pour devenir "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde". Voyez la Chine : selon des estimations de l'OCDE, en 2006 elle a pour la première fois consacré davantage de ressources à la R D que le Japon, devenant ainsi le deuxième investisseur mondial en R D après les Etats Unis.
A l'OCDE, nous nous efforçons d'offrir aux administrations nationales et locales des outils perfectionnés pour leur permettre d'améliorer leurs politiques d'innovation. Après une décennie de recherche et d'analyse des politiques, l'OCDE a mis au point la méthode du Système d'innovation national afin de recenser et de diffuser les meilleures pratiques. Nous sommes en train d'appliquer cette approche, en coopération avec le ministère chinois des Sciences et de la Technologie, à l'évaluation du système et des politiques d'innovation de la Chine. Notre tout dernier Examen territorial intitulé "Villes, compétitivité et mondialisation" est un ouvrage riche en enseignements pour les administrations locales désireuses de stimuler la compétitivité régionale grâce à la politique d'innovation. Je le recommande vivement.
La mondialisation elle même est un produit de l'innovation. L'application de technologies constamment améliorées aux moyens de transport et de communication de masse a engendré un degré sans précédent de connectivité et d'information à l'échelle mondiale. Les économies deviennent plus interdépendantes, tandis que les cultures se font plus perméables, plus transparentes et plus vigoureuses à la faveur d'une intensification des échanges de biens, de services, d'idées, de valeurs, d'experts, de problèmes et de solutions. D'aucuns pourraient voir là une "homogénéisation culturelle", nous y voyons un renforcement des cultures. Là où certains redoutent un danger, nous saluons une opportunité.
Aujourd'hui, l'innovation est confrontée à de nouveaux défis. Son propre dynamisme a produit un monde qui exige à maints égards un réexamen de l'innovation elle même. Dans le secteur des entreprises, les déterminants de la performance d'innovation ont changé, dans le contexte d'une économie mondialisée fondée sur le savoir, en partie sous l'effet des avancées récentes des technologies de l'information et des communications. Des stratégies telles que la capitalisation boursière, les fusions acquisitions et la livraison juste à temps doivent être révisées à l'ère de l'Internet, des achats en ligne et de la télévision numérique. Les entreprises sont friandes d'idées nouvelles sur les nouveaux concepts.
Nous vivons dans une époque marquée par "l'omniprésence de l'obsolescence". Les entreprises le savent et se livrent une concurrence acharnée à coups d'innovations. Au fil de cette course, les inventions de nombreuses sociétés créent un marché qui pourrait évoluer trop rapidement même pour ces dernières. L'innovation nous a aidés à produire en quantités beaucoup plus grandes ce que nous devons ou pouvons consommer. Cette abondance a eu un coût principal considérable : les atteintes à l'environnement.
Le changement climatique et le réchauffement de la planète font désormais partie de notre vie quotidienne, le nombre de catastrophes liées au climat a triplé entre les années 70 et les années 90, tandis que les pertes en vies humaines ont fortement augmenté et que les dommages économiques ont atteint 230 milliards de dollars en 2005, selon l'Economist Intelligence Unit. Pour reprendre une phrase du documentaire d'Al Gore, "Une vérité qui dérange", rappelons nous que ce qui a changé avec le tsunami de l'océan Indien et le cyclone Katrina, c'est "le sentiment que nous sommes entrés dans la période des conséquences".
A l'OCDE, nous sommes très conscients de cette menace. Dans les travaux de nos comités, dans nos analyses et nos recommandations, nous soulignons la nécessité d'infléchir l'innovation au profit d'un environnement durable. Ainsi, dans notre Examen des performances environnementales de la Chine (2006), nous abordons la question suivante : comment aider l'économie chinoise à continuer de croître sans devenir en moins de dix ans la plus grande source mondiale de gaz à effet de serre ?
Aujourd'hui, en parallèle avec l'adaptation des stratégies d'innovation aux besoins évolutifs d'un marché très rapide et ultraconcurrentiel, et avec l'intégration des priorités environnementales dans les politiques de R D privées et publiques, l'un des défis stratégiques majeurs de notre époque, pour les gouvernements comme pour les centres de recherche, est de transformer l'innovation en une source de développement et d'équité.
Equité
Si les principaux produits de l'innovation sont uniquement la croissance économique et l'expansion des marchés d'entreprises, il est clair que nous sommes en deçà de l'objectif. La concentration des capacités d'innovation dans un nombre restreint de pays a un impact direct sur la répartition mondiale des revenus et des opportunités.
L'innovation favorise la productivité et la croissance parce qu'elle attire des personnes hautement qualifiées et des capitaux, mais aussi parce qu'il faut précisément un environnement favorable et sûr pour inventer, breveter et vendre. La grande majorité des êtres humains vivent dans des pays où cet environnement attractif fait défaut. Nous courons un grand risque si nous ne changeons pas cet état de choses. Si nous n'apportons pas l'innovation et, partant, les emplois, aux populations qui en sont dépourvues, ce sont les populations qui se déplaceront jusqu'aux centres d'innovation. Légalement ou illégalement.
Nous savons que la capacité internationale d'innovation est inégalement répartie. Il en résulte une mondialisation déséquilibrée. Pour inverser cette tendance, il nous faut avant tout de meilleures politiques, des politiques innovantes. L'environnement optimal pour permettre à l'innovation de promouvoir la croissance et le développement est une économie de marché ouverte. Pour autant, l'innovation ne doit pas être exclusivement guidée par les mécanismes de marché. Comme l'a fait observer Joseph Stiglitz, "si la 'main invisible' d'Adam Smith est invisible, c'est bien souvent parce qu'elle n'existe pas".
Il nous faut de meilleures politiques publiques pour transformer progressivement cette mondialisation, où la moitié de la population de la planète vit avec moins de deux dollars par jour et où un enfant meurt toutes les trois secondes à cause de l'extrême pauvreté, en un processus plus équilibré où les opportunités et les emplois sont plus uniformément répartis. L'innovation peut être un instrument clé pour répondre à cet impératif moral.
La mondialisation est en train de perdre le soutien de l'opinion publique et nous commençons à voir apparaître un mouvement de rejet. Comme l'a récemment déclaré Tim Geithner, Président de la Banque de réserve fédérale de New York, devant le Conseil des relations extérieures, "l'obligation politique de maintenir le soutien à l'intégration économique mondiale pourrait être le plus important défi de notre époque". Expliquer que la mondialisation est inévitable n'est tout simplement pas suffisant.
L'innovation s'est révélée être l'un des principaux moteurs de la croissance et de la mondialisation, mais il nous reste beaucoup à faire pour transformer cette force en un outil de développement. En dépit d'importantes avancées vers la réduction de la pauvreté et dans le secteur de la santé, l'ampleur des défis à relever reste considérable.
Le projet "Un ordinateur portable pour chaque enfant" est un exemple très éloquent de la manière dont l'innovation peut être convertie en outil de développement. Dans le cadre de cette initiative, des experts universitaires et industriels ont conçu ensemble un ordinateur portable flexible, à très faible coût et durable, à l'intention des enfants les plus pauvres de la planète. Cet ordinateur portable à 100 dollars, créé au Laboratoire des médias du MIT et présenté par Nicholas Negroponte, cofondateur du Laboratoire, lors du Forum économique mondial de Davos en 2005, permettra à de nombreuses communautés des pays en développement de sauter d'un coup plusieurs décennies de développement.
Pour que l'innovation puisse croître dans les pays en développement, un ingrédient s'avère indispensable : le talent, ou, ce qui revient au même, une éducation de qualité. Ces dernières années, l'importance des actifs immatériels s'est accrue de manière exponentielle : leur part dans la valeur des entreprises de l'indice S P 500 est passée de 20 % en 1980 à 70 % aujourd'hui. A l'OCDE, nous sommes conscients de la nécessité de renforcer nos travaux avec les économies en développement dans le domaine de l'éducation, afin de les aider à accroître leurs possibilités de produire de l'innovation et de mettre à profit la mondialisation.
Conclusions
Ainsi, nous connaissons l'une des phases d'expansion économique les plus vigoureuses de l'histoire humaine, caractérisée par des capacités inimaginables d'innovation et de productivité. Mais nous vivons aussi dans une ère d'inégalités sans précédent. La majeure partie de la population de la planète se sent exclue, parce qu'elle n'a pas les moyens, intellectuels et matériels, de participer de façon systématique à la dynamique positive de la mondialisation. Permettre à toutes ces personnes de bénéficier de la croissance économique à la faveur de l'innovation est l'un des principaux défis stratégiques mondiaux de notre époque.
Les travaux que nous menons à l'OCDE révèlent une interrelation dynamique entre croissance, innovation et équité. Renforcer cette interrelation offre de grandes possibilités en termes de progrès humain. Tout au long de cette année, nous consacrerons d'importantes ressources à optimiser ce triangle vertueux. Ce sera le thème de notre prochaine Réunion ministérielle et de notre Forum mondial, car nous sommes convaincus qu'il faut relever ce défi stratégique mondial pour construire un avenir plus prospère et plus équilibré.
Je vous remercie.
OCDE
*Growth, Innovation and Equity: The Global Policy Challenge (Anglais). Lien-ci-dessous!
http://www.oecd.org/document/37/0,2340,fr_2649_201185_37977061_1_1_1_1,00.html
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* LA MONDIALISATION : GLOBALISATION *
** " La mondialisation n'est pas un choix, c'est un fait! " **
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