lundi, avril 16, 2007
*Dix enjeux de politique étrangère : Présidentielle 2007*
*** Bayrou, Royal, Sarkozy se prononcent sur dix enjeux de politique étrangère
"Le Monde" a posé à François Bayrou, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy les mêmes
questions précises sur les dossiers immédiats que le futur président de la
République aura à traiter. Chacun y a répondu, par écrit :
LE NUCLÉAIRE IRANIEN
Si les Etats-Unis ou Israël décident à un moment donné que la seule façon d'empêcher l'Iran d'acquérir la bombe atomique est de procéder à des frappes militaires sur ses sites nucléaires, considérez-vous que la France devra s'opposer à ce scénario ? De quelle façon ?* :
François Bayrou : Alors que la société politique iranienne est de plus en plus divisée et que les provocations d'Ahmadinejad la marginalisent, une intervention militaire ressouderait instantanément la nation iranienne derrière son président et plongerait l'ensemble du Moyen-Orient dans le chaos. Il ne s'agit pas de "s'opposer" aux Etats-Unis, car je doute qu'ils solliciteraient dans cette hypothèse l'aval de la communauté internationale, il s'agit de les dissuader de s'engager dans une nouvelle impasse. Je fais confiance à la majorité du peuple américain, telle qu'elle s'est exprimée à l'automne 2006, pour faire échec aux tentations aventuristes.
Ségolène Royal : J'ai été la première, en France, à prendre une position très ferme sur le dossier iranien. Nous devons impérativement obtenir de l'Iran l'arrêt de l'enrichissement d'uranium et la reprise des inspections de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique). L'accès de l'Iran au nucléaire militaire déstabiliserait la région. Pour autant, je refuse toute initiative unilatérale. Les pressions sur l'Iran doivent s'exercer par l'intermédiaire de résolutions du Conseil de sécurité et l'action du groupe 5+1. L'Iran doit entendre la voix de la raison et comprendre qu'il ne pourra jouer dans cette région le rôle auquel la géographie et l'histoire lui permettent de prétendre que s'il respecte la légalité internationale.
*** Nicolas Sarkozy : Je suis convaincu qu'une solution diplomatique est possible si la communauté internationale reste ferme sur ses principes et dans ses demandes. Un nouveau conflit aurait des conséquences très graves pour la région. L'accès de l'Iran à l'arme nucléaire est inacceptable, mais le règlement de la crise avec l'Iran doit être recherché par la négociation et dans un cadre multilatéral. La France doit agir pour que la communauté internationale reste unie, comme elle l'a été en adoptant à l'unanimité les résolutions 1 737 et 1 747.
Etes-vous favorable, au cas où l'Iran continuerait à refuser de se conformer aux demandes de l'ONU et de l'AIEA, à ce que les grandes puissances mettent en place un embargo sur les ventes de produits pétroliers raffinés à l'Iran ? Accepteriez-vous l'idée de sanctions adoptées en dehors du cadre de l'ONU, sur la base d'une "coalition de pays volontaires" ?
F. B. : Il ne faut pas sous-estimer la dépendance de l'économie iranienne par rapport à l'Occident. La politique d'Ahmadinejad a échoué et c'est ce qui explique ses provocations répétées. Les principaux responsables de l'économie iranienne sont, pour cette raison, soucieux d'éviter des mesures de rétorsion américaines et européennes, dans le secteur financier autant que dans le secteur pétrolier. Je crois donc qu'il faut procéder à un examen précis de tous les instruments de pression économiques dont nous disposons. Le pire serait que la communauté internationale se divise sur une querelle théologique sur le droit d'ingérence. Nous devons être assez déterminés pour faire plier l'Iran et assez intelligents pour ne pas nous opposer frontalement à la Chine et à la Russie.
S. R. : Si l'Iran persiste à ne pas se conformer à ses obligations, nous devrons monter d'un cran dans les sanctions. Mais je n'accepte pas l'idée de "coalition de pays volontaires" qui a été utilisée par l'administration américaine lors de l'intervention en Irak, avec les résultats que l'on sait.
*** N. S. : Si l'Iran continue à ne pas respecter les résolutions du Conseil de sécurité, il faudra aller plus loin dans les sanctions pour faire comprendre au régime que nous n'acceptons pas le fait accompli d'un Iran nucléaire. Dans ce cas, nous rechercherons en priorité l'unité du Conseil de sécurité sur de nouvelles mesures. Rien n'est exclu, a priori , ce qui compte, c'est l'efficacité. S'agissant de sanctions en dehors du Conseil de sécurité, ce n'est pas un problème de principe. Mais il est, bien sûr, préférable d'avoir une résolution de l'ONU.
Seriez-vous d'accord pour que l'Iran soit autorisé à mener sur son territoire, et sous contrôle étroit de l'AIEA, des activités de recherche et développement dans le domaine de l'enrichissement d'uranium comme compromis éventuel pour sortir de l'impasse diplomatique ?
F. B. : Il serait à la fois illusoire et inéquitable d'interdire à l'Iran l'accès au nucléaire civil. Le traité de non-prolifération ne proscrit pas formellement les activités d'enrichissement, sous réserve qu'elles ne débouchent pas sur la fabrication d'armes nucléaires. Tout le problème est dans l'efficacité du contrôle, et les Iraniens ne nous ont pas habitués à beaucoup de bonne foi en ce domaine. Toute la question est donc de savoir ce que pourrait être un "contrôle étroit". Nous ne pouvons pas cautionner un simple habillage juridique de la marche iranienne au nucléaire militaire.
S. R. : La question est aujourd'hui que l'Iran arrête son processus d'enrichissement sans contrôle. C'est seulement ainsi que la confiance indispensable à la bonne application du traité de non-prolifération pourra revenir. Et je redis que la meilleure solution me paraît être la proposition faite par la Russie de fournir l'uranium enrichi à l'Iran, ce qui écarterait le risque de prolifération, tout en permettant à ce pays d'accéder à l'électricité d'origine nucléaire.
*** N. S. : Ce programme d'enrichissement iranien est dangereux car il n'a pas d'utilisation pacifique identifiable. Le Conseil de sécurité a donc exigé de l'Iran qu'il suspende y compris ce qu'il appelle ses "activités de recherche et développement". Téhéran doit coopérer sans réserve avec l'AIEA, pour faire toute la lumière sur des années d'activités clandestines. La communauté internationale a fait des propositions ambitieuses, en particulier la possibilité pour l'Iran de développer un programme nucléaire clairement civil. Mais pour cela, l'Iran doit démontrer ses intentions pacifiques.
CRISE AU DARFOUR
Etes-vous favorable à l'adoption de nouvelles sanctions contre le régime soudanais, si ce dernier continue de refuser le déploiement d'un contingent de casques bleus de l'ONU au Darfour, ainsi que le demande la résolution 1 706 du Conseil de sécurité ? Quelles sanctions exactement ?
F. B. : Les sanctions doivent être immédiates et couvrir l'exportation des produits pétroliers, le gel des avoirs financiers des dignitaires du régime et le lancement de nouvelles poursuites pénales aux plus hauts niveaux. Ces sanctions doivent avoir un double objectif : d'abord pousser Khartoum à accepter les résolutions du Conseil de sécurité votées depuis trois ans et en urgence l'application du cessez-le-feu et l'accès total, sans condition, à l'ensemble des populations civiles par les agences humanitaires. Ensuite, reconnaître l'échec de l'accord de paix du 5 mai et faire accepter au gouvernement soudanais une réouverture réelle de négociations politiques avec l'ensemble des groupes rebelles, notamment ceux qui n'ont pas signé l'accord d'Abuja (entre le gouvernement et une partie des factions, en mai 2006).
S. R. : Ce drame humain est totalement intolérable : 300 000 victimes, deux millions de déplacés. Personne ne pourra prétendre l'avoir ignoré. Et en face il y a une forme de mollesse diplomatique, que rien ne saurait excuser et certainement pas la présence de pétrole dans le sous-sol ! Il faut que la communauté internationale se mobilise plus énergiquement, et je souhaite que la France, au Conseil de sécurité, fasse des propositions, notamment de sanctions, si le Soudan continue à tergiverser.
Ces sanctions pourraient être le gel des avoirs ou l'embargo sur les exportations de pétrole soudanais. Il est indispensable qu'une force conjointe de l'Union africaine et des Nations unies se déploie rapidement. Je souhaite aussi qu'il y ait une dimension européenne à cette action : voilà un sujet sur lequel l'Europe pourrait exister sur le plan diplomatique en parlant d'une même voix.
*** N. S. : Au Darfour, je n'accepte pas que la mauvaise volonté du gouvernement soudanais à appliquer la résolution 1 706 et sa complaisance à l'égard des milices djandjawids nous transforment en témoins impuissants de l'horreur. Si je suis élu, je n'hésiterai pas à militer pour un durcissement décisif des sanctions contre tous les responsables de la prolongation du conflit. Des mesures immédiates s'imposent, comme le gel des avoirs ou le refus de délivrer des visas pour les individus impliqués dans les massacres. La France appliquera au besoin ces mesures avec ses partenaires européens ou à titre national.
VENTES D'ARMES À LA CHINE
Etes-vous favorable à une levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine ?
F. B. : Je ne suis pas favorable à une levée sans contrepartie de l'embargo sur les armes en direction de la Chine. Cet embargo a été décidé à la suite du massacre de Tiananmen, c'est-à-dire au refus de toute libéralisation politique en Chine. Les économies française et chinoise prospèrent ensemble. Les échanges culturels nous enrichissent mutuellement. Qu'il s'agisse du Darfour, de Taïwan, de l'Iran, de la protection de la préservation des minorités et du respect des droits de la personne, nous sommes en droit d'attendre une forte inflexion de la politique chinoise avant d'envisager de normaliser la situation.
S. R. : La Chine a changé depuis 1989, date des événements de la place Tienanmen et de la décision d'embargo prise par l'Union européenne. Il reste toutefois beaucoup de progrès à faire dans le domaine de la démocratie et du respect des droits de l'homme. En outre, la Chine accroît fortement ses capacités militaires depuis quelques années, ce qui commence à inquiéter les pays de la région. Je pense donc que la levée de l'embargo est prématurée.
*** N. S. : La levée de l'embargo est une décision collective, qui doit être prise par l'ensemble des partenaires européens. La Chine est un partenaire de première importance pour la France et l'Europe. Nos relations se sont beaucoup développées au cours des dernières années, et c'est une très bonne chose. Mais l'embargo sur les armes a une signification bien particulière, liée notamment à la situation des droits de l'homme dans ce pays. Dans ce domaine, la Chine peut encore faire des progrès. C'est à l'aune de cette question que nous devons continuer de discuter avec nos partenaires chinois.
BOUCLIER ANTIMISSILE AMÉRICAIN
Etes-vous favorable à l'installation en Pologne et en République tchèque d'éléments du bouclier antimissile que veulent mettre en place les Etats-Unis ? Considérez-vous que ce projet a un sens, face au risque que l'Iran se dote à l'avenir de missiles pouvant atteindre le territoire européen ?
F. B. : Je suis favorable sur ce point à une attitude commune de tous les Européens. Nous devons penser cette question dans le cadre d'une refondation de la relation atlantique. Les Européens doivent disposer d'un instrument d'analyse des menaces, de prospective stratégique et de programmation de leurs moyens militaires communs. Rien ne serait pire que des décisions prises en ordre dispersé selon que les uns et les autres sont ou pas sensibles à la pression américaine. C'est le politique qui détermine le militaire et non l'inverse : commençons par discuter avec les Etats-Unis de notre conception de l'ordre international souhaitable et nous verrons alors dans quelle mesure nous pouvons partager leurs options militaires.
S. R. : La France est dotée de forces nucléaires qui garantissent en dernier ressort notre liberté. Je veillerai à ce que cet outil indispensable de notre indépendance politique et diplomatique garde en permanence sa crédibilité.
Le projet américain de bouclier antimissile pose beaucoup de questions. Son efficacité reste hypothétique, sa crédibilité incertaine : les Européens seraient-ils protégés par un parapluie américain dont ils n'auraient pas la maîtrise ? Il faut que les Américains répondent à ces questions dans le cadre de l'OTAN. Il faut aussi que les Européens en discutent entre eux. Je crois surtout que nous devons relancer la politique européenne de défense.
*** N. S. : Je trouve quand même préoccupant de ne pas discuter ensemble, avec nos partenaires européens, du système de défense antimissile que les Etats-Unis sont en train de mettre en place. Je ne vois pas comment on peut dire que c'est simplement le problème de la République tchèque ou de la Pologne et que ce n'est pas du tout celui de l'Europe, sauf à renoncer à toute ambition d'une politique européenne de la défense.
L'EUROPE FACE À LA RUSSIE
Etes-vous favorable à l'entrée, un jour, de l'Ukraine et de la Géorgie dans l'OTAN ? Dans l'Union européenne ?
F. B. : Il ne peut y avoir de nouvelles adhésions tant que nous n'aurons pas redéfini précisément la vocation de l'Union et redessiné son architecture institutionnelle. Ensuite, nous devrons tenir compte de la volonté de ces pays, comme des liens qu'ils entretiennent avec la Russie.
S. R. : Inviter un pays dans l'OTAN, c'est élargir une alliance de défense et étendre une garantie de sécurité. C'est un engagement qui ne se prend pas à la légère. Il suppose bien sûr des valeurs communes et des garanties sur sa pérennité comme sur sa crédibilité. Il faut aussi que l'adhésion contribue à la sécurité et à la stabilité du continent européen. Au regard de ces critères, les candidatures actuelles posent encore beaucoup de questions.
S'agissant d'une éventuelle entrée dans l'Union européenne, non seulement ces deux pays ne remplissent pas les critères d'adhésion, mais il est nécessaire de faire une pause dans le processus d'élargissement.
*** N. S. : Avec l'Ukraine et la Géorgie, je souhaite que nous progressions d'abord dans la voie du partenariat privilégié avec l'Union qui permettra à ces pays de prendre part au grand marché et de participer à certaines politiques européennes, par exemple dans le domaine commercial ou en matière d'éducation et de recherche. Concernant l'OTAN, je souhaite que le rapprochement amorcé avec l'Ukraine et la Géorgie se poursuive. Le "dialogue intensifié" peut être un premier pas vers une éventuelle intégration. Mais l'adhésion doit aussi refléter la volonté des pays concernés et de leurs citoyens.
Seriez-vous prêt à accélérer le projet de gazoduc Nabucco qui vise à permettre à l'Europe de réduire sa dépendance aux approvisionnements en gaz russe, en ouvrant une voie d'acheminement des hydrocarbures d'Asie centrale qui éviterait le territoire russe ?
F. B. : Tout ce qui contribue à réduire la dépendance de l'Europe en matière d'approvisionnement énergétique doit être encouragé. Ce type de projet ne doit pas être perçu comme l'expression politique d'une hostilité à la Russie mais comme un instrument bienvenu de diversification économique.
S. R. : L'Union européenne aura besoin à l'horizon 2025 de 250 à 300 milliards de mètres cubes par an de gaz supplémentaires, par rapport aux 500 milliards consommés actuellement. Dans ce contexte, il est normal que les Etats membres cherchent à équilibrer leurs sources d'approvisionnement. C'est une question d'indépendance énergétique.
*** N. S. : Oui, car ce gazoduc est un projet d'infrastructure énergétique particulièrement important pour l'Union européenne ; c'est également un outil pour développer la coopération avec notre voisin turc ainsi qu'avec les pays producteurs de gaz, en particulier de la Caspienne. La question n'est pas de réduire notre dépendance vis-à-vis de tel ou tel pays en particulier, il s'agit d'organiser un approvisionnement stable et diversifié sur le long terme pour les besoins énergétiques de l'Europe. Le développement d'une véritable politique européenne de l'énergie est un des principaux défis pour les prochaines années ; le projet Nabucco s'inscrit bien dans cet objectif.
Etes-vous favorable à l'augmentation des capitaux russes dans la société EADS, où ils sont présents actuellement à hauteur de 5 % ?
F. B. : Non, j'y suis hostile, compte tenu de la contribution d'EADS à l'équipement militaire de la France. Plus généralement, je crois que les Européens doivent être beaucoup plus vigilants qu'ils ne le sont en matière de contrôle des offres publiques d'achat. Je n'admets pas que nos industries puissent être achetées par des firmes qui elles-mêmes, selon des modalités d'ordre juridique ou culturel, ne sont pas achetables.
S. R. : EADS peut tirer profit de coopérations avec les grands groupes russes spécialisés dans l'aéronautique et la défense. Je ne souhaite pas, en revanche, qu'on aille vers une intégration financière. L'autonomie de décision d'EADS doit être préservée.
*** N. S. : Non, pour une raison très simple : EADS est une entreprise stratégique, liée aux impératifs de la défense française et européenne. Une augmentation de la participation de l'Etat russe au capital d'EADS - ou d'actionnaires qui en dépendraient en réalité - pourrait, surtout si elle devait tendre vers une minorité de blocage, remettre en cause notre indépendance et notre souveraineté nationale.
Article paru dans l'édition du 17.04.07.
LE MONDE
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire